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SCENE IL.

GERONTE, LISETTE.

GÉRONTE, sans voir Lisette.

Ma foi, je tiendrai bon.

Quand on est bien instruit, bien sûr d'avoir raison,
Il ne faut pas céder. Elle suit son caprice :

Mais moi, je veux la paix, le bien et la justice :
Valere aura Chloé.

LISETTE.

Quoi! sérieusement?

GÉRONTE.

Comment! tu m'écoutois?

LISETTE.

Tout naturellement.

Mais n'est-ce point un rêve, une plaisanterie ?
Comment, monsieur ! j'aurois, une fois en ma vie,
Le plaisir de vous voir, en dépit des jaloux,
De votre sentiment, et d'un avis à vous ?

GÉRONTE.

Qui m'en empêcheroit? je tiendrai ma promesse ;
Sans l'avis de ma sœur, je marierai ma niece:
C'est sa fille, il est vrai; mais les biens sont à moi:
Je suis le maître enfin, Je te jure ma foi

Que la donation, que je suis prêt à faire,

N'aura lieu pour Chloé qu'en épousant Valere:

Voilà mon dernier mot.

LISETTE.

Voilà parler, cela i

GÉRONTE.

Il n'est point de parti meilleur que celui-là.

LISETTE.

Assurément.

GÉRONTE.

C'étoit pour traiter cette affaire,

Qu'Ariste vint ici la semaine derniere.

La mere de Valere, entre tous ses amis,
Ne pouvoit mieux choisir pour proposer son fils.
Ariste est honnête homme, intelligent et sage:
L'amitié qui nous lie est, ma foi, de notre âge;
Il est parti muni de mon consentement,

Et l'affaire sera finie incessamment;

Je n'écouterai plus aucun avis contraire;
Pour la conclusion, l'on n'attend que Valere:
Il a dû revenir de Paris ces jours-ci;

Et ce soir au plus tard je les attends ici.

Fort bien.

LISETTE.

GÉRONTE.

Toujours plaider m'ennuie et me ruine;

Des terres du futur cette terre est voisine,
Et, confondant nos droits, je finis des procès
Qui, sans cette union, ne finiroient jamais.

LISETTE,

Rien n'est plus convenable.

GÉRONTE.

Et puis d'ailleurs, ma niece

Ne me dédira point, je crois, de ma promesse,
Ni Valere non plus. Avant nos différents,

Ils se voyoient beaucoup, n'étant encor qu'enfants;
Ils s'aimoient, et souvent cet instinct de l'enfance
Devient un sentiment quand la raison commence.
Depuis près de six ans qu'il demeure à Paris,
Ils ne se sont pas vus : mais je serois surpris
Si, par ses agréments et son bon caractere,
Chloé ne retrouvoit tout le goût de Valere.

LISETTE.

Cela n'est pas douteux.

GÉRONTE.

Encore une raison

Pour finir : j'aime fort ma terre, ma maison;
Leur embellissement fit toujours mon étude.
On n'est pas immortel : j'ai quelque inquiétude
Sur ce qu'après ma mort tout ceci deviendra;
Je voudrois mettre au fait celui qui me suivra,

Lui laisser mes projets. J'ai vu naître Valere :
J'aurai, pour le former, l'autorité d'un pere.

LISETTE.

Rien de mieux: mais...

GÉRONTE.

Quoi, mais ? J'aime qu'on parle net.

LISETTE.

Tout cela seroit beau : mais cela n'est pas fait.

Eh! pourquoi donc ?

GERONTE.

LISETTE.

Pourquoi ? pour une bagatelle

Qui fera tout manquer. Madame y consent-elle ?
Si j'ai bien entendu, ce n'est pas son avis.

GÉRONTE.

Qu'importe? ses conseils ne seront pas suivis.

LISETTE.

Ah! vous êtes bien fort, mais c'est loin de Florise:
Au fond, elle vous mene, en vous semblant soumise :
Et, par
malheur pour vous et toute la maison,

Elle n'a pour conseil que ce monsieur Cléon,

Un mauvais cœur, un traître, enfin un homme horrible, Et pour qui votre goût m'est incompréhensible.

GÉRONTE.

Ah! te voilà toujours. On ne sait pas pourquoi

Il te déplaît si fort.

LISETTE.

Oh! je le sais bien, moi.
Ma maîtresse autrefois me traitoit à merveille,
Et ne peut me souffrir depuis qu'il la conseille.
Il croit que de ses tours je ne soupçonne rien ;
Je ne suis point ingrate, et je lui rendrai bien...
Je vous l'ai déja dit, vous n'en voulez rien croire,
C'est l'esprit le plus faux, et l'ame la plus noire ;
Et je ne vois que trop que ce qu'on m'en a dit...
GÉRONTE.

Toujours la calomnie en veut aux gens d'esprit.
Quoi donc ! parcequ'il sait saisir le ridicule,
Et qu'il dit tout le mal qu'un flatteur dissimule,
On le prétend méchant ! c'est qu'il est naturel :
Au fond, c'est un bon cœur, un homme essentiel

LISETTE,

Mais je ne parle pas seulement de son style.
S'il n'avoit de mauvais que le fiel qu'il distile,
Ce seroit peu de chose, et tous les médisants
Ne nuisent pas beaucoup chez les honnêtes gens.
Je parle de ce goût de troubler, de détruire,
Du talent de brouiller, et du plaisir de nuire :
Semer l'aigreur, la haine et la division,
Faire du mal enfin, voilà votre Cléon :

Voilà le beau portrait qu'on m'a fait de son ame,

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