Images de page
PDF
ePub

Sans ajouter une foi entière à cet avis, qui pouvait être un stratagème pour leur faire abandonner leurs positions, les capitaines souliotes, certains d'être à la veille d'une suite d'affaires importantes, s'empressèrent, au moyen de feux allumés sur les montagnes, de donner avis de l'approche des Turcs, à leurs divers cantonnements. Ils prévinrent en même temps le taxiarque Cyriaque, qui commandait le bataillon des Maniates retranchés à Phanari, près du port Glychys, d'être sur ses gardes, parce qu'ils avaient découvert que les Chamides de Margariti devaient se porter de son côté, dès que les hostilités auraient éclaté dans la Thesprotie.

L'instinct frappe au but, parce qu'il est une inspiration naturelle; ainsi les Souliotes, en jugeant les manoeuvres des Turcs, qui n'exécutaient qu'un plan communiqué à Khourchid pacha par des chrétiens indignes de ce nom (1), avaient deviné les desseins de leurs ennemis. Le 29 mai, les Grecs attaqués à Goûras, à Séritchani, à Zavroucos et Liviskitas, par les Turcs qui marchaient précédés de trente pièces de canon et d'obusiers de montagne ornés du chiffre de Georgius Rex, furent partout vainqueurs (2).

Il serait difficile de faire connaître en détail les

(1) On accusa les agents d'Angleterre et d'Autriche d'avoir dirigé et fourni le plan de cette attaque à Khourchid pacha.

(2) C'était l'artillerie donnée autrefois à Ali pacha par lord Castlereagh, que le capitaine Leacke débarqua à Prévésa. Il y avait aussi quelques forges de campagne et des caissons d'ambulance.

faits d'armes qui signalèrent cette journée. L'action commença au point du jour à Liviskitas, entre les capitaines Tzavellas et Dracos, qu'Omer Brionès attaqua avec cinq mille hommes; elle se soutenait depuis plus de six heures avec acharnement, quand Tzavellas étant parvenu à attaquer la colonne turque en flanc, tandis que son collègue la battait de front, les Toxides prirent la fuite, en laissant quatre cent trente-huit morts, et plus de cinq cents blessés, sur le terrain.

Hago Bessiaris n'était pas alors plus heureux contre le polémarque Nothi Botzaris, qui le repoussa en lui faisant éprouver une perte de plus de trois cents soldats. Cependant Tahir Abas, accouru au secours de son compatriote avec une colonne de quatre mille hommes, parvint à rétablir le combat. Il était alors deux heures après midi; et le polémarque, ayant tiré un renfort de trois cents palicares du poste de Photomaras, fit charger les barbares avec une telle impétuosité, qu'il leur enleva douze drapeaux et deux pièces d'artillerie. Enfin, au coucher du soleil, les mahométans, battus sur tous les points, se retirèrent avec perte de treize cents hommes tués ou blessés, et de dix-huit étendards, que les femmes grecques présentes au combat portèrent en triomphe à Souli, où elles furent reçues aux acclamations des gérontes, et au bruit du canon de la forteresse de Sainte-Vénérande.

Malgré les brillants avantages de cette journée, qui n'avait coûté aux Souliotes qu'une trentaine d'hommes tués ou blessés, ils comprirent que, l'en

nemi n'ayant engagé contre eux que six à sept mille soldats, il leur restait des dangers presque incalculables à surmonter. Les feux des bivouacs de l'armée ottomane couvraient les montagnes, les vallons, les gorges et le bord des précipices. Au milieu des ombres de la nuit on entendait tour-à-tour les vociférations des Turcs qui répondaient aux psalmodies des derviches, en invoquant Allah et Mahomet, et les hennissements de leurs coursiers, impatients d'ouïr le signal des batailles.

Les échos rendaient ces bruits plus formidables, et les Grecs, s'imaginant que le nombre des infidèles, déja considérable, s'était encore augmenté depuis le jour précédent, ne purent, quoique intrépides, se défendre de cette terreur que les plus braves éprouvent parfois au moment d'un combat. Leurs mains vacillantes soutenaient à peine leurs fusils; leurs esprits étaient tristes; des soupirs s'échappaient de leurs poitrines brûlantes, lorsque, reportant leur pensée vers le Dieu des forts, les guerriers de Sainte-Vénérande se mirent en prières. Élevant leurs mains suppliantes vers le ciel, ils demandaient, prosternés devant le signe auguste de la régénération du genre humain, au Dieu mort et ressuscité, de leur accorder le courage nécessaire pour vaincre ou mourir avec gloire. Nulle idée ambitieuse ne se mêlait à leurs demandes; vivre ou mourir pour la Croix, c'étaient là tous leurs vœux! Les brises qui agitaient le feuillage des bosquets de la Thesprotie ayant fait croire aux Souliotes que leurs demandes étaient entendues de

l'Eternel, un rayon d'espérance vint ranimer leurs cœurs religieux, et les chefs les ayant engagés à prendre de la nourriture, ils s'assirent, divisés par pelotons, sur la pelouse.

Les amazones de la Selleïde venaient de leur apporter des provisions, des outres remplies de vin, et des munitions de guerre, qu'elles leur répartirent avec cette sollicitude enchanteresse qui encourage l'homme condamné au travail à supporter le poids de la vie. Chacune d'elles ayant ensuite baisé respectueusement la main d'un époux ou d'un frère, elles reprirent le chemin des montagnes, en emportant les blessés sur leurs épaules dans les escarpements de Kiapha. Ainsi l'avait prescrit le polémarque Nothi Botzaris, qui ordonna ensuite que les femmes se retirassent dans les aspérités des montagnes.

Cependant une colonne de cinq mille Toxides mahométans, commandés par Tahir, profitant des ténèbres, s'avançait en silence du côté de Goùras, où ils parurent le 30 mai, aux premières clartés du jour. Leur chef, qui connaissait les localités, ayant calculé qu'en enfonçant le centre des positions, défendu par Nothi Botzaris, il pourrait pénétrer dans l'intérieur de la Selleïde, s'était dirigé de ce côté, résolu à tout sacrifier pour exécuter son projet. Il ambitionnait le prix d'une victoire, qui aurait été d'autant plus signalée que Omer Briones n'avait pu parvenir à entamer les chrétiens dans les deux journées précédentes. Rappelant à ses Toxides, avec des accents mâles, les combats

[ocr errors]

livrés aux Souliotes par leurs pères et par euxmêmes depuis trente-cinq ans, Tahir déposant sa chlamyde s'écria, en leur montrant les rochers de Souli : Les voilà ces mornes exécrables, teints du sang des mahométans, qui vous rappellent tant de veuves et d'orphelins que l'Albanie regrette. Couverte d'habits de deuil, la patrie vous demande vengeance.

A ces mots les Schypetars, brisant le fourreau de leurs sabres, et mettant leurs fusils en bandoulière, demandent à monter à l'assaut. Les derviches, le Coran dans une main et le sabre dans l'autre, font retentir les airs de hurlements; et fondant à l'arme blanche, tous se précipitent contre les chrétiens. Ceux-ci, plus calmes, les reçoivent par une fusillade si bien dirigée qu'elle les contraint à reculer. Sans s'épouvanter, les Turcs se groupent de nouveau autour de Tahir, s'excitent, s'encouragent, se pressent; et quatre fois assaillants et repoussés, ils commençaient à se débander, suivant l'usage qui permet la retraite après quatre charges malheureuses, quand Omer Briones, informé de leur situation, accourut avec une division de cinq mille hommes pour les secourir. Il donne le temps aux Toxides de se rallier à l'abri du feu de sa colonne, qui, plus sagement conduite, engage une action régulière contre les Souliotes.

Le terrain, disputé, attaqué et défendu avec valeur, est pris et repris tour-à-tour par les deux partis, qui déployèrent une valeur étonnante pour conserver et pour s'emparer du moindre pan de ro

« PrécédentContinuer »