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supérieurs aux nouveaux. Vous, tribuns démagogues, esclaves de vos électeurs, mendiants de popularité, qui prétendiez dompter les monstres, que vous êtes loin d'Hercule et de Thésée! Vous, parleurs de clubs et de brasseries, agitateurs de trottoir, courtisans de la plèbe, vous ne valez pas les Gracques, et c'est de vous que le poète pourrait dire:

« Quis tulerit Gracchos de seditione querentes? »

Vous, contempteur de la foi jurée, conspirateur en parties doubles, misérablement enlacé dans le réseau de vos propres finesses, vous êtes bien inférieur à Machiavel. Vous, conquérant à outrance, vous faites regretter Alexandre et César. Mécènes vous renierait, vous, confidents ou favoris d'un nouvel Auguste. Ajax refuserait de vous reconnaître, vous, professeurs d'athéisme, rhéteurs de la libre-pensée, hardis contre Dieu seul! Architectes de barricades, vous n'êtes pas même des Titans en caricature ou en miniature. Brûleurs de palais, de monuments et de temples, vous n'allez pas à la cheville d'Erostrate. Ainsi de suite; votre spécialité, votre

châtiment, votre honte, c'est de rapetisser et de salir tout ce que vous croyez imiter!... »

Ainsi parlerait l'antique Caron, interprète de l'expérience des siècles, de la rude franchise des enfers et de la vérité de tous les âges; et nous, rouvrant encore une fois ces Dialogues des vivants et des morts, tâchons d'en extraire les enseignements qu'ils contiennent. Pour les rendre plus brefs et plus clairs, je laisse à l'écart les personnages secondaires; j'abandonne l'Académie aux soins vigilants de M. Pingard, aux spirituels discours de M. Cuvillier-Fleury, au silence prudent de M. Emile Ollivier, au positivisme de M. Littré, aux dîners de S. A. Mgr le duc d'Aumale, aux adieux de Mer Dupanloup. Je livre le N° 606 aux remords plus ou moins sincères de Son Excellence M. Jules Simon; je renvoie Maître Jacques.. Crémieux à son miroir et le citoyen Glais-Bizoin à sa comédie du Vrai courage, risible prologue du lugubre drame où le vrai courage n'a pu prévaloir contre les inepties de M. Glais-Bizoin et de ses amis; je néglige cette jolie scène, le Banquet chez Pluton, où de beaux esprits, présidés par M. Troplong, terminent, aux cris mille fois répétés de Vive l'Empereur! une impitoyable

série de griefs, consignés dans leurs anciens ouvrages, contre le régime impérial et les souvenirs du premier Empire. Je résume les impressions de cette piquante et instructive lecture en quatre noms, qui expliquent les faillites de notre patriotisme, les illusions de notre vanité nationale, les funestes effets de notre chauvinisme militaire, la persistance de notre mauvaise fortune, et enfin l'avortement provisoire de nos dernières espérances: Voltaire, Napoléon, Gambetta, M. Thiers.

Oui, Voltaire, et ne me dites pas que je remonte trop haut dans la généalogie de nos malheurs; ne m'invitez pas à passer au déluge de l'invasion, des obus et du pétrole, qui n'arrivera que trop vite! Voltaire et l'auteur des Dialogues des vivants et des morts ne s'y est pas trompé - a été, avant la naissance de M. de Moltke et de M. de Bismark, le collaborateur de M. de Bismark et de M. de Moltke. Il ne s'agit pas seulement de rappeler les flatteries qu'il prodigua au roi de Prusse, les cris d'allégresse que lui arrachèrent nos défaites, ses grossières épigrammes contre les Welches, ses vers hideux, trempés dans le sang des vaincus de Rosbach. Non, restons plus actuels; serrons de plus près la filiation

des sentiments, des événements et des idées. A force de haïr la religion, à force de tricher le gouvernement, la police et la censure, à force de détester le passé, les gloires, les poésies, les croyances, les héros de notre chère et antique France, à force de se persuader et de persuader à ses prosélytes qu'il était, à lui seul, une puissance nouvelle, indépendante des institutions de son pays et capable d'élever autel contre autel et tròne contre trône, Voltaire avait fini par devenir une sorte de personnage cosmopolite, concitoyen de ceux qui le flattaient ou récompensaient ses flatteries bien plus que de ceux dont les lois, quoique tombant en faiblesse, refusaient encore une impunité absolue aux audaces de son impiété et de son libertinage. Sujet du roi incrédule dont le catéchisme s'accordait avec le sien, dont la morale s'arrangeait de la sienne, et qui, ne voyant en lui qu'un ornement, un courtisan et un amuseur, faisait avec lui commerce de petits vers et de gros blasphèmes, bien plutôt que du monarque inconséquent et débile, soucieux encore de la majesté divine qu'il offensait, de la majesté royale qu'il avait le tort de compromettre, et assez intelligent pour voir en Voltaire un ennemi au lieu d'une parure.

Grâce à cet antagonisme envenimé par une nature perverse, le patriarche de Ferney fut aussi peu Français que possible, si peu Français qu'il passa son temps et employa son encre à insulter, à calomnier, à flétrir tout ce qui avait fait ou protégé la France. Avocat du genre humain, mais déserteur de sa patrie, ses fastueux plaidoyers en l'honneur de deux ou trois victimes de l'arbitraire donnaient le change aux badauds et le dispensaient d'aimer son pays. Il défendit Calas, ce qui prouve qu'un épisode des erreurs ou des abus de la justice humaine avait le privilége de remuer sa bile; il outragea Jeanne d'Arc, ce qui démontre, en dehors de toute question de morale, de religion et de décence, que jamais la grande fibre patriotique n'a vibré dans son cerveau ou dans son cœur.

Hé bien, disons-le hardiment, le pays, le peuple, la capitale, qui, entre Sadowa et Wissembourg, entre la menace et le désastre, n'a rien trouvé de plus ingénieux, de plus libéral et de plus français que de revernir la gloire de Voltaire et d'installer la statue de l'ami de Frédéric pour souhaiter la bienvenue aux soldats de Guillaume et de Bismark, ce peuple, ce pays, cette capitale n'ont, hélas ! que trop

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