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ROCHEFORT.

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Entre nous, je ne donnerais pas 45 centimes pour qu'il eût été nommé. Mais ce n'est point de cela qu'il s'agit pour le moment. Débarqué de ce matin, j'ignore entièrement ce qui s'est passé en province depuis cinq mois, depuis que vous avez quitté Paris avec Fourichon et Glais-Bizoin. Nous recevions bien de temps en temps des nouvelles par nos pigeons, mais je ne l'étais point assez, pas n'est besoin de vous le dire, pour croire un traître mot des messages que ces honnêtes volatiles nous apportaient sous leurs ailes. (Il fredonne) :

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Pigeons, vous que la Muse antique

Attelait au char des Amours,

Où volez-vous ?....

Voyons, que s'est-il passé? Qu'avez-vous fait à Tours et à Bordeaux?

Me CRÉMIEUX.

Je suis prêt à vous répondre; mais est-ce au ministre de la guerre ou bien au ministre de la justice que vous voulez parler? car j'ai été l'un et l'autre.

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Me CRÉMIEUX.

Attendez donc, s'il vous plaît.

(Maître Crémieux ôte son pardessus et paraît vêtu en général de division; il décroche à une patère un képi orné de six galons d'or et le place sur ses cheveux grisonnants et crépus.)

ROCHEFORT, à part.

Quelle diantre de cérémonie est-ce là? Je n'ai rien imaginé de si drôle, lorsque j'ai écrit pour le Palais-Royal la Vieillesse de Brididi. Quel képi, et comme Victor Hugo serait heureux s'il pouvait en mettre un pareil sur son front olympien !

Me CRÉMIEUX, époussetant avec sa main droite les sextuples galons de sa manche gauche.

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J'ai commencé par chercher un homme, et pour cela....

ROCHEFORT, souriant.

Vous avez allumé votre lanterne ?

Me CRÉMIEUX, de même.

Précisément, et quoique ma lanterne ne vaille pas la vôtre, j'ai trouvé l'homme qu'il fallait à la

France... en Italie. J'ai écrit à Garibaldi: Venez, la République vous appelle! Certains journaux avaient bien publié une lettre de l'illustre général, où il faisait des vœux pour la défaite de la France et le triomphe de la Prusse ('); mais c'était là un petit détail. N'avait-il pas, dans une autre lettre, comparé la papauté à un chancre et l'Église catholique à un ulcère? Ces deux mots valaient bien un commandement, sans doute. Je télégraphiai donc à Marseille de lui faire une réception grandiose, et m'en remis, pour l'exécution de ce programme, à notre ami Esquiros, qui venait de se signaler dans les Bouches-du-Rhône, en ouvrant bravement le feu contre les Jésuites.

ROCHEFORT.

C'était à merveille, et je ne saurais trop applaudir à votre initiative. Mais, Garibaldi une fois à Tours, qu'en avez-vous fait ? Car, entre nous, le bonhomme Giuseppe n'est qu'une héroïque ganache.

Me CRÉMIEUX.

A qui le dites-vous, et qui le sait mieux que moi? Nous avions au siége de la Délégation, en même temps que lui et ses fils, des républicains espagnols, Castelar et Orense, des républi

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(4)‹ J'ai désiré le triomphe des armes prussiennes..... » Lettre de Garibaldi à M. Schon, à Stockholm, 6 septembre 1870.

cains d'Amérique, des républicains hongrois, voire même des républicains russes; tous s'étaient donné rendez-vous à Tours.

ROCHEFORT.

Je vois cela d'ici : la Tour de Babel.

Me CRÉMIEUX.

Je nommai Garibaldi au commandement de l'Armée des Vosges, et bientôt commença, pour lui et pour Ricciotti, son bâtard, une série de victoires que les journaux et leurs lecteurs trouvèrent toutes naturelles. Un garde mobile français s'étant emparé d'un drapeau allemand, le pre

mier et le seul qui ait été conquis sur l'ennemi dans cette guerre, le télégraphe apprit aussitôt à l'Europe que ce trophée avait été conquis par Ricciotti. Les journaux cléricaux ont bien, il est vrai, produit un certificat du garde mobile établis sant que Ricciotti lui avait acheté le drapeau deux cents francs...

ROCHEFORT.

Qu'est-ce que cela prouvait ?

Me CRÉMIEUX.

Cela prouvait justement que le drapeau était bien à Ricciotti...

ROCHEFORT.

Puisqu'il l'avait acheté ! Et Garibaldi lui-même,

qu'en faisiez-vous ?

Me CRÉMIEUX.

Oh! nous ne l'oublions pas. La renommée grossissait ses plus petits succès et, comme nous n'avions garde de parler de ses échecs et de ses débâcles, il sera permis de le signaler à l'Assemblée comme le seul de nos généraux qui n'ait pas été vaincu. Il y a peu de jours encore, en même temps que nous apprenions à la France la fatale issue de la sortie du 19 janvier, nous lui annoncions que Garibaldi venait de remporter sous Dijon une grande victoire. Vous devinez aisément l'effet de pareilles dépêches. La France était immédiatement rassurée, consolée... (Avec attendrissement:) Cette brave France! - D'autre part, ces perpétuelles victoires d'un général républicain mises en regard des défaites perpétuelles de nos généraux français, presque tous réactionnaires, faisaient pénétrer peu à peu dans l'esprit du peuple cette vérité que victoire et République sont synonymes.

ROCHEFORT.

Vérité indéniable, et que les derniers événements viennent de mettre dans tout son jour ! -Vos services n'ont pas dû se borner là ?

Me CRÉMIEUX.

J'ai confié des commandements à des journalistes, à des médecins, à des pharmaciens...

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