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La scène se passe au palaîs de Versailles dans la salle de la bibliothèque de l'Assemblée nationale. Tableaux d'Horace Vernet représentant la prise de Constantine, le bombardement de Saint-Jeand'Ulloa, l'attaque de la citadelle d'Anvers. Près de la porte d'entrée, les bustes en marbre de Dupont (de l'Eure) et du général Cavaignac. A droite, une table sur laquelle sont placés des journaux et des revues. A gauche, une autre table avec tout ce qu'il faut pour écrire.

SCÈNE PREMIÈRE.

M. MORTIMER-TERNAUX, puis M. THIERS.

M. Mortimer-Ternaux est assis et tient à la main le dixième volume de l'HISTOIRE DU CONSULAT ET DE L'EMPIRE. Entre M. Thiers.

-

M. MORTIMER-TERNAUX.

Vous me surprenez lisant un de vos volumes.

(1) Ces pages ont paru dans la Revue de Bretagne et de Vendée (novembre 1871), accompagnées de la note suivante

«

Pendant que ce Dialogue était sous presse, nous avons eu la douleur d'apprendre la mort de M. Mortimer-Ternaux. Il laisse ina

M. THIERS.

Vous espérez sans doute y trouver matière à quelque nouvelle tracasserie (1) ?

M. MORTIMER-TERNAUX.

Le ciel m'en préserve! Du moment que la moindre observation, si elle vous touche, est un crime abominable et que rien ne peut atténuer, pas même une amitié de trente ans, je n'aurai garde de me laisser tenter à l'avenir par l'occasion et l'herbe

chevé un grand et beau livre, l'Histoire de la Terreur. Les longues et patientes études auxquelles il s'était livré pour la composition de son histoire avaient fait de cet homme de bien et d'honneur un chrétien fidèle, un royaliste convaincu. Dans les derniers mois de sa vie, il s'éloignait chaque jour davantage de la voie dans laquelle s'était engagé M. Thiers, longtemps son guide et son ami. Ses consciencieuses recherches sur la Révolution l'avaient conduit à se défier de M. Thiers historien. De là à se défier de M. Thiers homme d'Etat, il n'y avait qu'un pas : M. Mortimer-Ternaux le franchit. Eut-il donc si grand tort?»

(1) Dans la séance du 11 mai 1871, M. Mortimer-Ternaux appela l'attention de l'Assemblée nationale sur le récit publié par les délégués de Bordeaux, qui s'étaient présentés en conciliateurs à Versailles et à Paris et avaient vu tour à tour M. Thiers et les membres de la Commune. Le langage qu'ils plaçaient dans la bouche de M. Thiers était tellement étrange que M. Mortimer-Ternaux exprima l'espoir de le voir démenti. M. Thiers, qui avait les meilleures raisons du monde pour ne point le démentir, se fâcha et fit une scène, allant jusqu'à menacer l'Assemblée de donner sa démission de chef du pouvoir exécutif. Un très-court extrait du compte rendu officiel de cette orageuse séance doit ici trouver place :

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M. THIERS, chef du pouvoir exécutif. Exposé à tous les dangers, je rencontre ici — pardonnez-moi le mot une tracasserie...

tendre, et je ne veux plus tendre dans votre pré, · même la largeur de ma langue.- La recherche à laquelle je me livre se rattache tout simplement à un pari que j'ai fait hier avec le vicomte de Meaux.

M. THIERS.

Et à quelle occasion, s'il vous plaît ?

M. MORTIMER-TERNAUX.

Le voici. Je causais avec lui de la Révolution; la Révolution nous a conduits au Consulat et à

(Murmures et réclamations sur un certain nombre de bancs à droite. Applaudissements à gauche et au centre.)

Je proteste contre l'expression dont

M. Mortimer-Ternaux. M. Thiers vient de se servir. M. Thiers. - J'ai raison, je l'affirme, j'ai raison... Je maintiens le mot. (Murmures à droite. Nouveaux applaudissements à gauche et sur divers autres bancs dans les différentes parties de l'Assemblée.)

...Je ne puis pas gouverner dans de telles conditions.

mande à l'Assemblée un ordre du jour motivé.

Sur des bancs à gauche : Très-bien ! très-bien!

M. Thiers. - Ma démission est prête. (Mouvement.)

--

Je de

M. Mortimer-Ternaux. Je fais juges l'Assemblée et la France entière de la question de savoir si j'ai dans une seule de mes paroles attaqué M. le Président du Conseil.

M. Thiers.

- Oui, monsieur, je me tiens pour attaqué et pour offensé. Je n'admets pas d'équivoque. Si vous vous tenez pour attaqué, adressez-vous à moi. Je veux une explication et une compensation à vos indignités à mon égard. (Exclamations à droite.)

M. Mortimer-Ternaux....Il n'y a pas eu la moindre équivoque dans mes paroles. Le Journal officiel pourra le constater.... Je n'ai point attaqué, ni par des équivoques, ni par des paroles, M. le Président du Conseil. (Assez! assez !) Je regrette d'être oublié, sans motif, d'une amitié qui datait de trente ans.

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l'Empire de l'empereur, par une transition naturelle, nous sommes arrivés à vous, M. Thiers. (Ici, M. Thiers se redresse et place ses deux mains derrière sa redingote... noire, à la façon du grand homme.) A la suite de beaucoup d'éloges donnés à votre livre, de Meaux glissa quelques critiques. (M. Thiers fronce les sourcils.) Il insistait notamment sur ce point que les peuples ne tenaient, dans vos vingt volumes, aucune place; que vous négligiez de faire connaître quelles avanies, quelles exactions, quelles insultes avaient soulevé dans leur âme des trésors de colère et fait prévaloir, sur un long effroi, la soif de l'indépendance. «< En 1809, ajoutait-il, le Tyrol, cette Vendée de l'Autriche, résiste, sous la conduite d'un nouveau Cathelineau, à l'oppression étrangère, chasse les Bavarois, désarme deux régiments, arrête le prince Eugène, et, dans son isolement, maintient longtemps, sur ses libres montagnes, la suzeraineté de l'Autriche absente. M. Thiersc'est toujours de Meaux qui parle n'arrête pas là ses regards, et l'on cherche vainement, sous sa plume, le nom d'un des plus nobles adversaires, d'une des plus pures victimes immolées par le conquérant implacable, le nom glorieux et vénéré d'André Hofer (1). » Je me suis récrié; j'ai dit que cela était impossible, et que vous aviez consacré

(1) Vicomte de Meaux, Le Premier Empire et son Historien. Correspondant, 1868, p. 264.

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