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les disoyt par cueur; et y fondoyt quelques cas praicques concernens l'estat humain, lesquelz ilz entendoyent aulcunes foys jusques deux ou troys heures ; mais ordinairement cessoyt lorsqu'il estoyt du tout habillé. Puis, par trois bonnes heures, luy estoyt faicte lecture. Ce faict, issoyent hors, toujours conférens des propous de la lecture, et se desportoyent en Bracques (jeu de paume dans le faubourg SaintMarceau), ou ès prez, et jouyent à la balle, à la paulme, à la pile trigone (jeu de paume en triangle); gualantement s'exerceans le corps, commetilz avoyent les âmes auparavant exercé. Tout leur jeu n'estoyt qu'en liberté car ilz laissoyent la partie quand leur plaisoyt, et cessoyent la partie ordinairement lorsque suoyent parmi le corps, ou estoyent aultrement las. Adonq estoyent très-bien essuez et frottez, et doulcement se pourmenans alloyent veoir si le disner estoyt prest. Là attendens, récitoyent clèrement et éloquentement quelques sentences retenues de la leçon. Cependent monsieur l'appétit venoyt, et par bonne opportunité s'asséoyent à table. Au commencement du repast estoyt leue quelque histoire plaisante des anciennes prouesses, jusques à ce qu'il eust prins son vin. Lors (si bon sembloyt) on continuoyt la lecture, ou commençoyent à deviser joyeu sement ensemble, parlans, pour les premiers motz, de la vertu, propriété efficace, et nature de tout ce que leur estoyt servi à table. Du pain, du vin, de l'eaue, du sel, des viandes, poissons, fructz, herbes,

racines, et de l'apprest d'ycelles. Ce que faisant, apprint en peu de temps tous les passaiges à ce compétens en Pline, Athénée, Porphyre, Opian, Polybe, Héliodore, Aristoteles, Élian et aultres. Iceulx propous tenuz, faisoyent souvent, pour plus estre asseurez, apporter les livres susditz à table. Et si bien et entièrement retint en sa mémoire les choses dictes que, pour lors, n'estoyt médecin qui en sçeust à la moitié tant comme il faisoyt. Après, devisoyent des leçons lueues au matin, et rendoyent grâces à Dieu par quelques beaulx canticques faictz à la louange de la munificence et bénignité divine. Ce faict, on apportoyt des chartes, non pour jouer, mais pour y apprendre mille petites gentillesses et inventions nouvelles, lesquelles toutes yssoyent de arithméticque. En ce moyen, entra en affection d'icelle science numérale, et, tous les jours après disner et souper, y passoyt temps aussi plaisantement qu'il souloyt (avait coutume) en dez ou ès chartes. A tant sçeut d'ycelle et théoricque et praticque, si bien que Tunstal1, angloys, qui en avoyt amplement escript, confessa que vrayement, en comparaison de luy, il n'y entendoyt que le hault alemant.

Et non seulement d'ycelle, mais des aultres sciences mathématicques, comme géométrie, astronomie et musicque. Car ilz faisoyent mille joyeulx instrumens et figures géométricques, ou de mesme praticquoyent

Évêque de Durham.

les canons astronomicques. Après, s'esbaudissoyent à chanter musicalement à quatre et cinq parties, ou sus ung thême, à plaisir de gorge. Au reguard des instrumens de musicque, il apprint à jouer du luct, de l'espinette, de la harpe, de la flûte d'alemant, et à neuf trous, de la viole, et de la sacqueboutte (espèce de trombone).

Ceste heure ainsi employée, se remettoyt à son estude principal par troys heures ou dadvantaige; tant à répéter la lecture matutinale, que à poursuivre le livre entreprins, que aussi à escripre, bien traire et former les anticques et romaines lettres. Ce faict, issoyent hors de leur hostel, avecques eux ung jeune gentilhomme de Touraine, nommé l'escuyer Gymnaste, lequel lui montroyt l'art de chevalerie. Changeant doncques de vestemens, montoyt sus un coursier, et luy donnoyt cent quarrières, le faisoyt voltiger en l'aer, franchir le foussé, saulter le palys, courttourner en ung cercle, tant à dextre comme à senestre. Là rompoyt, non la lance (car c'est la plus grande resverie du monde de dire : J'ai rompu dix lances en tournoy ou en bataille; ung charpentier le feroyt bien), mais louable gloire est d'une lance avoir rompu dix de ses ennemys. De sa lance doncques asserée, verde et roide, rompoyt ung huys, enfonçoyt ung harnoys, aculoyt ung arbre, enclavoyt ung anneau, enlevoyt une selle d'armes, ung aubert, ung gantelet. Le tout faisoyt armé de pied en cap. Au reguard de fanfarer, et faire les petitz popismes

sus ung cheval, nul ne le feit mieulx que luy. Le voltigeur de Ferrare n'estoyt qu'un cinge en comparaison. Singulièrement estoyt apprins à saulter hastivement d'ung cheval sus l'aultre sans prendre terre; et de chacun cousté, la lance au poing; monter sans estrivières; et sans bride, guider le cheval à son plaisir. Car telles choses servent à discipline militaire. Ung aultre jour s'exerceoyt à la hasche, puis branloyt la picque, sacquoyt de l'espée à deux mains, de la dague et du poignard, armé, non armé, au boucler, à la cappe, à la rondelle....

Le temps ainsi employé, luy frotté, nettoyé et refraischy d'habillemens, tout doulcement retournoyent, et, passans par quelques prez ou aultres lieux herbus, visitoyent les arbres et plantes, les conférens avec les livres des anciens qui en ont escript, comme Théophraste, Dioscorides, Marinus, Pline, Nicander, Macer et Galen; et en emportoyent leurs pleines mains au logis; desquelles avoyt la charge ung jeune paige nommé Rhizotome, ensemble des pioches, bêches, tranches et aultres instrumens requis à bien arborizer. Eux arrivés au logis, ce pendant qu'on apprestoyt le soupper, répéttoyent quelques passaiges de ce que avoyt esté leu, et s'asséoyent à table.... Durant icelluy repast, estoyt continuée la leçon du disner, tant que bon sembloyt: le reste estoyt consommé en bon propous tous lettrez et utiles. Après grâces rendues, se addonnoyent à chanter musicalement, à jouer d'instrumens harmo

nieux, ou de ces petits passe-temps qu'on faict ès chartes, ès dez, et guobeletz; et là demouroyent faisans grand chière, s'esbaudissans aulcunes foys jusques à l'heure de dormir; quelquefoys alloyent visiter les compaignies des gens lettrez, ou de gens qui eussent veu pays estranges.

En plene nuict, devant que soy retirer, alloyent au lieu de leur logis le plus descouvert veoir la face du ciel et là notoyent les comètes, si aulcunes estoyent, les figures, situations, aspectz, oppositions et conjunctions des astres.

Puis, avec son précepteur, récapituloyt briefvement, à la mode des Pythagoricques, tout ce qu'il avoyt leu, veu, sçeu, faict et entendu au décours de toute la journée.

Si prioyent Dieu le créateur en l'adorant, et ratifiant leur foy envers luy, et le glorifiant de sa bonté immense et, luy rendant grâces de tout le temps passé, se recommandoyent à sa divine clémence pour tout l'advenir. Ce faict, entroyent en leur repos.

S'il advenoyt que l'aer feust pluvieux et intempéré, tout le temps devant disner estoyt employé comme de coustume, excepté qu'il faisoyt allumer ung beau et clair feu, pour corriger l'intempérie de l'aer. Mais, après disner, au lieu des exercitations, ilz demouroyent en la maison et estudioyent en l'art de paincture et sculpture; ou revocquoyent en usage l'anticque jeu des tales (osselets), ainsi qu'en ha escript Léonicus, et comme y joue n stre bon amy

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