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sa mort, son fils hérita de l'autorité et, en quelque sorte, du prestige religieux dont il était entouré. Né à Mascara en 1807, Abd-el-Kader a maintenant vingt-huit ans ; c'est un homme simple dans ses manières, d'une activité prodigieuse et d'une grande finesse. Sa taille est peu élevée, mais bien prise; il y a dans son attitude de l'aisance et de la dignité. Ses yeux sont noirs et perçants, son nez aquilin; une barbe rousse et touffue lui couvre le bas du visage. » Tel était l'homme qui devait si longtemps et avec une si ardente persévérance combattre les armes françaises tout en défendant pied à pied le sol de sa patrie.

Une première et déplorable circonstance vint grandir ce chef redoutable dans l'estime des indigènes : déjà une prise d'armes suscitée par lui avait mis en feu la province d'Oran et forcé le général Desmichels, qui y commandait, à réprimer vigoureusement les essais de rébellion dont il comprenait tout le danger. Le général, qui après avoir remporté cette rapide mais sanglante victoire, eût dû peutêtre s'acharner sur les traces d'Abd-el-Kader, et anéantir de la sorte sa naissante prépondérance, inquiet de l'avenir, incertain quant au présent, se laissa circonvenir par un juif intrigant et influent, qui lui persuada d'entrer en négociations pacifiques avec cet Abd-el-Kader dont la bravoure et le titre usurpé d'émir n'avaient déjà que trop popularisé

la renommée. Le juif servit d'abord d'intermédiaire, puis le général envoya deux officiers d'ordonnance auprès d'Abd-el-Kader. Enfin un traité de paix ou d'alliance fut signé à Oran le 26 février 1834, et ce curieux traité était rédigé en ces termes : « Le général commandant les troupes françaises dans la province d'Oran et le prince des fidèles, Abd-el-Kader, ont arrêté les conditions suivantes : 1° à dater de ce jour les hostilités entre les Arabes et les Français cesseront. Le général commandant les troupes françaises et l'émir Abd-el-Kader, ne négligeront rien pour faire régner l'union et l'amitié qui doivent exister entre deux peuples que Dieu a destinés à vivre sous la même domination. A cet effet des représentants de l'émir résideront à Oran, à Mostaganem et Arzew, de même que, pour prévenir toute collision entre les Français et les Arabes, des officiers français résideront à Mascara; 2o la religion et les usages musulmans seront respectés et protégés; 3° les prisonniers seront rendus immédiatement de part et d'autre ; 4o la liberté du commerce sera pleine et entière; 5° les militaires de l'armée française qui abandonneraient leurs drapeaux seront ramenés par les Arabes. De même, les malfaiteurs Arabes qui, pour se soustraire à un châtiment mérité, fuiraient leurs tribus et viendraient chercher un refuge auprès des Français, seront immédiatement remis aux représentants de l'émir

résidant dans les trois villes maritimes occupées par les Français; 6° tout Européen qui serait dans le cas de voyager dans l'intérieur sera muni d'un passe-port visé par le représentant de l'émir à Oran. »

Ce traité était une grande faute précisément parce qu'il plaçait Abd-el-Kader sur un terrain d'égalité parfaite avec les représentants de la France, et semblait reconnaître ainsi la légitimité de son autorité aux yeux des indigènes trop éblouis déjà de son audacieuse vaillance.

On le comprit bientôt lorsqu'on vit l'émir profiter des loisirs qu'on lui avait faits, en étendant ou affermissant sourdement son influence; en rassemblant de la poudre et des armes et en affichant une attitude quasi-souveraine. Il en vint promptement à braver l'autorité française et à menacer ou inquiéter des tribus qui, comme les Douairs et les Smélas, par exemple, voulaient nous demeurer fidèles. La mesure était comblée : le général Trézel, qui avait remplacé le général Desmichels dans le commandement de la province d'Oran, marcha au secours de nos alliés. Rencontrant l'armée d'Abdel-Kader, bien supérieure en nombre à notre intrépide colonne, il l'attaqua et la rompit. Mais cette victoire même nous avait épuisés. Il fallut, en présence d'un ennemi cinq fois plus nombreux que le détachement français, revenir lentement sur ses pas, et ce mouvement de retraite, hardiment in

quiété par des nuées de cavaliers arabes harcelant nos flancs, nous fit éprouver des pertes sensibles, surtout aux bords de la Macta. Cette désastreuse affaire où le colonel Oudinot avait perdu la vie, présentait un échec moral dont la Chambre des Députés elle-même, quel que fût d'ailleurs son mauvais vouloir pour notre colonie africaine, devait ressentir toute l'amertume. Une expédition fut résolue pour venger l'honneur du drapeau et la mort de tant de braves gens. Le maréchal Clausel était en quelque sorte désigné par l'opinion publique pour diriger la vigoureuse campagne à laquelle M. le duc d'Orléans désirait prendre part. Il fut choisi une seconde fois pour gouverner l'Algérie, et remplaça le comte Drouet d'Erlon, qui lui-même avait succédé au général Voirol.

C'était le 26 juin 1835 qu'avait eu lieu l'affaire de la Macta; à cinq mois de distance, le 26 novembre, l'expédition nouvelle commença. La ville de Mascara avait été indiquée comme le point extrême que le corps d'armée devait atteindre. Écoutons le maréchal Clausel raconter lui-même, dans sa proclamation aux troupes, les glorieuses étapes de cette courte campagne : « Soldats, vous avez pleinement justifié ma confiance et dépassé en peu de jours le but que je vous avais proposé. Le 1er décembre, vous avez vaillamment combattu à la reconnaissance des gorges du Zig, et, dans votre

ardeur, vous avez enlevé le camp ennemi lorsque nous ne nous en approchions que pour juger de la position et du nombre des troupes qu'il pouvait contenir. Le 3, vous avez enlevé celui de l'émir, qui a fui devant vous, et, malgré sa valeur personnelle, n'a pu empêcher ses troupes de se disperser dans les montagnes. Le même jour, à SidiEmbarek, lorsque vous fûtes entourés par une nombreuse cavalerie, lorsque vous étiez exposés au feu de l'artillerie d'Abd-el-Kader, vous avez vu fuir encore les Arabes embusqués derrière un obstacle naturel que vous aviez à peine eu le temps d'apercevoir. Emportés par un noble élan, le soir même vous vous êtes établis sur l'Habrah. Le 4, vous avez attaqué, à Ouled, Sidi-Brahim, sur les contre-forts de l'Atlas, l'infanterie de l'émir; il a suffi de votre approche pour la mettre en fuite. Le 5, vous avez enlevé, en quelques instants, une forte position occupée par un assez grand nombre d'ennemis auxquels vous avez fait éprouver une perte notable. Enfin, le 6, vous êtes entrés en vainqueurs dans Mascara que l'émir, abandonné, insulté par les siens, n'a pas osé défendre. Ainsi, en quelques jours s'est évanouie devant vous cette puissance qu'on représentait comme formidable et dont votre valeur a montré toute la faiblesse. Soldats, vous avez combattu sous les yeux du prince royal; il dira au roi, avec votre géné

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