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attendus du Péloponèse, voyant les schypetars du Drin grossir les bandes du kiaya bey, qui occupait le mont Voutzi, résolurent de tout sacrifier pour le chasser de cette position.

Le 5 juin, jour marqué pour cette entreprise audacieuse, deux mille palicares, s'accrochant aux rochers, les escaladent, en fondant, avec la rapidité des vautours, sur les infidèles, qui étaient au nombre de six mille; ils pénètrent au milieu de leurs tentes, le fer et la flamme à la main, en se dirigeant vers leurs magasins, qu'ils embrasent. A cet aspect les Asiatiques, commandés dans ce moment par le pacha de Khoutayé, donnent le signal de la déroute, dans laquelle ils entraînent les Guègues, indignés de leur lâcheté. Tout le matériel des Turcs tombe au pouvoir des Souliotes, qui les poursuivent jusqu'au Palæochori, lieu où la mythologique antiquité avait, dit-on, élevé un temple aux divinités de l'Érèbe et de l'Averne. L'étendard de la Croix est arboré sur les débris de cette enceinte, ouvrage des Cyclopes; et le bruit de la victoire des chrétiens retentit du faîte des montagnes jusqu'au fond des vallées. Ainsi, les Souliotes avaient repris une énergie nouvelle en touchant aux rochers qui furent le berceau des races doriennes, auxquelles des traditions confuses rattachent leur origine.

Le récit de la défaite des musulmans étant parvenu à Khourchid, qui était déja dévoré de chagrins domestiques, car le harem, qu'on venait de conduire auprès de lui, avait éprouvé des atteintes telles, que son épouse, élevée dans le sérail

des sultans, offrait, ainsi que toutes ses compagnes, des preuves non équivoques de leur infidélité; il maudit le jour où une fatale ambition lui fit accepter le titre de serasker de l'Épire. Dans sa douleur il enviait le sort d'Ali pacha. Est-il assez vengé? s'écriait-il, suis-je assez puni de l'avoir trompé! Que m'importent de vains honneurs, quand tout, jusqu'à celle que j'aimais à nommer mon épouse, me trahit! Puis se rappelant qu'il avait pris l'engagement, auprès de la Porte Ottomane, de soumettre la Selléide, sa raison ne tarda pas à surmonter sa douleur.

Mesurant la profondeur de l'abîme au bord duquel sa mauvaise fortune l'avait poussé, il ne se voyait entouré que de dangers. La Porte, qui le pressait de réduire Souli, lui ordonnait en même temps de se rendre à Larisse, pour prendre le commandement de l'armée destinée à envahir le Péloponèse. On lui redemandait, pour la vingtième fois, compte des trésors d'Ali pacha. Il venait en même temps d'être informé que Mavrocordatos avait quitté Corinthe avec le projet de pénétrer dans la Grèce occidentale, car il ignorait encore qu'il était débarqué à Missolonghi. Il savait, enfin, que de vives dissensions s'étaient élevées, depuis l'ouverture de la campagne, entre son kiaya et Omer Brionès. Il n'ignorait pas, car de fâcheuses vicissitudes lui avaient appris à connaître l'inconstance des Schypetars, que, rebutés par des combats interminables, ils pouvaient encore une fois abandonner ses drapeaux. Pressé par ces considérations,

il se détermina à quitter Janina, afin de se rendre en personne devant Souli, espérant que la victoire ou des négociations adroitement conduites lui livreraient ce dernier boulevard des hommes libres de l'Épire; son sort dépendait de l'issue heureuse ou malheureuse de cette affaire.

Le 7 juin, Khourchid pacha suivi de trois mille soldats d'élite arriva devant Samoniva. Au lieu de manifester des dispositions hostiles, il envoya complimenter les Souliotes, en leur faisant offrir un arrangement amical. Les conditions, qu'il leur proposait comme son ultimatum, portaient de lui consigner, dans un délai dont on conviendrait, le château fort construit par Ali pacha; de remettre à ses commissaires Husseïn pacha, petit-fils de ce visir; de leur livrer un certain nombre d'otages; d'agréer en échange de la Selléide un territoire à leur choix dans la Perrhébie, ou bien au-delà du Pinde, et de recevoir, à titre d'indemnités, douze mille bourses (cinq millions) comptant. En acceptant ces conditions, le serasker garantissait aux Souliotes tous les priviléges, droits et immunités concédés et octroyés par les glorieux sultans, aux armatolis de la Hellade. Il finissait en leur déclarant qu'il leur accordait trois jours pour délibérer sur le traité de clémence qu'il leur proposait, prenant Allah et le Prophète à témoin que, passé la durée de ce temps, ils n'auraient plus ni paix ni trève à attendre de sa part. Pour preuve de son invariable résolution, il ordonna de concentrer ses troupes, et Khourchid en négociant l'épée à la

main, se disposa à attaquer les chrétiens avec toutes ses troupes réunies,, qni se montaient à près de vingt mille hommes.

Il n'y eut qu'une opinion dans le conseil des Souliotes au reçu du message de Khourchid, qui fut de se défendre. Résolus à mourir avec la patrie, les chrétiens décidèrent, lorsqu'ils seraient réduits aux abois, sort qui semblait inévitable, de faire leurs adieux solennels au monde, en effaçant jusqu'à l'exemple sublime qui leur avait été légué par le polémarque Samuel, lorsque ce chef intrépide consomma son holocauste, en se faisant sauter avec le magasin aux poudres du château de SainteVénérande (1). Ne prenant, à leur heure suprême, conseil que du désespoir, ils convinrent d'égorger femmes, enfants, et de se précipiter, avec ce qui leur resterait de vengeurs, au milieu des ennemis, où ils trouveraient un trépas non moins utile à la Grèce, que les glorieuses funérailles de Léonidas et de ses trois cents Spartiates.

La patrie survivait ainsi dans la pensée des Souliotes même au-delà du tombeau, quand leurs femmes, informées de cette résolution, apostrophèrent les vieillards en ces termes, qu'on a pu recueillir et conserver. «< Depuis quand, hommes

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superbes, formés et nourris de notre sang, élevés « par nos soins avec tant de sollicitudes au milieu << des infirmités du berceau et de l'enfance, le Dieu « qui nous créa vous a-t-il donné le droit de dis

(1) Voy. liv. I, ch. v, de cette Histoire.

<< poser de la vie de celles qu'un même foyer vit << naître dans nos montagnes? Filles, épouses, « mères, sœurs, enfants d'une commune origine, qui d'entre les femmes de Souli ne vous a pas suivis depuis la cabane jusque dans les retranchements, « où vos sœurs, vos femmes, vos mères n'ont

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«

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pas

«< craint, au fort des dangers, de charger vos fusils, d'étancher votre sang, de panser vos bles<< sures et de rafraîchir vos poitrines haletantes par « des boissons salutaires, sans craindre les balles et << les boulets? Vous les connaissez, ces femmes, vos «compagnes, qui, plus d'une fois, le sabre en main, ont chargé les barbares, fait des esclaves, << et honoré le nom de Souli à la face du monde. Eh « bien! ces mêmes créatures, toujours dévouées et « soumises, sanctionnent aujourd'hui l'arrêt que vous « avez porté contre elles. Elles demandent à mourir << en chrétiennes, voulant paraître devant le tri<< bunal de leur juge suprême en martyres, et non << pas comme un vil troupeau immolé par le déses<< poir à la jalousie. Elles réclament des armes et l'honneur de périr à vos côtés; c'est à ce prix « qu'elles consentent au grand sacrifice que la né«< cessité vous a imposé. Elles auront soin que leurs enfants ne tombent pas au pouvoir des maho<< métans; eux, ainsi que les vieillards, trouveront, << dans les mines du château de Ste-Vénérande, le << moyen de se soustraire à une honteuse servi« tude. »

Touchés de ce discours, les chefs s'empressent d'organiser un bataillon de quatre cents femmes

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