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tions du prisonnier parvenu à s'échapper du camp d'Omer Brionès, il n'eut pas de peine à prouver que ce sérasker se trouvait dans une position trèsfâcheuse. Les insurrections qui se manifestaient ne devaient tarder à le tenir bloqué dans ses propres lignes. Il ne lui restait qu'une ressource, celle d'emporter d'assaut Missolonghi et de disperser ensuite les armatolis, en divisant son armée pour leur donner la chasse, dès qu'il aurait laissé garnison dans la place dont il se serait emparé. Il avait dû faire ce raisonnement.

Partant de cette hypothèse, Mavrocordatos, ayant démontré qu'il avait des moyens suffisants pour soutenir une attaque de vive force, avec une partie des troupes réunies sous ses ordres, d'autant mieux que l'ennemi comptait sur une surprise déjouée puisqu'elle était prévue, proposa de détacher une division pour appuyer les Acarnaniens. Son arrivée, en leur fournissant un secours qu'on leur avait fait espérer, enflammerait le courage des armatolis, qui se grouperaient autour de ses drapeaux. Enfin l'ennemi, échouant dans l'entreprise qu'il projetait, se trouvant obligé de battre en retraite, serait cerné, harcelé, et peut-être exterminé en détail. Entrant à cet égard dans des détails de localités, le président démontra si clairement les avantages de la diversion qu'il proposait, que Pierre Mavromichalis se chargea de la diriger.

Le vieux bey du Magne s'embarqua, en conséquence, le 5 janvier avec douze cents hommes, pour se rendre, en remontant l'Achéloüs par l'em

bouchure des OEniades appelée Bocca Kolo Syrtis (1), jusqu'à Catochi, dont les Acarnaniens s'étaient emparés.

Le départ de Mavromichalis ne laissait que dixneuf cents hommes dans la place de Missolonghi, pour résister à plus de dix mille Turcs; et on aurait été dans de mortelles inquiétudes, si on avait présumé qu'on devait être immédiatement attaqué. Le président, mieux éclairé, y comptait heureusement contre l'opinion de plusieurs de ses officiers, qui regardaient la chose comme éloignée, et il n'en douta plus à l'arrivée d'un bateau venant d'Anatolico. Le patron qui le montait avait été hélé par le canot d'un chrétien inconnu caché dans les roseaux, qui lui avait dit que l'ennemi attaquerait Missolonghi deux heures avant le lever du soleil, au signal d'une décharge d'artillerie, et que les Turcs monteraient à l'assaut.

Le président prit, en conséquence, ses mesures de défense dès le 24 au soir, en faisant défendre, par le ministère de l'archevêque Porphyre, de sonner les cloches, et en relevant les chrétiens de l'obligation d'assister au service divin. Chacun reçut en même temps l'ordre de se rendre à son poste. On doubla le nombre des sentinelles et des patrouilles. Pour lui, parcourant sa ligne d'opération, il expliquait à chacun ce qu'il devait faire, en rappelant aux capitaines ainsi qu'aux soldats leurs devoirs, et en engageant tout le monde à ne rien

(1) Voyage dans la Grèce, t. III, pag. 134 et suiv.

craindre d'un ennemi qui n'avait plus en sa faveur que la chance, plus que douteuse, de cette dernière attaque, si on lui résistait, ainsi que la religion et le devoir le commandaient.

On passa la nuit, dit M. Graillard, auquel j'emprunte une partie de ces détails, dans les batteries et sur les remparts. Il était près de cinq heures du matin quand l'ennemi se mit en mouvement; la pâleur de la lune, à moitié voilée de nuages, semblait favoriser l'audace des Turcs. Déja huit cents des plus déterminés étaient parvenus, sans être découverts, à se glisser dans le fossé avec des échelles et des fascines. A deux cents pas en arrière se trouvaient deux mille hommes de leur infanterie, prêts à les seconder, en dirigeant leurs feux contre le parapet, de manière à diviser l'attention des Grecs et à les attirer d'un côté opposé à celui du véritable point d'attaque, pour faciliter l'assaut à ceux qui devaient l'exécuter. Omer Brionès, Routchid et deux autres pachas devaient se précipiter, au même instant, avec le reste de leurs soldats, et faire main basse sur les chrétiens. Le succès leur semblait immanquable; Omer en avait informé d'avance Varnakiotis, qu'il avait contraint de se rendre sur la frontière du Xéroméros, en lui écrivant : Je dine demain à Missolonghi.

A cinq heures précises du matin, le signal ayant été donné par une décharge générale de l'artillerie turque, l'attaque commence sur toute la ligne avec une furie inconcevable. La fusillade s'engage, et, des deux côtés, le feu du canon éclate avec viva

cité. Les Turcs embusqués dans le fossé s'élancent et montent à l'assaut en poussant des hurlements affreux. Armés de sabres et de poignards afin d'être plus légers à l'attaque, ils atteignent le sommet du rempart, où les chrétiens, attentifs à la voix du commandement, persuadés que le moment décisif est arrivé, les saisissent par fois corps à corps et les terrassent. De deux porte - drapeaux turcs, qui avaient planté leurs étendards sur le parapet, l'un tombe percé d'une balle, et l'autre est fait prisonnier dans la place où il était entré; les barbares sont renversés. Le carnage commence! un peloton, parvenu à franchir la muraille, est égorgé par les Arcadiens du mont Cyllène; les soldats de Canelos, unis aux Étoliens, écrasent les Turcs qui se débattent dans le fossé. Des décharges d'artillerie à mitraille foudroient les deux mille hommes d'infanterie qui s'avançaient pour soutenir les assaillants; et ceux qu'un zèle religieux pousse à vouloir enlever les blessés et les morts tombent victimes de leur fanatisme sur les glacis de la place..... Mais le jour augmente, la campagne s'éclaire, et les premiers rayons du soleil, en dévoilant cette scène nocturne, révèlent aux barbares l'étendue de leurs pertes, en même temps qu'ils font connaître aux Hellènes l'importance de leur victoire. Mille des plus braves soldats d'Omer Brionès étendus sur la fange, dix drapeaux enlevés aux infidèles, tels étaient, à huit heures du matin, les résultats d'une victoire due à la sagesse de Mavrocordatos. Il l'avait méritée par sa rare prudence, autant que les Grecs

par leur valeur; et chose qui semblerait incroyable, si des officiers français témoins oculaires de cette action ne l'attestaient, les chrétiens ne perdirent que six hommes dans cette affaire mémorable.

On apprit, le même jour, par quelques Grecs esclaves, échappés du camp des Turcs à la faveur du désordre qui y régnait, qu'ils étaient consternés de leurs pertes. Omer Brionès avait versé des larmes ; et, au lieu de l'attaquer, comme quelques capitaines le demandaient, Mavrocordatos, qui avait des vues d'un ordre supérieur, jugea nécessaire de lui laisser reprendre confiance, et défendit de faire aucunes

sorties.

Il venait d'apprendre que Pierre Mavromichalis était arrivé à Catochi, et que les Souliotes qui se trouvaient à Céphalonie depuis la perte de la Selléide, se disposaient à se rallier sous ses drapeaux. Ils en avaient obtenu la permission des Anglais, en faisant valoir la capitulation qu'ils avaient consentie sous leurs auspices, et en représentant qu'étant une peuplade de soldats, ils ne pouvaient nourrir leurs familles qu'en faisant la guerre aux Turcs, leurs ennemis naturels. La politique britannique s'était accommodée de ces raisons, et la seconde partie de la grande catastrophe préparée par Mavrocordatos devant s'accomplir de concert avec les insurgés, il voulait par cette raison temporiser. Mais comment modérer l'ardeur des lions intrépides qui venaient de vaincre les infidèles?

La marine grecque se chargea de distraire les soldats. Par une de ces singularités qui leur sont

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