Images de page
PDF
ePub

canon du côté de Neuilly.) Thiers vient d'apprendre quelque grande victoire remportée par l'Empereur, et il fait tirer le canon pour célébrer la revanche de Waterloo! Comme je voudrais que Wellington et Blücher entendissent les éclats de cette grande voix ! Blücher surtout, ce gueux de Blücher! je voudrais qu'il fût aux portes de Paris, sous nos remparts, à Saint-Denis par exemple. son ancien quartier général, et que de là il prêtât l'oreille à ces salves formidables, qui lui apprendraient qu'une ère nouvelle de triomphe et de grandeur s'ouvre pour la France et pour les Bonaparte!

(Minuit sonne à l'horloge des Tuileries. Napoléon sort de la place du Carrousel, par le guichet de la rue de Rivoli.)

SCÈNE IV.

Dans la rue de Rivoli.

Deux compagnies du 112e bataillon, venant de l'Hôtelde-Ville, et se rendant sur la place de la Concorde, traversent la rue. La musique joue l'air du SALUT DE LA FRANCE. 1

NAPOLÉON, avec satisfaction.

Je reconnais cet air-là. (Il fredonne :)

Veillons au salut de l'Empire!...

Le Salut de la France, hymne républicain composé en 1792, a dû à son premier vers de devenir sous le premier Empire un chant officiel.

Mais quel est cet uniforme? (A un passant.) Monsieur, pourriez-vous me dire quels sont ces soldats?

LE PASSANT.

Monsieur, ce sont des fédérés.

NAPOLÉON.

Ah! très-bien ! C'est un souvenir des CentJours. (Il se dirige vers la rue de Castiglione.) J'avais consenti à ce que l'on formât des bataillons de fédérés à Paris et à Lyon, et je me rappelle que, passant en revue ceux de la capitale, dans la cour des Tuileries, le 14 mars 1815, je leur adressais ces paroles : « Soldats fédérés des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau, vos bras robustes et faits aux plus pénibles travaux sont plus propres que les autres au maniement des armes. Soldats fédérés, je suis bien aise de vous voir. J'ai confiance en vous. Vive la Nation! » Je reconnais d'ailleurs aujourd'hui que j'ai eu tort de ne pas donner à cette institution tout le développement dont elle était susceptible. (A un second passant.) Monsieur, combien Paris compte-t-il de bataillons de fédérés ?

LE SECOND PASSANT.

Monsieur, je crois qu'il y en a deux cent cinquante.

NAPOLÉON.

Deux cent cinquante bataillons de fédérés! C'est admirable! Heureux Paris! Heureuse France!

LE SECOND PASSANT, à part.

Vieux communard, va! (Haut.) Bonne nuit,

citoyen.

Citoyen!

NAPOLÉON, avec étonnement.

SCÈNE V.

Sur la place Vendôme.

NAPOLÉON, regardant la colonne.

Tiens, la colonne est entourée d'un échafaudage.. C'est Thiers qui l'aura fait dresser; il veut évidemment réparer la faute que mon neveu avait commise, il y a quelques années, en changeant ma statue, en supprimant le petit chapeau et en remplaçant la redingote grise par une toge romaine. Je vais reparaître au haut de la colonne, comme il convient, avec mon costume légendaire et tel que je suis resté dans le souvenir du peuple, grâce aux poëtes, grâce surtout à cet excellent Béranger. (Il chante :)

Il avait petit chapeau

Avec redingote grise.

Allons, tout est pour le mieux dans le meilleur des empires possibles. Ma dynastie, retrempée dans les eaux du plébiscite, est inébranlable comme cette colonne. Mon neveu est en Angleterre, à la

935232A

tête d'une armée victorieuse, et la patrie reconnaissante l'attend sur le rivage pour le saluer au retour d'acclamations enthousiastes. Thiers, l'homme de France qui a le plus fait pour la cause impériale, dirige les affaires pendant l'absence de Louis; Paris, debout et en armes, fait l'admiration de l'Europe et la terreur de nos ennemis ; enfin, pour que rien ne manque aujourd'hui à mon bonheur, je vais reprendre ma place, plus triomphant que jamais, au sommet de la colonne ! (Il essuie une larme.) Je pleure..., mais c'est de joie. Entrons un instant à l'état-major de la place et faisons-nous raconter en détail ces grands événements. (S'adressant à un garde national qui sort de l'état-major.) Je désirerais parler au général Soumain.

LE GARDE NATIONAL.

Le général Soumain? Voilà dix mois qu'il a été remplacé par le général Trochu.

NAPOLÉON.

Le général Trochu est-il sorti?

LE GARDE NATIONAL.

Il a été remplacé par le général Vinoy.

NAPOLÉON.

Ah! Je connais le général Vinoy, et..

LE GARDE NATIONAL.

Le général Vinoy a été remplacé par le général Bergeret lui-même.

NAPOLÉON.

Je croyais que le général Bergeret était au Corps

législatif?

LE GARDE NATIONAL.

En effet, il a été remplacé ici par le général Dombrowski.

Hé bien! celui-ci...

NAPOLÉON.

LE GARDE NATIONAL.

Le général Dombrowski a cédé la place au général Cluseret.

NAPOLÉON.

Est-il possible? Ce dernier du moins...

LE GARDE NATIONAL.

Ce dernier a eu pour successeur le colonel Rossel.

NAPOLÉON, à part.

Bergeret, Dombrowski, Cluseret et Rossel... Si j'en connais pas un, je veux être pendu! (Haut.) Excusez-moi, monsieur, mais il s'est donc passé ici, depuis dix mois, des choses extraordinaires?

LE GARDE NATIONAL.

Ah! ça! d'où sortez-vous? Revenez-vous de l'autre monde?

Peut-être,

NAPOLÉON.

« PrécédentContinuer »