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Non, non; alsacien, alsacien, alsacien.

VOLTAIRE.

Ah! alsacien. Fort bien, notre jeune homme est justement de Saverne....

M. ABOUT.

Oui, montsir le gomte, de Saberne, bis fus serbir.

M. DE BISMARK (à part).

Quelle langue admirable et comme cet alsacien sonne agréablement à mes oreilles!

M. ABOUT.

Montsir de Pismark, je salue en vus un crand homme, un frai baladin.

M. DE BISMARK.

Hein! qu'est-ce que cela veut dire? Je suis un baladin!

VOLTAIRE.

Au contraire, il dit que vous êtes un vrai paladin.... Vous oubliez qu'en ce moment il parle alsacien.

M. DE BISMARK.

Ah! c'est vrai.

M. ABOUT.

Montsir de Pismark, moi aussi j'ai daché te vaire quelque chausse bir l'embire d'Allemagne. J'ai abbordė ma betite bierre à l'étifice. Gomme mon maîdre, ici brésent, j'ai drafaillé bir le roi de Brusse. Vous avez peud-êdre entendu barler te ma betite prochure: La Brusse en mil huit cent soixante? Si Vodre Excellence le tésirait, je bourrais lui en cider les plus peaux bassages.

M. DE BISMARK.

Je les écouterai avec le plus vif plaisir.

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M. ABOUT, récitant.

« Nous nous sommes pris d'une vive sympathie, ma prochure a été gombosée en français, il le vallait, · nous nous sommes pris d'une vive sympathie pour les Allemands à mesure que nous les avons mieux connus.... L'Allemagne est portée par une aspiration légitime vers l'unité et le progrès. Les Allemands ont compris qu'il était inutile et presque ridicule de nourrir 37 gouvernements lorsqu'il suffirait d'un seul. Ils pressentent l'énorme accroissement de force et de prospérité, de dignité et de grandeur, que la centralisation leur donnera quelque jour, et ils marchent au but d'un pas résolu, malgré toutes les entraves. Jamais cette noble nation n'a été plus grande que de 1813 à 1815, car jamais elle n'a été plus une... L'Allemagne n'avait qu'une seule passion, qu'un seul cœur ; elle se leva

comme un seul homme, et la défaite de nos armées montra ce que pouvait l'unité allemande ('). >>

VOLTAIRE, à M. de Bismark.

Hein! que dites-vous de ce garçon-là ?

M. DE BISMARK.

Nous en ferons quelque chose.

M. ABOUT, continuant.

« Que l'Allemagne s'unisse; la France n'a pas de vœu plus ardent ni plus cher... Que l'Allemagne s'unisse; qu'elle forme un corps assez compact pour que l'idée de l'entamer ne puisse venir à personne. La France voit sans crainte une Italie de 26 millions d'hommes se constituer au Midi; elle ne craindrait pas de voir 32 millions d'Allemands fonder une grande nation sur sa frontière orientale (2). »

M. DE BISMARK, se caressant la moustache.

Tout cela est aussi bien pensé que bien écrit.

M. ABOUT.

« Le peuple allemand aime la Prusse. Il regarde ses progrès avec une admiration sympathique et un intérêt filial. Si elle se décidait à jouer le rôle du Piémont, tous les Allemands s'empresseraient

(1) La Prusse en 1860, par Edmond About. Paris chez Dentu, 1860, pages 5 et 8.

(2) Op. cit., p. 10.

de lui aplanir les voies. Aujourd'hui surtout, le Régent du royaume, S. A. R. le prince de Prusse, paraît être l'objet d'une adoration poussée jusqu'au fanatisme. Nous sommes heureux d'apprendre que l'unité allemande a trouvé son centre et rien ne pouvait nous être plus agréable que de voir la nation se grouper autour d'un esprit ferme et d'un cœur droit (1).

M. DE BISMARK.

Bon jeune homme!

VOLTAIRE.

Monsieur le comte, ce n'est pas parce que c'est mon élève, mais je puis dire que j'ai sujet d'être content de lui, et que tous ceux qui le voient en parlent comme d'un garçon qui n'a point de méchanceté.

(Tout en causant, Voltaire, M. de Bismark et M. About sont arrivés sur le square du boulevard du Prince-Eugène, au pied de la statue de Voltaire.)

M. DE BISMARK, levant les yeux.

Tiens, c'est votre statue.

VOLTAIRE.

Oui, c'est celle qui m'a été élevée, dans les derniers jours de l'Empire, entre Forbach et Sedan, avec le produit de la sousciption Havin, Ære

(1) Op. cit., p. 14. C'est l'empereur Guillaume, alors Régent de Prusse, que célébrait ainsi M. About en 1860,

Havino, M. Henri Chevreau étant préfet de la Seine, Henrico Consule (1).

M. DE BISMARK.

Votre statue, monsieur de Voltaire, sera beaucoup mieux à sa place à Berlin qu'à Paris, et comme j'ai l'habitude de prendre mon bien où je le trouve, je vais donner l'ordre à mes soldats de la descendre de son socle et de l'emballer comme une pendule. Nous l'emporterons dans nos bagages et sur son piédestal nous ferons graver ces vers:

Chaque peuple, à son tour, a régné sur la terre,
Par les lois, par les arts, et surtout par la guerre:
Le siècle de la Prusse est à la fin venu(2).

(On entend dans le lointain une musique militaire jouant une marche triomphale.)

Qu'est-ce que cela?

VOLTAIRE.

M. DE BISMARK.

C'est l'avant-garde de l'armée prussienne qui entre dans Paris.

(1) La statue de Voltaire a été érigée sur le square Monge le 14 août 1870, à l'heure où les Prussiens arrêtaient l'armée de Metz dans sa marche sur Verdun. Le 3 octobre suivant, le même jour que Paris assiégé apprenait l'entrée des Prussiens à Strasbourg, le Bulletin municipal de M. le Maire Etienne Arago (!!) annonçait l'entrée de Voltaire plus avant au cœur de la grande cité. La statue du square Monge fut transférée au square du Prince-Eugène, et c'est là qu'elle se trouvait au commencement de mars 1871.

(2) Lettres du roi de Prusse et de M. de Voltaire, 1" mai 1775.

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