Images de page
PDF
ePub

grimper sur un arbre. Ah! mon Dieu! voilà le chien furieux qui repasse le ruisseau! Il s'élance vers eux; il va les atteindre. Valentin! montez, montez donc vite sur l'arbre avec La Bouvardière... Ah! grand Dieu ! il est trop tard!... Il est atteint!... Non, non; il se cache derrière un hêtre ; il tourne autour, poursuivi par le chien! Ah!... il s'arrête, hors d'haleine... Il tient son épée à deux mains, le dos appuyé contre l'arbre. Ah! ah! tout est fini ! Lantara s'est précipité sur lui... Valentin! âme héroïque ! je veux mourir avec toi. »

LE MARQUIS D'ANDELARRE.

Et elle meurt ?

M. DE TILLANCOURT.

Marquis, rassurez-vous. Valentin, le dos toujours appuyé contre l'arbre, attend le chien de pied ferme et lui enfonce son épée si vigoureusement derrière l'oreille, que Lantara tombe raide mort, la tête fixée au sol où il reste sans mouvement, comme un papillon cloué au mur par une épingle1.

(Un soupir de soulagement s'échappe de toutes les poitrines. Les députés qui entourent M. Glais-Bizoin lui adressent de chaleureuses félicitations.)

M. DE TILLANCOURT.

Vous le voyez, messieurs, la pièce de mon ami Glais-Bizoin a du feu, de la passion, du style; elle a surtout du chien. (Murmures d'approbation dans l'auditoire.)

Le vrai Courage. Acte II, scènes VIII, IX et XII.

SCÈNE III.

Les mêmes, LE SECOND HUISSIER, puis M. DE MEAUX, M.

VICTOR DE LAPRADE ET M. VITET.

LE SECOND HUISSIER, entrant.

Messieurs, la séance va commencer.

M. DE TILLANCOURT, se dirigeant vers la porte de la salle. Glais-Bizoin, j'aime tout dans votre pièce, jusqu'à ses titres, car elle en a trois : Le vrai Courage, ou un Duel en trois parties, ou une Femme pour enjeu.

Vos titres ont toujours quelque chose de rare.

Il n'est pas jusqu'à cette simple ligne écrite par vous à la première page de votre comédie: La scène se passe sous le règne de Louis-Philippe, qui n'ait pour moi un charme inexprimable. Sous le règne de Louis-Philippe ! Je ne puis lire ces mots sans rêver, sans me reporter à ces années, hélas! évanouies, où Mauguin allait en guerre, où Garnier-Pagès faisait de si beaux discours...

M. GLAIS-BIZOIN, étonné.

Garnier-Pagès ?

[ocr errors]

M. DE TILLANCOURT.

Oui, l'Autre; où Arago plaidait avec génie, à la tribune', la cause des sciences...

M. GLAIS-BIZOIN, stupéfait.

Du génie ? Arago? ... Ah! oui, l'Autre.

[ocr errors]

M. DE TILLANCOURT.

Où le général Bertrand, retour de Sainte-Hélène, s'écriait à la fin de chacune de ses harangues : Liberté illimitée de la presse ! où monsieur Odilon Barrot se servait de son éloquence pour défendre nos institutions, et au besoin pour les combattre; où Luneau ébauchait avec Deslongeais ce qui devait être plus tard le parti Pestel; - où Charlemagne votait avec Charamaule et Isambert avec Lherbette; - où vous-même, Glais-Bizoin, à cheval sur l'interruption, vous caracoliez sur les ailes de l'opposition dynastique; - où le député Chambolle...

M. GLAIS-BIZOIN, avec un sourire mêlé d'une larme. Ce brave Chambolle !

M. DE TILLANCOURT.

Où le député Chambolle rédigeait le Siècle, que rédigea depuis le député Havin.

M. DE MEAUX, en passant (à demi-voix).

La sottise est de tous les Siècles.

M. DE TILLANCOURT.

Quel affreux jeu... de Meaux.

(M. Glais-Bizoin, que les souvenirs évoqués par M. de Tillancourt ont plongé dans un doux ravissement, veut entrer avec lui dans la salle des séances.)

SECOND HUISSIER.

Daignez m'excuser, monsieur Glais-Bizoin, mais

je ne puis vous laisser entrer. Je vais vous faire donner une place dans la loge réservée aux anciens députés.

M. GLAIS-BIZOIN, portant la main à son front.

Ah! c'est vrai, malheureux que je suis! J'oubliais que je ne suis plus député.

Plus ne m'est rien, rien ne m'est plus.

(I contemple avec désespoir la porte de la salle. Entrent M. Victor de Laprade et M. Vitet.)

M. DE LAPRADE, à M. Vitet.

Nous avons pris le plus long, mon cher confrère, et j'ai peur que nous ne soyons en retard. (Apercevant le groupe formé par M. Glais-Bizoin, qui tient à la main son chapeau gris, et par l'huissier, qui tient à la main sa baguette noire, il les montre du doigt à son collègue.) Ne diraiton pas l'archange avec son glaive, défendant à Adam l'entrée du paradis terrestre ?

Debout, foulant du pied le vil serpent dans l'herbe,
L'archange est là, le glaive en main, calme et superbe ;
L'œil fixé sur la porte, Adam pâle, éperdu,
Contemple, frémissant, le Paradis perdu.

M. VITET.

Laprade, avant d'entrer, écoutez une chose:
Un député ne doit jamais parler qu'en prose.

« PrécédentContinuer »