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j'avois pris parti pour le P. Mallebranche contre M. Arnauld. J'avois foutenu que les plaifirs des fens font un être ou une modification tout à fait spirituelle & incorporelle ; & qu'il n'y a point de plaifir quelque groffier & brutal qu'il foit, qui ne puifle être par fa nature la modification de la plus pure de toutes les fubftances créées. De forte, que fi prefentement quelques plaifirs font criminels, ce n'eft que par accident & à caufe des occafions où on les goûte, c'eft-à-dire, qu'ils font une fuite d'un acte de la volonté que nous connoiffons être défendu de Dieu. Voilà qui ce ne regarde point la nature même des modifications de l'ame; mais c'eft feulement un rapport accidentel, ou ex inftituto, fondé fur les loix que Dieu a revelées à l'homme, ou par fa parole, ou par la raison. Il s'enfuit de là, (je l'ai même dit, ce me femble,) que les plaifirs du goût, de la vue & du toucher peuvent être communiquez fans l'intervention d'un organe corporel, ou que l'œil peut être indifferemment l'organe des plaifirs du goût ou de l'ouie, comme il l'eft ex iituto de ceux de la vûë. J'étois malade quand M. Arnauld me refuta, & lorfque je fus guéri, le monde avoit oublié le fujet

de notre difpute: ainfi je n'ai pas repli qué jufqu'ici; mais je le ferai en tems & lieu & montrerai qu'on ne fçauroit tenir la fpiritualité de notre ame fans admettre. mon principe.

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Naime toujours à connoître ceshommes fameux que leurs vertus ou leurs vices ont immortalifez, & nous ne fçavons pas moins de gré à Salluste Tacite, &c. dés portraits qu'ils nous ont donnez, que des faits qu'ils nous racontent. Notre fiecle a pouffé plus loin fa curiofité, les Sçavans en font devenus P'objet, & nous ne nous contentons plus de lire leurs Ouvrages, nous faifons une étude particuliere du caractere de leur efprit, & même de leur cœur. Cette étude leur fait honneur, elle fuppofe quenous nous intereffons à ce qui les regar de, & ce fentiment ne peut naître que de l'eftime que leurs Ouvrages nous ont donnée pour leur perfonne : car of peut bien vouloir connoître un méchant hom-me, mais l'oubli eft le feul partage d'un mauvais Auteur,

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Les obfervations de M. de S. Evremond fur Tacite, Petrone, Seneque, &c. en ont produit plufieurs autres fur divers Ecrivains de l'antiquité, & il en est peu: aujourd'hui qui ne foient de notre connoiffance, fi j'ofe ainfi m'expliquer. Ces fortes de Differtations exigent de ceux. qui les font une grande fagacité, & doivent être le fruit de bien des méditations fur les Ouvrages des Sçavans qu'on veut faire connoître. Un Auteur, il eft vrai, fe peint lui-même dans tout ce qu'il écrit, mais il n'appartient pas à tout le monde de l'y reconnoîtte. Ce font des traits difperfez qui échappent à la plupart des Lecteurs ; ils ne frappent le commun des hommes, qu'autant qu'ils font raffemblez par une habile main, & mis pour ainfi dire fous un même coup d'œil. C'est ce qu'a prétendu faire l'Auteur des reflexions fuivantes par rapport à Platon, à Ciceron à Ciceron, & à Lu-. cien. Je crois qu'on ne les lira pas avec moins de plaifir que les Remarques de

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M. Laifné fur Suetone inferées dans le Premier Volume de ce Recueil.

REFLEXIONS

SUR LES

CARACTERES

de Platon, de Ciceron, & de Lucien.

C

E qui m'a engagé à porter mon jugement fur le genie & le caractere de ces trois grands hommes, c'eft la forme dans laquelle ils ont écrit leurs Ouvrages, du moins pour la plus grande partie; je veux dire le dialogue, le genre d'écrire le plus ancien comme le plus naturel. Perfonne n'ignore que cette maniere fi conforme aux mœurs & à la fimplicité des premiers tems fut bientôt é touffée par le merveilleux qui vint frapper les efprits; les hommes dégoutez des graces naïves de la fimple nature, ne voulurent plus que de grands mots qui fonnaflent harmonieufement aux oreilles, & pour leur plaire il falloit toujours peindre à leur imagination quelque cho-· fe de vif & de violent, qui l'ébranlât & la tranfportât.

Telle étoit la contagion dont les Rheteurs & les Sophiftes avoient infecté les efprits, lorfque Platon leur ennemi rreconciliable parut dans le monde. Diogene Laerce nous apprend que ce fut.*

ce grand Philofophe qui rétablit le dialogue, & quoyqu'Ariftote en reconnoiffe Zenon d'Elée, ou Alexamenes de Teos pour les inventeurs, on eft convenu de tout tems den regarder Platon comme le premier Auteur, au moins pour celui qui avoit jufqu'alors répandu plus d'agrément dans ces fortes d'entretiens.

Ce Philofophe étoit né avec un genie heureux, ce genie qui donne les hautes reputations. Tous les fiecles ont admiré fon élegance & ont été touchez de la douceur de fon ftile. On a toujours dit de fes Ouvrages, qu'ils donnent de grandes vûes; riche, pompeux, hardi dans fes expreffions; un ftile également propre à toutes fortes de fujets,il peint tout avec une grace ou une force inimitable; les raifonnemens les plus fecs & les plus abftraits prenoient une forme riante & gragieufe en paffant par fon imagination, toujours extremement fleuric: le langage de la poete ne lui paroiffoit point mefféant à la qualité de Philofophe que l'on fçait qui lui étoit fi chere. En effet, on peut dire que le genie de la poefie ne Lied mal à la raison, & que jamais pas une imagination dominante n'a gâté une verité qu'elle a manié avec un peu de fagelle & de retenue. De fi rares & de f

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