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série de griefs, consignés dans leurs anciens ouvrages, contre le régime impérial et les souvenirs du premier Empire. Je résume les impressions de cette piquante et instructive. lecture en quatre noms, qui expliquent les faillites de notre patriotisme, les illusions de notre vanité nationale, les funestes effets de notre chauvinisme militaire, la persistance de notre mauvaise fortune, et enfin l'avortement provisoire de nos dernières espérances: Voltaire, Napoléon, Gambetta, M. Thiers.

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Oui, Voltaire, et ne me dites pas que je remonte trop haut dans la généalogie de nos malheurs; ne m'invitez pas à passer au déluge de l'invasion, des obus et du pétrole, qui n'arrivera que trop vite! Voltaire — et l'auteur des Dialogues des vivants et des morts ne s'y est pas trompé a été, avant la naissance de M. de Moltke et de M. de Bismark, le collaborateur de M. de Bismark et de M. de Moltke. Il ne s'agit pas seulement de rappeler les flatteries qu'il prodigua au roi de Prusse, les cris d'allégresse que lui arrachèrent nos défaites, ses grossières épigrammes contre les Welches, ses vers hideux, trempés dans le sang des vaincus de Rosbach. Non, restons plus actuels; serrons de plus près la filiation

des sentiments, des événements et des idées. A force de haïr la religion, à force de tricher le gouvernement, la police et la censure, à force de détester le passé, les gloires, les poésies, les croyances, les héros de notre chère et antique France, à force de se persuader et de persuader à ses prosélytes qu'il était, à lui seul, une puissance nouvelle, indépendante des institutions de son pays et capable d'élever autel contre autel et trône contre trône, Voltaire avait fini par devenir une sorte de personnage cosmopolite, concitoyen de ceux qui le flattaient ou récompensaient ses flatteries bien plus que de ceux dont les lois, quoique tombant en faiblesse, refusaient encore une impunité absolue aux audaces de son impiété et de son libertinage. Sujet du roi incrédule dont le catéchisme s'accordait avec le sien, dont la morale s'arrangeait de la sienne, et qui, ne voyant en lui qu'un ornement, un courtisan et un amuseur, faisait avec lui commerce de petits vers et de gros blasphèmes, bien plutôt que du monarque inconséquent et débile, soucieux encore de la majesté divine qu'il offensait, de la majesté royale qu'il avait le tort de compromettre, et assez intelligent pour voir en Voltaire un ennemi au lieu d'une parure.

Grâce à cet antagonisme envenimé par une nature perverse, le patriarche de Ferney fut aussi peu Français que possible, si peu Français qu'il passa son temps et employa son encre à insulter, à calomnier, à flétrir tout ce qui avait fait ou protégé la France. Avocat du genre humain, mais déserteur de sa patrie, ses fastueux plaidoyers en l'honneur de deux ou trois victimes de l'arbitraire donnaient le change aux badauds et le dispensaient d'aimer son pays. Il défendit Calas, ce qui prouve qu'un épisode des erreurs ou des abus de la justice humaine avait le privilége de remuer sa bile; il outragea Jeanne d'Arc, ce qui démontre, en dehors de toute question de morale, de religion et de décence, que jamais la grande fibre patriotique n'a vibré dans son cerveau ou dans son cœur.

Hé! bien, disons-le hardiment, le pays, le peuple, la capitale, qui, entre Sadowa et Wissembourg, entre la menace et le désastre, n'a rien trouvé de plus ingénieux, de plus libéral et de plus français que de revernir la gloire de Voltaire et d'installer la statue de l'ami de Frédéric pour souhaiter la bienvenue aux soldats de Guillaume et de Bismark, ce peuple, ce pays, cette capitale n'ont, hélas ! que trop

mérité le malheur qui les frappe. Mais, si les révolutionnaires de 1870, pour assouvir une fois de plus leurs haines antichrétiennes, ont oublié les plus simples notions du patriotisme en se plaçant sous le patronage de Voltaire au moment même où la France allait se débattre sous les serres de la Prusse, ils n'ont pas manqué de logique. Oui, c'était bien là leur ancêtre, non-seulement parce qu'il a injurié le Dieu qu'ils abhorrent, donné l'exemple de toutes les révoltes de l'esprit, sapé toutes les bases de l'autorité morale et du respect, raillé tout ce que consacrent la foi, la tradition, l'amour, la reconnaissance, la prière, les plus infaillibles instincts de la conscience et de l'âme, mais aussi, mais surtout, parce qu'il s'est préféré, lui, sa passion, sa vanité, ses rancunes, son impiété, son succès, son influence, sa propagande, sa satisfaction personnelle, à l'honneur et à l'intérêt de son pays. C'est là, en effet, le trait caractéristique, et, quand on reproche à nos républicains de l'école gambettiste ou de la banque de Mottu de n'avoir pas tout à fait autant d'esprit que Voltaire, ils peuvent répondre qu'ils offrent du moins avec lui ce point de ressemblance, ce lien de parenté. Eux aussi,

ils ont leurs WELCHES dont les désastres les ont fait tressaillir d'espérance et de joie. Eux aussi, ils ont leur Frédéric qu'ils font passer avant l'honneur de nos armes et l'intégrité de notre territoire. Leur roi de Prusse, c'est leur ambition, c'est leur orgueil, c'est leur fortune à faire, c'est leur convoitise, c'est leur fiel, c'est le plaisir de pêcher en eau trouble, de se dorer sur toutes leurs coutures et dans toutes leurs poches, de passer des marchés, d'échanger leurs mansardes contre des palais et leurs crêmeries contre des salles de Lucullus, de s'en donner à cœur joie au milieu de nos misères et de nos angoisses, de se faire une richesse avec notre ruine, de posséder le monopole des fournitures et des commandes, de prodiguer des millions à la création de camps fantastiques dont on revend plus tard les débris et les déblais pour quelques centaines de francs, d'éblouir de leur luxe, de leur mobilier, de leurs festins, de leurs équipages, de leur insolence, ceux qui les ont vus besoigneux, râpés, tarés, misérables, furieux de leur néant et certains de n'être quelque chose que quand les honnêtes gens ne seraient plus rien. Leurs WELCHES, c'est vous, c'est moi, c'est quiconque personnifie une supériorité sociale,

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