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ISIDORE. Je ne vous dis rien là-dessus. Mais les femmes enfin n'aiment pas qu'on les gêne ; et c'est beaucoup risquer que de leur montrer des soupçons, et de les tenir renfermées.

DON PÈDRE. Vous reconnoissez peu ce que vous me devez; et il me semble qu'une esclave que l'on a affranchie, et dont on veut faire sa femme...

ISIDORE. Quelle obligation vous ai-je, si vous changez mon esclavage en un autre beaucoup plus rude, si vous ne me laissez jouir d'aucune liberté, et me fatiguez, comme on voit, d'une garde continuelle?

DON PÈDRE. Mais tout cela ne part que d'un excès d'amour.

ISIDORE. Si c'est votre façon d'aimer, je vous prie de me haïr. DON PÈDRE. Vous êtes aujourd'hui dans une humeur désobligeante, et je pardonne ces paroles au chagrin où vous pouvez être de vous être levée matin.

SCÈNE VIII.

DON PÈDRE, ISIDORE, HALI, habillé en Turc, faisant plusieurs révérences à don Pèdre.

DON PÈDRE. Trève aux cérémonies. Que voulez-vous?
HALI, se mettant entre don Pèdre et Isidore.

Il se tourne vers Isidore à chaque parole qu'il dit à don Pèdre, et lui fait des signes pour lui faire connoître le dessein de son maître.)

Signor (avec la permission de la signore), je vous dirai (avec la permission de la signore) que je viens vous trouver (avec la permission de la signore), pour vous prier (avec la permission de la signore) de vouloir bien (avec la permission de la signore)...

DON PÈDRE. Avec la permission de la signore, passez un peu de ce côté.

(Don Pèdre se met entre Hali et Isidore.)

HALI. Signor, je suis un virtuose.

DON PÈDRE. Je n'ai rien à donner.

HALI. Ce n'est pas ce que je demande. Mais, comme je me mêle un peu de musique et de danse, j'ai instruit quelques esclaves qui voudroient bien trouver un maître qui se plût à ces choses; et comme je sais que vous êtes une personne considérable, je voudrois vous prier de les voir et de les entendre, pour les acheter, s'ils vous plaisent, ou pour leur enseigner quelqu'un de vos amis qui voulût s'en accommoder.

ISIDORE. C'est une chose à voir, et cela nous divertira. Faites-lesnous venir.

HALI. Chala bala... Voici une chanson nouvelle, qui est du temps. Écoutez bien. Chala bala.

SCÈNE IX.

DON PÈDRE, ISIDORE, HALI, ESCLAVES TURCS.

UN ESCLAVE, chantant, à Isidore.

D'un cœur ardent, en tous lieux,

Un amant suit une belle;
Mais d'un jaloux odieux
La vigilance éternelle

Fait qu'il ne peut que des yeux
S'entretenir avec elle.

Est-il peine plus cruelle

Pour un cœur bien amoureux?
(A don Pêdre.)

Chiribirida ouch alla,

Star bon Turca,

Non aver danara :
Ti voler comprara?
Mi servir à ti,
Se pagar per mi;

Far bona cucina,
Mi levar matina,

Far boller caldara;
Parlara, parlara,

Ti voler comprara1?

PREMIÈRE ENTRÉE DU BALLET.

(Danse des esclaves.)

L'ESCLAVE, à Isidore.

C'est un supplice, à tous coups,

Sous qui cet amant expire;
Mais si, d'un œil un peu doux,
La belle voit son martyre,
Et consent qu'aux yeux de tous

Voici le sens de ce couplet : « Je suis bon Turc, je n'ai point d'argent. Voulez-vous « m'acheter? je vous servira', si vous payez pour moi. Je ferai une bonne cuisine; je me « lèverai matin; je ferai bou'llir la marmite. Parlez, parlez, voulez-vous m'acheter? » (A.)

Pour ses attraits il soupire,
Il pourroit bientôt se rire
De tous les soins du jaloux.
(A don Pèdre.)
Chiribirida ouch alla,

Star bon Turca,
Non aver danara :

Ti voler comprara ?
Mi servir à ti,
Se pagar per mi;
Far bona cucina,
Mi levar matina,
Far boller caldara.
Parlara, parlara,

Ti voler comprara?

SECONDE ENTRÉE DU BALLET.

(Les esclaves recommencent leur danse.)

DON PEDRE chante.

Savez-vous, mes drôles,
Que cette chanson
Sent, pour vos épaules,
Les coups de bâton?
Chiribirida ouch alla,
Mi ti non comprara,
Ma ti bastonara
Si ti non andara :
Andara, audara,

O ti bastonara 1.

>

Oh! oh! quels égrillards! ( A Isidore.) Allons, rentrons ici : j'ai changé de pensée; et puis, le temps se couvre un peu. (A Hali,qui paroit encore.) Ah! fourbe, que je vous y trouve !

HALI. Hé bien ! oui, mon maître l'adore. Il n'a point de plus grand desir que de lui montrer son amour; et, si elle y consent, il la prendra pour femme.

DON PÈDRE. Oui, oui, je la lui garde.

HALI. Nous l'aurons malgré vous.

DON PÈDRE. Comment! coquin...

HALI. Nous l'aurons, dis-je, en dépit de vos dents.

Ce couplet signifie : « Je ne t'achèterai pas; mais je te bâtonnerai; si tu ne t'en vas

« pas. Va-t'en, va-t'en, ou je te bâtonnerai. » (A.)

DON PEDRE. Si je prends...

HALI. Vous avez beau faire la garde, j'en ai juré, elle sera à nous. DON PÈDRE. Laisse-moi faire, je t'attraperai sans courir.

HALI. C'est nous qui vous attraperons. Elle sera notre femme, la chose est résolue. (Seul.) Il faut que j'y périsse, ou que j'en vienne à bout.

SCÈNE X.

ADRASTE, HALI, DEUX LAQUAIS.

HALI. Monsieur, j'ai déja fait quelque petite tentative; mais je... ADRASTE. Ne te mets point en peine ; j'ai trouvé, par hasard, tout ce que je voulois; et je vais jouir du bonheur de voir, chez elle, cette belle. Je me suis rencontré chez le peintre Damon, qui m'a dit qu'aujourd'hui il venoit faire le portrait de cette adorable personne; et, comme il est depuis long-temps de mes plus intimes amis, il a voulu servir mes feux, et m'envoie à sa place, avec un petit mot de lettre pour me faire accepter. Tu sais que, de tout temps, je me suis plu à la peinture, et que parfois je manie le pinceau, contre la coutume de France, qui ne veut pas qu'un gentilhomme sache rien faire; ainsi j'aurai la liberté de voir cette belle à mon aise. Mais je ne doute pas que mon jaloux fâcheux ne soit toujours présent, et n'empêche tous les propos que nous pourrions avoir ensemble; et, pour te dire vrai, j'ai, par le moyen d'une jeune esclave, un stratagème pour tirer cette belle Grecque des mains de son jaloux, si je puis obtenir d'elle qu'elle y consente.

HALI. Laissez-moi faire, je veux vous faire un peu de jour à la pouvoir entretenir. Il ne sera pas dit que je ne serve de rien dans cette affaire-là. Quand allez-vous?

ADRASTE. Tout de ce pas, et j'ai déja préparé toutes choses.
HALI. Je vais, de mon côté, me préparer aussi.

ADRASTE. Je ne veux point perdre de temps. Holà! Il me tarde que je ne goûte le plaisir de la voir.

SCÈNE XI.

DON PÈDRE, ADRASTE, DEUX LAQUAIS.

DON PÈDRE. Que cherchez-vous, cavalier, dans cette maison?
ADRASTE. J'y cherche le scigneur don Pèdre.

DON PEDRE. Vous l'avez devant vous.

ADRASTE. Il prendra, s'il lui plaît, la peine de lire cette lettre.

DON PEDRE. Je vous envoie, au lieu de moi, pour le portrait que vous savez, ce gentilhomme françois, qui, comme curieux d'obliger les honnétes gens, a bien voulu prendre ce soin, sur la proposition que je lui en ai faite. Il est, sans contredit, le premier homme du monde pour ces sortes d'ouvrages, et j'ai cru que je ne vous pouvois rendre un service plus agréable que de vous l'envoyer, dans le dessein que vous avez d'avoir un portrait achevé de la personne que vous aimez. Gardez-vous bien surtout de lui parler d'aucune récompense: car c'est un homme qui s'en offenseroit, et qui ne fait les choses que pour la gloire et pour la réputation.

Seigneur François, c'est une grande grace que vous me voulez faire, et je vous suis fort obligé.

ADRASTE. Toute mon ambition est de rendre service aux gens de nom et de mérite.

DON PÈDRE. Je vais faire venir la personne dont il s'agit.

SCÈNE XII.

ISIDORE, DON PÈDRE, ADRASTE, DEUX LAQUAIS.

DON PÈDRE, à Isidore. Voici un gentilhomme que Damon nous envoie, qui se veut bien donner la peine de vous peindre. (A Adraste qui embrasse Isidore en la saluant.) Holà! seigneur François, cette façon de saluer n'est point d'usage en ce pays.

ADRASTE. C'est la manière de France.

DON PÈDRE. La manière de France est bonne pour vos femmes; mais, pour les nôtres, elle est un peu trop familière.

ISIDORE. Je reçois cet honneur avec beaucoup de joie. L'aventure me surprend fort; et, pour dire le vrai, je ne m'attendois pas d'avoir un peintre si illustre.

ADRASTE. Il n'y a personne, sans doute, qui ne tînt à beaucoup de gloire de toucher à un tel ouvrage. Je n'ai pas grande habileté; mais le sujet, ici, ne fournit que trop de lui-même, et il y a moyen de faire quelque chose de beau sur un original fait comme celui-là.

ISIDORE. L'original est peu de chose; mais l'adresse du peintre en saura couvrir les défauts.

ADRASTE. Le peintre n'y en voit aucun; et tout ce qu'il souhaite est d'en pouvoir représenser les graces aux yeux de tout le monde aussi grandes qu'il les peut voir.

ISIDORE. Si votre pinceau flatte autant que votre langue, vous allez me faire un portrait qui ne me ressemblera pas.

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