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châtiment, votre honte, c'est de rapetisser et de salir tout ce que vous croyez imiter!... >>

Ainsi parlerait l'antique Caron, interprète de l'expérience des siècles, de la rude franchise des enfers et de la vérité de tous les âges; et nous, rouvrant encore une fois ces Dialogues des vivants et des morts, tâchons d'en extraire les enseignements qu'ils contiennent. Pour les rendre plus brefs et plus clairs, je laisse à l'écart les personnages secondaires; j'abandonne l'Académie aux soins vigilants de M. Pingard, aux spirituels discours de M. Cuvillier-Fleury, au silence prudent de M. Emile Ollivier, au positivisme de M. Littré, aux diners de S. A. Mgr le duc d'Aumale, aux adieux de Msr Dupanloup. Je livre le N° 606 aux remords plus ou moins sincères de Son Excellence M. Jules Simon; je renvoie Maître Jacques.. Crémieux à son miroir et le citoyen Glais-Bizoin à sa comédie du Vrai courage, risible prologue du lugubre drame où le vrai courage n'a pu prévaloir contre les inepties de M. Glais-Bizoin et de ses amis; je néglige cette jolie scène, le Banquet chez Pluton, où de beaux esprits, présidés par M. Troplong, terminent, aux cris mille fois répétés de Vive l'Empereur! une impitoyable

série de griefs, consignés dans leurs anciens ouvrages, contre le régime impérial et les souvenirs du premier Empire. Je résume les impressions de cette piquante et instructive. lecture en quatre noms, qui expliquent les faillites de notre patriotisme, les illusions de notre vanité nationale, les funestes effets de notre chauvinisme militaire, la persistance de notre mauvaise fortune, et enfin l'avortement provisoire de nos dernières espérances: Voltaire, Napoléon, Gambetta, M. Thiers.

Oui, Voltaire, et ne me dites pas que je remonte trop haut dans la généalogie de nos malheurs; ne m'invitez pas à passer au déluge de l'invasion, des obus et du pétrole, qui n'arrivera que trop vite! Voltaire et l'auteur des Dialogues des vivants et des morts ne s'y est pas trompé a été, avant la naissance de M. de Moltke et de M. de Bismark, le collaborateur de M. de Bismark et de M. de Moltke. Il ne s'agit pas seulement de rappeler les flatteries qu'il prodigua au roi de Prusse, les cris d'allégresse que lui arrachèrent nos défaites, ses grossières épigrammes contre les Welches, ses vers hideux, trempés dans le sang des vaincus de Rosbach. Non, restons plus actuels; serrons de plus près la filiation

coup des fureurs parisiennes; le sentiment de la défaite s'envenimant dans les âmes au profit des passions les plus hideuses; l'anarchie sanglante demandant aux Prussiens le mot d'ordre de ses triomphes; le crime installant sa victoire et son règne sur des monceaux de cadavres et de débris; des Français, désarmés par l'invasion, retrouvant des armes contre leurs frères et contre eux-mêmes; la Terreur de 1871, plus courte, mais plus navrante que celle de 93; car elle servait d'épilogue aux désastres de la guerre, aux mutilations du territoire, aux exigences de l'ennemi, aux chiffres de la rançon, et n'avait pas même, comme son abominable sœur aînée, l'insolent bonheur de pouvoir s'associer à des dates victorieuses et à des semblants de patriotisme.

Cette incroyable série de calamités, de hontes, d'angoisses et de périls donnait — qui de nous pourrait l'oublier? — le vertige aux plus intrépides et aux plus sages. C'est à peine si, à travers les ténèbres de cet enfer, où Vallès et Vermesch remplaçaient, hélas ! Dante et Virgile, on voyait luire une de ces pâles clartés dont nul ne saurait dire si elles doivent rassurer ceux qui tremblent ou ef

frayer encore plus ceux qui ne veulent pas désespérer. Etait-ce une lueur de bon sens ramené par des excès de folie? l'aube d'une régénération morale qui seule pouvait rendre possibles, durables et efficaces, une renaissance politique, une revanche nationale? Ou bien était-ce le dernier éclair précédant le dernier coup de foudre, le reflet du glaive de l'ange exterminateur planant sur les décombres de la nouvelle Ninive? Nous ne le savions pas; tout ce qu'il nous était facile de deviner, c'est qu'il nous restait, à nous, hommes de tradition monarchique, libres de tout engagement avec les funestes régimes du 2 décembre et du 4 septembre, deux grands devoirs à remplir, deux moyens de salut peut-être : lutter, combattre, parler, écrire, agir, nous tenir obstinément sur la brèche, donner l'exemple du travail à cette démagogie qui nous traite d'oisifs et d'inutiles; mettre largement en pratique le laboremus de l'empereur Sévère;

et, pour que notre tâche fût plus féconde, remonter des effets aux causes, des œuvres aux personnes, venger la vérité, la liberté, la justice, la morale, tant de fois offensées par les précurseurs et les continuateurs de nos désastres; les saisir au passage avant qu'ils dis

paraissent de la scène ou soient amnistiés par l'oubli; et, après les avoir remis en présence de leurs contradictions, de leurs sophismes, de leurs fautes, nous donner le droit de dire à ceux-là: « Comment, avec un tel dossier, osez-vous songer à revenir? » - Et à ceux-ci : << Comment, avec un dossier pareil, avez-vous le courage de rester? »>

En indiquant ce double devoir, il me semble que je caractérise l'auteur des Dialogues des vivants et des morts, et que je rends un premier hommage à son livre, dont le succès intéresse tous les amis de la bonne littérature et de la bonne politique. Combien de fois, sous le coup de ces rapides catastrophes qui nous frappaient sans relâche, dans ce grand naufrage où les passagers se sont faits trop souvent complices de la tempête, je me disais « Pour prévenir ces malheurs, qu'aurait-il fallu? » Et plus tard : « Pour les réparer, que faudrait-il? » - Et ma pensée allait chercher à travers l'espace l'homme de bien, le père de famille, le travailleur infatigable, qui a fait deux parts de son existence si active et si bien remplie : l'une au foyer domestique, aux chers objets de ses tendresses, à ce labeur journalier où les âmes

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