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ne mesure. Grant partie des halz homes (principaux seigneurs) de Grèce guenchirent (se dirigèrent) vers la porte de Blaquerne ; et vespres y ère jà bas, et furent cil de l'ost (armée) lassé de la bataille et de l'ocision (carnage); et si comencent à assembler en une place granz qui estait dedenz Constantinople; et prirent conseil que il se herbergeroient près des murs et des tors que il avaient conquises, que il ne cuidoient (pensaient) mie que il eussent la ville vaincue en un mois; les forz yglises ne les forz palais, et le pueple qui ère dedenz. Ensi com il fu devisé, si fu fait.

Ensi se herbergièrent devant les murs et devant les tors près de lor vaissials. Li cuers Baudoins de Flandres se herberja és vermeilles tentes l'empereor Morchuflex qu'il avoit laissies tendues, et Henri ses frères devant le palais de Blaquerne; Boniface li marchis de Montferrat, il et la soe gent (lui et ses gens), devers l'espès (au centre) de la ville. Ensi fu l'oz herbergié com vos avez oï, et Constantinople prise le lundi de Paque florie.

JOINVILLE.

1223-1317.

Jean, sire DE JOINVILLE, naquit au château de Joinville, en Champagne, et fut élevé à la cour de Thibault IV, comte de Champagne et roi de Navarre. C'est auprès de ce prince, élégant et poète, qu'il puisa l'esprit conteur des troubadours. A sa majorité, il obtint la charge de sénéchal. Il quitta la cour de Thibault pour celle de saint Louis. Devenu l'ami du saint roi, il l'accompagna à la croisade en Égypte et en Palestine; mais il refusa de prendre part à la croisade de Tunis. C'est à la prière de la reine Jeanne, femme de Philippe-le-Bel, qu'il écrivit la Vie de saint Louis. Il n'y a rien de si animé, de si naïf, de si franc, de si jeune, que la manière de raconter du bon sénéchal. Son livre est un de ceux qu'on relit toujours avec plaisir. Joinville est le premier prosateur vraiment français.

TERREURS DE LA REINE MARGUERITE A DAMIETTE.

Cy-devant avez veu et entendu les grans persécucions et misères, que le bon roy saint Loys et tous nous avons souffertes et endurées oultre mer. Aussi sachez que la royne la bonne dame n'en eschappa pas, sans en avoir sa part, et de bien aspre au cueur, ainsi que vou sorrez cy-après. Car bientost lui vindrent les nouvelles que le roy son bon espoux estoit prins. Desquelles nouvelles elle fut si très troublée en son corps, et à si grant mésaise, que sans cesser en son dormir il lui sembloit que toute la chambre fust

plaine de Sarrazins, pour la occir: et sans fin s'escrioit : « A l'aide, à l'aide, » là où il n'y avoit âme. Et de paeurs, elle faisoit veiller tout nuyt ung chevalier au bout de son lit, sans dormir. Lequel chevalier estoit vieil et anxien, de l'éâge de quatre vingtz ans et plus. Et à chascune foiz qu'elle s'escrioit, il la tenoit parmy les mains, et lui disoit : « Madame, » n'aiez garde, je suis avecques vous, n'aiez paeurs. >> Et elle fist vuider sa chambre des personnages qui y estoient, fors que de celui viel chevalier, et se gecta la royne à genoulz devant lui, et lui requist qu'il lui donnast ung don. Et le chevalier le lui octroia par son serement. Et la Royne lui va dire: « Sire che valier, je vous requier sur la foy que vous m'avez donnée, que si les Sarrazins prennent ceste ville, que vous me couppez la teste avant qu'ilz me puissent prandre. » Et le chevalier lui respondit, que très voulentiers il le feroit, et que jà l'avoit-il eu en pensée d'ainsi le faire, si le cas y eschéoit.

FROISSART.

1333-1401.

Le quatorzième siècle fut une époque peu poétique. Le goût de la poésie se refroidit beaucoup au milieu de nos guerres funestes contre l'Angleterre et des factions intestines qui déchiraient la France. Froissart, le célèbre auteur de la Chronique de France, d'Angleterre, etc., est le premier poète de ce temps-là.

Froissart, prêtre, chanoine, et quelque temps curé, était fils d'un peintre d'armoiries de Valenciennes. Il passa la plus grande partie de sa vie à voyager pour recueillir les matériaux de sa grande histoire. Il visita successivement la France, l'Italie, l'Espagne, la Belgique, la Hollande, l'Angleterre et l'Écosse. En Angleterre, il vécut dans l'intimité du PrinceNoir, et fut pendant trois ou quatre ans secrétaire de la reine Philippa.

DÉVOUEMENT DES SIX BOURGEOIS DE CALAIS.

Lors messire Jean de Vienne vint au marché, et fit sonner la cloche pour assembler toutes manières de gens en la halle. Au son de la cloche vinrent hommes et femmes, car moult désiroient à ouïr nouvelles, ainsi que gens si astreints de famine que plus n'en pouvoient porter. Quand ils furent tous venus et assemblés en la halle, hommes et femmes, messire Jean de Vienne leur démontra moult doucement les paroles du roi d'Angleterre, et leur dit bien que autrement ne pouvoit estre, et eussent, sur ce, avis et brève réponse. Quand ils ouïrent ce rapport, ils commencèrent tous à crier et à pleurer tellement et si amèrement, qu'il n'est si dur cœur au monde, s'il les eut vus ou ouïs eux démener, qui n'en eut eu pitié. Et n'eurent pour l'heure pouvoir de répondre ni de parler; et mêmement messire Jean de Vienne en avoit telle pitié qu'il larmoyoit moult tendrement.

Une espace après, se leva en pied le plus riche bourgeois de la ville, que on appeloit sire Eustache

de Saint Pierre, et dit devant tous ainsi : « Seigneurs, grand'pitié et grand'meschef seroit de laisser mourir un tel peuple que ici a, par famine ou autrement, quand on y peut trouver aucun moyen ; et si seroit grand'aumône et grand'grâce envers notre seigneur, qui de tel meschef le pourroit garder. Je en droit moi ai si grand'espérance d'avoir grâce et pardon envers notre Seigneur, si je muir (meurs) pour ce peuple sauver, que je veuil estre le premier, et me mettrai volontiers en pur ma chemise, à nud chef, et la hart au col, en la mercy du roi d'Angleterre. » Quand sire Eustache de Saint Pierre eut dit cette parole, chacun l'alla aouzer (adorer) de pitié, et plusieurs hommes et femmes se jetoient à ses pieds pleurants tendrement; et étoit grand'pitié de là estre, et eux ouïr, écouter et regarder.

Secondement, un autre très honnête bourgeois et de grand'affaire, et qui avoit deux belles demoiselles à filles, se leva et dit tout ainsi qu'il feroit compagnie à son compère sire Eustache de Saint Pierre, et appeloit-on cetui sire Jean d'Aire.

Après, se leva le tiers, qui s'appeloit sire Jacques de Vissant, qui étoit riche homme de meuble et d'héritage, et dit qu'il feroit à ses deux cousins compagnie. Aussi fit sire Pierre de Vissant son frère; et puis le cinquième, et puis le sixième, et se dévêtir là ces six bourgeois tous nus en leurs braie s (hauts-de-chausses) et leurs chemises, en la ville de Calais, et mirent hars (cordes) en leur col, ains

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