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M. COUSIN, hors de lui, à M. Sainte-Beuve.

Triple gredin! Ah! il y a du Bergamasque en moi! Mais il y a en toi du Trissotin, du de Sade et du..... Sainte-Beuve!

M. JULES JANIN.

Calmez-vous, Monsieur Cousin; souvenez-vous que vous êtes philosophe!

M. COUSIN, toujours furieux.

Moi, philosophe! Je ne l'ai jamais été ! Et puis, philosophe ou non, comment voulez-vous que j'entende de sang-froid de pareilles choses, venant d'un homme comblé de mes bienfaits! C'est moi qui l'ai nommé, en 1840, conservateur à la bibliothèque Mazarine (1)!

M. JULES JANIN.

Eh, mon Dieu, je vois, à côté de vous, M. de Montalembert qui a été, pendant longtemps l'ami de M. Sainte-Beuve. A la fin de 1836, cette amitié était arrivée à son apogée, et M. Sainte-Beuve la consacrait publiquement par un article enthousiaste sur l'Histoire de sainte Elisabeth (2); or, il écrivait à la même heure, dans ses petits papiers, ce qui suit : « Phanor.... » (à M. de Montalembert,) Monsieur le comte, c'est vous...

(1) M. Cousin me

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nomma conservateur à la bibliothèque Mazarine. Ma Biographie, par M. Sainte-Beuve, p. 16. En tête du tome XIII et dernier des Nouveaux Lundis.

(2) Revue des Deux Mondes, 15 janvier 1837.

M. DE MONTALEMBERT, souriant.

Phanor! Hé! hé! voilà qui est mordant.

M. JULES JANIN.

« Phanor est honnête, élevé de cœur, il a du talent, mais point d'originalité vraie, et quelle suffisance! Dès le premier jour où il arrive dans. une maison, il se lance dans un sujet, il parle fort bien pendant une heure. Des hommes distingués, considérables, sont là qui l'ecoutent, bouche close, sans qu'il leur soit possible de glisser un mot. Pendant qu'il parle ainsi sans discontinuer, d'une voix claire, les yeux baissés, une espèce de sourire vague à la bouche (assez gracieux dans son dédain) annonce cette profonde et douce satisfaction, cette intime et parfaite certitude qu'il a de lui-même. Par bonheur, Phanor est religieux, catholique, il croit; sa foi est un beau voile à sa suffisance. Phanor a toujours été disciple de quelqu'un ; il l'a été de Lamennais pour son catholicisme politique, de Hugo pour ses cathédrales. De qui l'est-il aujourd'hui ? Il vient d'Allemagne. Qui a-t-il vu? Je ne sais. Mais qu'importe le nom de son maître? Soyez sûr qu'il en a un; Phanor est né disciple. »

M. DE MONTALEMBERT.

Avouez du moins, Monsieur Sainte-Beuve, que ce pauvre Phanor n'a jamais hanté la cuisine. Laridon pourrait-il en dire autant?

M. JULES JANIN.

Il est temps, mes chers confrères, de clore ces citations. Sat prata biberunt. Je terminerai par les lignes concernant notre vénérable collègue, M. Flourens. << M. Flourens, que je louerais mieux si je n'avais l'honneur d'étre son confrère, s'applique, et chaque fois avec un succès nouveau, à étendre et à enrichir cette forme de l'Eloge académique où il est maître. » C'est M. Sainte-Beuve qui s'exprime ainsi dans ses Causeries du Lundi, (') tandis qu'il glisse ailleurs cette note: « Le doucereux Flourens, dit M. Molé; ne vous y fiez pas. Montesquieu disait de je ne sais plus qui : « Il est si doux qu'il me fait l'effet d'un ver qui file de la soie. » Flourens me fait l'effet d'une couleuvre plus ou moins innocente qui glisse sur l'herbe (2). »

M. FLOURENS, avec douceur.

Ce n'est pourtant pas moi qui ai définí M. Sainte-Beuve: Une vipère sur un fumier!

(Depuis quelque temps tous les académiciens se sont peu à peu éloignés de M. Sainte-Beuve, qui n'a plus auprès de lui que le général Husson. )

M. LE DUC DE BROGLIE.

Messieurs, vous m'avez fait l'honneur de me choisir, il y a quelque jours, pour votre Directeur.

(1) Tome X, p. 10.

(2) Sainte-Beuve, Notes et pensées.

A ce titre, je pourrais vous demander d'appliquer à M. Sainte-Beuve l'article XIII de nos Statuts, aux termes duquel notre Compagnie a le droit de destituer l'académicien qui aura fait une action indigne d'un homme d'honneur. Je ne Vous engagerai cependant point à aller jusque-là. Peutêtre est-il de notre devoir de tenir compte à M. Sainte-Beuve de son amour passionné pour les lettres et de nous rappeler que, si son caractère fut misérable, son talent, souple, vif, ingénieux, s'est montré souvent exquis et quelquefois même noble et élevé. Je vous propose donc de prononcer contre M. Sainte-Beuve la peine qui vient immédiatement après celle de la radiation, et de décider qu'il sera mis en quarantaine.

TOUS LES ACADÉMICIENS.

Oui, oui, adopté !

M. LE DUC DE BROGLIE.

M. Sainte-Beuve, au nom de l'Académie, je prononce contre vous la peine de la quarantaine, et, en mon nom particulier, je vous interdis à perpétuité de me saluer, quand nous nous rencontrerons.

(Tous les académiciens, à l'exception de M. Jules Janin, se relirent, suivis de M. Pingard qui ne peut retenir ses larmes.)

SCÈNE VI.

M. SAINTE-BEUVE, M. JULES JANIN, LE GÉNÉRAL

HUSSON.

M. JULES JANIN.

Eh bien, général, vous restez ?

LE GÉNÉRAL HUSSON.

Oui, je reste. Je n'abandonnerai pas mon collègue dans son malheur. Je suis loin d'approuver. ses procédés envers ces messieurs de l'Académie. Mais, après tout, ces querelles littéraires me touchent peu. Ah! si M. Sainte-Beuve avait attaqué le Sénat, ce serait autre chose !

M. JULES JANIN.

Croyez-vous donc qu'il ait épargné davantage ses collègues du Sénat? Vous aimez beaucoup le baron Charles Dupin ?

LE GÉNÉRAL HUSSON.

Si je l'aimais! Un si excellent homme, si charmant, et qui parlait si bien !

M. JULES JANIN, rouvrant son carnet.

Apprenez donc ce que M. Sainte-Beuve en a dit dans ses petits papiers: « Le baron Charles Dupin Ni chair, ni poisson; un savant ou demi-savant qui, depuis près de cinquante ans, parle de tout, se mêle de tout, rabâche de tout;

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