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II

A LA PORTE DE LA CHAMBRE

M. Glais-Bizoin, M. de Tillancourt, le marquis d'Andelarre, le vicomte de Meaux, M. Victor de Laprade, M. Vitet, premier huissier, second huissier, groupes de députés.

La scène se passe au Grand-Théâtre de Bordeaux, dans la salle des Pas-Perdus, le jour de l'ouverture de l'Assemblée nationale (12 février 1871).

SCÈNE PREMIÈRE.

M. GLAIS-BIZOIN, entrant par la gauche; PREMIER HUISSIER, auprès de la porte de droite.

M. GLAIS-BIZOIN.

Personne encore!

PREMIER HUISSIER, s'approchant.

Bonjour, monsieur Glais-Bizoin..... Est-ce que vous ne me remettez pas ? Nous sommes pourtant

Il y revient; son orgueil, sa vanité, son égoïs me, l'ivresse de ce pouvoir personnel qu'il a tant critiqué chez les autres, tout l'y ramène et l'y retient; la droite le gêne, la gauche le flatte; l'une lui rappelle discrètement qu'il tient la place d'un roi; l'autre lui dit ou lui fait dire qu'il peut être roi comme tout le monde. Son cœur appartient à qui prolongera cette royauté temporaire. N'osant pas être Cromwell, ne voulant pas être Monk, ne pouvant pas être Washington, il se contente d'être Thiers premier et dernier, sans postėrité probable, avec Gambetta pour héritier possible. Aujourd'hui, il est bien plus loin de ceux qui l'acceptèrent pour chef que de ceux qu'on avait cru supprimer en le nommant; doué de l'esprit des petites choses, privé de l'instinct des grandes, il sait gré à ceux qui lui conservent et en veut à ceux qui lui disputent cette souveraineté au jour le jour, menacée par son acte de naissance, mais dont les voluptés mesquines suffisent à son orgueil. Il cajole la démagogie qui lui permet de régner en attendant qu'elle le dévore. Plus soucieux de la minute présente que des horizons de l'Histoire, il place à fonds perdus sa gloire, son prestige et sa puissance. Il refuse de com

prendre que sa grandeur eût commencé le jour où ses grandeurs auraient fini, et que le sacrifice qui eût abrégé son pouvoir aurait éternisé son nom. Il ne recueillera pas même le fruit de cet étroit calcul; il a été la fatalité de trois monarchies; il ne sera pas la Providence de la République.

Il n'y a rien là, malheureusement, que de très-simple. Il est permis de s'en affliger; se fàcher, à quoi bon? s'étonner serait naïf; se plaindre trop haut serait inutile; le mieux est de lire et de relire, dans les Dialogues des vivants et des morts, le chapitre intitulé les Tracasseries de M. Mortimer-Ternaux, ou, si l'on veut, M. Thiers taquiné par M. Ternaux. C'est une des perles du volume, et jamais on ne prouva mieux à quel point le tracassier de 1866, l'adversaire de M. Rouher, le Président actuel de la République française, a été, en réalité, non pas l'historien ou le juge, mais l'avocat de Napoléon; avec quelle ténacité d'admirateur, d'enthousiaste ou d'apologiste. il s'est fait son introducteur et son répondant auprès de ses contemporains. Parler ainsi du premier Empire, c'était préparer le second. Appuyée sur des textes, aiguisée en fines épigrammes, douée d'une sorte de divination ré

trospective, la prodigieuse mémoire de l'auteur équivaut ici au plus inflexible des réquisitoires. De ces citations sans réplique jaillissent deux vérités qui caractérisent en entier et dessinent de pied en cap le Thiers de 1872... hélas! et ses électeurs de 1871. Cet habile homme que nous avons tous nommé, le 8 février, comme le type le plus parfait d'une réparation dans le sens monarchique, a été et est resté révolutionnaire jusqu'aux moelles; ce libre et judicieux esprit en qui nous avons aimé surtout l'antipode et l'antidote de l'impérialisme, a servi de trait d'union entre la gloire de Napoléon Ier et l'avénement de Napoléon III: quod erat demonstrandum, comme disent les géomètres.

S'il est vrai, comme nous le rappellent ces curieux et ingénieux Dialogues, que, parmi les acteurs ou les comparses, passés ou présents, de la comédie lugubre, du mélodrame grotesque dont notre honneur et notre argent paient les frais, bien peu aient compris, accepté ou accompli leur tâche, que les sauveurs aient été rares ou impuissants, les maléfices innombrables et terribles, que la politique et la guerre nous aient également trahis en la personne et par la faute de nos défenseurs

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