Dans le dernier voyage où j'ai suivi madame, Dans votre terre ici fixé depuis long-temps, Vous ignorez Paris et ce qu'on dit des gens. Moi, le voyant là-bas s'établir chez Florise, Et lui trouvant un ton suspect à ma franchise, Je m'informai de l'homme, et ce qu'on m'en a dit Est le tableau parfait du plus méchant esprit ; C'est un enchaînement de tours, d'horreurs secretes, De gens qu'il a brouillés, de noirceurs qu'il a faites, Enfin, un caractere effroyable, odieux.
Fables que tout cela, propos des envieux.
Je le connois, je l'aime, et je lui rends justice. Chez moi, j'aime qu'on rie, et qu'on me divertisse; Il y réussit mieux que tout ce que je voi :
D'ailleurs, il est toujours de même avis que moi; Preuve que nos esprits étoient faits l'un pour l'autre, Et qu'une sympathie, un goût comme le nôtre, Sont pour durer toujours ; et puis, j'aime ma sœur ; Et quiconque lui plaît, convient à mon humeur : Elle n'amene ici que bonne compagnie,
Et, grace à ses amis, jamais je ne m'ennuie. Quoi! si Cléon étoit un homme décrié,
L'aurois-je ici reçu ? l'auroit-elle prié ?
Mais quand il seroit tel qu'on te l'a voulu peindre,
Faux, dangereux, méchant, moi, qu'en aurois-je à craindre!
Isolés dans nos bois, loin des sociétés,
Que me font les discours et les méchancetés?
Je ne jurerois pas qu'en attendant pratique, Il ne divisât tout dans votre domestique. Madame me paroît déja d'un autre avis Sur l'établissement que vous avez promis, Et d'une... Mais enfin je me serai méprise, Vous en êtes content; madame en est éprise. Je croirois même assez...
Quoi ? qu'elle aime Cléon ?
C'est vous qui l'avez dit, et c'est avec raison Que je le pense moi ; j'en ai la preuve sûre. Si vous me permettez de parler sans figure, J'ai déja vu madame avoir quelques amants; Elle en a toujours pris l'humeur, les sentiments, Le différent esprit. Tour-à-tour je l'ai vue Ou folle, ou de bon sens, sauvage ou répandue; Six mois dans la morale, et six dans les romans, Selon l'amant du jour et la couleur du temps; Ne pensant, ne voulant, n'étant rien d'elle-même, Et n'ayant d'ame enfin que par celui qu'elle aime. Or, comme je la vois, de bonne qu'elle étoit, N'avoir qu'un ton méchant, ton qu'elle détestoit,
Je conclus que Cléon est assez bien chez elle. Autre conclusion tout aussi naturelle :
Elle en prendra conseil ; vous en croirez le sien Pour notre mariage, et nous ne tenons rien. GÉRONTE.
Ah, je voudrois le voir! corbleu ! tu vas connoître Si je ne suis qu'un sot, où si je suis le maître. J'en vais dire deux mots à ma très chere sœur, Et la faire expliquer. J'ai déja sur le cœur Qu'elle s'est peu prêtée à bien traiter Ariste; Tu m'y fais réfléchir : outre un accueil fort triste, Elle m'avoit tout l'air de se moquer de lui, Et ne lui répondoit qu'avec un ton d'ennui : Oh! par exemple, ici tu ne peux pas me dire Que Cléon ait montré le moindre goût de nuire, Ni de choquer Ariste, ou de contrarier
Un projet dont ma sœur paroissoit s'ennuyer, Car il ne disoit mot.
Non, mais à la sourdine,
Quand Ariste parloit, Cléon faisoit la mine; Il animoit madame en l'approuvant tout bas : Son air, des demi-mots que vous n'entendiez pas, Certain ricanement, un silence perfide;
Voilà comme il parloit, et tout cela décide.
Vraiment il n'ira pas se montrer tel qu'il est
Vous présent : il entend trop bien son intérêt;
Il se sert de Florise, et sait se satisfaire
Du mal qu'il ne fait point, par le mal qu'il fait faire. Enfin, à me prêcher vous perdez votre temps:
Je ne l'aimerai pas, j'abhorre les méchants : Leur esprit me déplaît comme leur caractere, Et les bons cœurs ont seuls le talent de me plaire. Vous, monsieur, par exemple, à parler sans façon, Je vous aime; pourquoi ? c'est que vous êtes bon. GÉRONTE.
Moi! je ne suis pas bon. Et c'est une sottise Que pour un compliment...
Selon ce beau docteur ; mais vous en reviendrez. En attendant, en vain vous vous en défendrez, Vous n'êtes pas méchant, et vous ne pouvez l'être. Quelquefois, je le sais, vous voulez le paroître; Vous êtes comme un autre, emporté, violent, Et vous vous fâchez même assez honnêtement: Mais au fond la bonté fait votre caractere, Vous aimez qu'on vous aime, et je vous en révere. GÉRONTE.
Ma sœur vient: tu vas voir si j'ai tant de douceur, Et si je suis si bon.
FLORISE, GÉRONTE, LISETTE.
GÉRONTE, d'un ton brusque.
Bon jour, ma sœur.
Ah dieux ! parlez plus bas, mon frere, je vous prie.
Eh! pourquoi, s'il vous plaît ?
Je n'ai pas fermé l'œil; et vous criez si ført...
GERONTE, bas à Lisette.
Lisette, elle est malade.
FLORIS E.
Allez savoir, Lisette,
Si l'on peut voir Cléon... Faut-il que je répete?
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