Images de page
PDF
ePub

choses, Gambetta. J'hésite pourtant à vous pré

senter à mon ami Guicciardin.

LÉON.

Vous voulez dire sans doute Girardin? Est-ce que le pauvre diable ?...

ÉMILE, haussant les épaules.

Je parle de Francisco Guicciardini, l'auteur des Avis et conseils en matière d'Etat. Je crains, si je vous présente à lui et à mon autre ami Machiavel, qu'ils ne vous demandent, par exemple, ce que vous avez fait en matière d'élections. Comme moi, je le sais, vous avez déclaré dans tous vos discours que le suffrage universel était chose sacrée, qu'il n'y fallait pas toucher, même du bout du doigt, et que la plus légère atteinte à la liberté électorale était le plus monstrueux des attentats.

LÉON.

Certes, je l'ai dit et suis prêt à le redire...

EMILE.

C'est fort bien; mais avez-vous, comme moi, écrit à tous vos préfets de déployer une activité dévorante ? Avez-vous fait placarder à la porte de toutes les mairies, le jour même du vote, des affiches annonçant la découverte d'un affreux complot? () Avez-vous....

(1) Tout en signalant la manœuvre électorale qui contribua si puissamment au succès du plébiscite du 8 mai 1870, il convient,

LÉON.

J'ai fait plus et mieux que tout cela. J'ai écrit à mes préfets de m'envoyer, par tous les moyens, des députés républicains. Je leur ai donné des instructions pour que le vote ne pût avoir lieu qu'au chef-lieu de canton. J'ai rendu un décret par lequel je déclarais inėligible toute une catégorie de citoyens.

ÉMILE (à part).

Mon génie étonné tremble devant le sien.

(Haut.) Vraiment, vous avez fait cela? Touchez là, mon ami. (D'un air solennel et convaincu :) Gambetta, vous êtes un grand homme, plus grand encore que moi. Non, non, mon ami, ne vous récriez pas ; je le dis comme je le pense. Qu'ai-je été, après tout? Mirabeau, Benjamin Constant et Lamartine. Oh! mon Dieu! pas davantage. Mais vous, mon ami, vous ! vous avez été à la fois ministre de la guerre comme Le Bœuf, général d'armée comme Napoléon III, et ministre de l'intérieur comme Emile Ollivier. (Ils se jeltent dans les bras l'un de l'autre). - Un heureux hasard nous a justement conduits à la porte de mon cercle.

(Ils s'arrêtent au pied d'un escalier de marbre, devant un superbe édifice dont la façade renferme des milliers de petites niches avec des milliers de statues).

pour être juste, de reconnaitre que le complot de Flourens et de ses co-accusés était aussi réel qu'il était affreux. Les déclarations de Flourens lui-même ne permettent pas de conserver à cet égard le plus léger doute.

LÉON.

Peste! quel cercle! Dante Alighieri n'avait pas prévu celui-là.

ÉMILE.

C'est Morny qui en est le président. Il sera ravi de faire votre connaissance. Nous vous présenterons tous les deux, et je puis vous donner l'assurance que vous ne serez pas blackboulé. En attendant, vous pouvez toujours venir visiter les salons. (Ils gravissent les marches de l'escalier.) Donnez-vous donc la peine d'entrer.

LÉON.

Veuillez passer le premier.

ÉMILE.

Après vous.

LÉON.

Après vous.

ÉMILE.

Après vous, s'il vous plaît.

(A peine ont-its franchi le seuil, que Philis arrive d'un côté el Laurier de l'autre).

LAURIER, apercevant PHILIS. (Bas.)

Ecce iterum Philis! ce républicain inflexible qui, après avoir célébré le groupe harmonieux et sombre d'Harmodius et d'Aristogiton, s'est con

(1) Discours de rentrée à la Conférence des avocats de Paris, par M Philis, 1855.

verti à l'Empire la veille de sa chute. Je ne sais

pas s'il espère toujours. (Il fredonne:)

Simple, modeste, sage

Et beau comme Philis,
Porter sur son visage
Des roses et des lis,
Sur son manteau de bure

Des feuilles d'olivier :

Eh gai! c'est la parure

De l'ami d'Ollivier.

PHILIS, apercevant LAURIER. (Bas.)

Voici de rechef Laurier, cet homme flexible qui, après avoir été à Tours le laurier d'Apollon-Crémieux, est devenu à Bordeaux le laurier de MarsGambetta! C'est drôle, je lui trouve un air

d'emprunt. (Il chante sotto voce : )

Faire un discours habile
Que nul ne trouve long;
Au-dessus de la Ville
S'élever en ballon;
Unir en conscience
Au pampre le laurier:

Eh gai! c'est la science

De l'ami de Laurier.

(Ils vont à la rencontre l'un de l'autre.)

LAURIER.

Puisque nos maîtres se sont donné la main, notre devoir, Philis, n'est-il pas de faire comme eux? (Il lui tend la main, que Philis saisit

avec empressement.) Ils se sont embrassés; em

brassons-nous, Philis.

(Ils se jettent dans les bras l'un de l'autre).

PHILIS.

Qu'allons-nous devenir? Depuis qu'Ollivier n'est plus là, je suis comme une Ombre en peine.

LAURIER.

Tu t'embarrasses de peu. En serviteurs fidèles, nous devons imiter nos maîtres et suivre de notre mieux leurs exemples.

D'accord.

PHILIS.

LAURIER.

Eh bien! Philis, notre chemin est tout tracé.

(Montrant du doigt la porte d'un cabaret, au-dessus de laquelle un petit tableau en terre cuite représente deux hommes qui portent une amphore):

Nos maîtres sont au cercle: entrons au cabaret.]

Après vous.

PHILIS.

LAURIER.

Après vous.

PHILIS.

Après vous, s'il vous plaît.

« PrécédentContinuer »