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SCÈNE II.

Devant la présidence du Corps législatif.

NAPOLÉON.

Je ferais peut-être bien d'entrer un instant à la présidence, pour prendre langue et savoir de Schneider ce qui s'est passé depuis le plébiscite. Autrement, il m'arrivera encore de prêter à rire, aux Tuileries, par mon ignorance des événements les plus récents et les plus considérables. (S'adressant au concierge.) M. le président est-il chez lui ?

Quel président?

LE CONCIERGE.

NAPOLÉON.

Hé! le président Schneider.

LE CONCIERGE.

M, Schneider est ailleurs (1).

NAPOLÉON.

Le Corps législatif est donc en vacances?

LE CONCIERGE.

Vous moquez-vous de moi? Je ne suis point d'humeur à jouer le rôle de Pipelet, et vous, mon

(1) On sait qu'en allemand Schneider vent dire Tailleur, et que c'est sous le nom de M. Tailleur que l'ancien président du Corps. législatif figure dans le roman-pamphlet publié par Me Wyse-Ratazzi (née Bonaparte) sous ce titre : le Mariage d'une créole.

me

bonhomme, vous ne me paraissez plus d'âge à jouer

celui de Cabrion.

NAPOLÉON.

Je vous assure, monsieur le concierge...

LE CONCIERGE, d'un ton goguenard.

Je vois ce que c'est... Monsieur arrive de Quimper-Corentin par la diligence qui descend rue Notre-Dame-des-Victoires. Hé bien! puisqu'il en est ainsi, apprenez donc que le Corps législatif a été envahi et dissous le 4 septembre dernier ; que le général Bergeret lui-même occupe présentement l'hôtel de la présidence, et que la Chambre est transformée en un atelier de cartouches. Sur ce, monsieur le rural, bonne nuit.— (Il ferme la porte de la loge.)

NAPOLÉON reste fixé à sa place, sombre et préoccupé; au bout de quelque temps, son visage s'éclaircit. Il reprend sa marche dans la direction des Tuileries.

Allons, mon neveu aura fait un nouveau coup d'Etat, et le 4 Septembre aura été le couronnement de l'édifice du 2 Décembre. Appuyé sur les sept millions de Oui du plébiscite, il a balayé la Chambre, mis Ollivier à la porte et rapporté les décrets du 19 janvier. Bravo! Louis, je reconnais là le vieux bras de l'Empereur. - Qu'est-ce que c'est que ce général Bergeret? Je n'en ai jamais entendu parler. C'est égal, du moment que c'est un général, c'est tout ce qu'il faut. Oui, plus j'y

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réfléchis, et plus je me persuade que les choses ont dû se passer de la sorte. Après sa grande victoire du 8 mai, Louis aura fait ce que j'aurais fait moimême si j'avais été vainqueur à Waterloo. Je me serais débarrassé de Benjamin Constant, l'Emile Ollivier de ce temps-là ;-j'aurais déchiré mon Acte additionnel et mis à la porte tous ces idéologues de la Chambre des représentants. Quant à leur président Lanjuinais, je l'aurais remplacé avantageusement par quelque général qui aurait bien valu Bergeret, le général Mouton, par exemple. (Il se frotte les mains.) Et ce brave Thiers, qui a consacré tout un volume à démontrer que j'étais sincèrement converti aux idées libérales et que j'avais accepté, sans arrièrepensée, mon rôle de souverain constitutionnel! Je ne puis y penser sans rire! (Il rit. On entend de nouveau le bruit du canon.) Cela tient sans doute à ce que la nuit s'avance; j'ai froid. Hâtons le pas.

SCÈNE III.

Sur la place du Carrousel, à la grille du palais

des Tuileries.

LE FACTIONNAIRE.

On ne passe pas.

NAPOLÉON.

Je vais chez l'Empereur.

LE FACTIONNAIRE, à part.

C'est un fou. (Haut.) L'Empereur n'y est pas.

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NAPOLÉON, avec enthousiasme.

Je suis sûr qu'au lendemain du plébiscite, maître absolu de la France, et, par la France, arbitre de l'Europe, il a jeté aux quatre vents du ciel les traités de 1815! (Avec une exaltation croissante.) Il a déclaré la guerre au gouvernement britannique. Il a envahi la Belgique, renversé le lion de Waterloo, et, avec sa flotte cuirassée, jeté une armée sur les côtes de la Grande-Bretagne ! Et maintenant, d'après ce que vous me dites, il est à Londres! Il traverse en triomphateur les rues de la Cité!

LE FACTIONNAIRE, bas.

Le pauvre homme est fol à lier!

(Quelques coups de canon se font entendre du côté de P'Arc-de-Triomphe).

NAPOLÉON.

Dites-moi, mon ami, qui est-ce qui fait tirer le

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Je suis bien aise de ce que vous me dites là. Adieu, mon ami. (Il s'éloigne.) Tout cela s'explique à merveille. Au moment d'engager contre l'Angleterre cette lutte suprême, Louis a compris qu'il devait confier le ministère des relations extérieures à l'auteur du Consulat et de l'Empire, à celui que, dans une circonstance solennelle, il a si justement appelé « un historien illustre et national. » — (Réfléchissant.) Quel déplorable malentendu a donc pu séparer si longtemps Louis Bonaparte et Thiers, l'héritier de l'Empire et l'écrivain qui a consacré son talent à célébrer l'Empire, l'auteur des Idées napoléoniennes et l'homme d'Etat qui a le plus fait pour répandre ces idées au sein de la nation! Ce fâcheux état de choses a enfin cessé, et « l'ardent ami de Napoléon Ier 2 » est aujourd'hui le principal ministre de Napoléon III... (Nouveaux coups de

1 Discours de Napoléon III à l'ouverture du Sénat et du Corps législatif, session de 1860.

2 Thiers, Histoire du Consulat et de l'Empire, tome XII, avertissement.

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