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milliers de Péloponésiens, les stratarques se concertèrent pour débusquer les Turcs des positions qu'ils occupaient sur la frontière. On venait d'apprendre l'arrivée de Khourchid pacha à Larisse, et la question de la lutte entre les opprimés et les oppresseurs n'avait jamais été aussi compliquée qu'elle se présentait au commencement du mois de juillet 1822. A la vérité on avait brûlé le vaisseau du capitan pacha, obtenu de grands avantages maritimes, pris l'Acrocorinthe et Athènes, battu Dramali aux environs du Sperchius; mais Khourchid comptait sous ses drapeaux trente- cinq mille hommes de cavalerie et plus de douze mille fantassins. La flotte turque, qui s'était ralliée à Ténédos, devait reparaître plus formidable qu'auparavant dans la mer Égée. On l'attendait sur les côtes occidentales du Péloponèse afin de lier ses opérations avec celles d'Omer Brionès, à moins que Mavrocordatos n'obtînt des succès assez marquants pour tenir ce vaillant pacha isolé dans l'Épire. 11 y avait urgence pour prendre un parti décisif.

Odyssée, bon juge du terrain qu'il était chargé de défendre, ayant prouvé la nécessité de prévenir les desseins du serasker Khourchid, en démontrant qu'il fallait à tout prix l'empêcher de franchir les montagnes, proposa de prendre l'offensive. Ce genre de guerre convient au caractère bouillant des Grecs. Il fut convenu qu'il attaquerait la position importante de Fourca, située à quelques milles de Zeitoun, que les Turcs avaient retranchée et fortifiée. D'après ce plan, D. Hypsilantis

devait se porter sur les derrières des Turcs, et l'ennemi pris entre deux feux ne pouvait manquer d'être délogé de son camp. Il était probable qu'à ce signal l'armée ottomane de Larisse entrerait en campagne; mais au lieu de pénétrer dans le Péloponèse, elle allait se trouver engagée dans une guerre de montagnes. La nombreuse cavalerie qui faisait sa principale force, lui devenant alors inutile, on viendrait facilement à bout de son infanterie, et les barbares, sans cesse harcelés, seraient bientôt forcés de se replier sur la Thessalie.

D'après ces considérations Fourca fut attaqué par Odyssée et Gouras. Odyssée s'y porta avec sa valeur accoutumée; mais, ne s'étant pas trouvé se→ condé par D. Hypsilantis, sans qu'on sache encore pourquoi, il ne parvint à en chasser les Turcs qu'en perdant un grand nombre de ses palicares et un de ses cousins qu'il chérissait.

Cet avantage, chèrement acheté par Odyssée, qui n'avait pas encore éprouvé de pertes aussi considérables, l'irrita au point d'éclater en injures contre Hypsilantis, dès qu'il le revit au milieu des stratarques, où il l'apostropha, dit-on, à la manière des héros d'Homère. Non content de lui reprocher de n'être venu, ainsi que ses pareils, dans la Grèce que pour l'exploiter dans des vues particulières à quelques familles soi-disant princières, imbues de l'idée de gouverner sous la suzeraine protection d'une puissance funeste aux Grecs, il ne ménagea ni les menaces, ni les expressions du mépris qu'il professait pour les Grecs du Phanal.

« Tu dédaignais, dit-il à Hypsilantis, naguère jus«< qu'au titre de président dont nos compatriotes « t'avaient honoré, en évitant de l'accoler au pro<< tocole de tes vaines proclamations. Tu as persisté << trop long temps pour n'être pas démasqué, à « te dire le commissaire, l'agent de ton frère Ale«< xandre, qui se qualifiait de représentant, de régent << et de lieutenant-général de la Grèce. Qui lui avait «< conféré ces titres? en vertu de quel mandat agis«sait-il? que signifiait cette Hétérie, ces couleurs << et ces serments mystérieux qu'il a si mal tenus? « Le malheureux! entouré comme toi de saltimban«ques et d'orateurs, il n'a su ni vaincre ni mourir! « Pour cacher ton dépit, tu prends maintenant le << nom de patriote : patriote! tu ne l'es pas plus que «Grec; et tout barbares que sont nos palicares, « aucun de nous n'est un parvenu en fait de gloire.

« Phanariote, né pour servir et pour opprimer, << écoute la Croix, voilà notre maître. Cette terre « arrosée de notre sang, cette terre nourricière de << nos aïeux, cette terre qui possède leurs tombeaux, « voilà notre patrie..... Elle te désavoue ainsi que << nos palicares morts par ta faute, qui t'accusent « peut-être dans ce moment devant le tribunal de « Dieu. >>

Au lieu de répondre en soldat à cette diatribe virulente, D. Hypsilantis, quoique personnellement brave, mais toujours de cette caste Phanariote accoutumée à attaquer son ennemi par des souterrains, se hâta d'adresser au sénat de Corinthe un rapport de ce qui s'était passé entre lui et Odys

sée. Il s'y plaignait avec une amertume mêlée d'aigreur de son antagoniste, qu'il qualifiait de barbare, qui n'avait pour mérite qu'une valeur brutale; d'homme violent, sans frein, sans réserve, et sans aucun sentiment de soumission aux lois.

On connaissait assez généralement Odyssée sous quelques-unes de ces désignations; et le récit d'Hypsilantis n'ayant pas manqué d'être envenimé par l'archigrammatiste Théodore Négris, il lui fut facile de faire prendre une détermination humiliante contre le bouillant stratarque épirote.

On lui intima l'ordre de se rendre à Corinthe pour répondre à plusieurs chefs d'accusation portés contre sa conduite. N'ayant pas obéi à cet appel, on lui retira le commandement de l'armée (1), et on nomma à sa place le chiliarque Christos Palascas, qui partit accompagné du trop fameux Zagorite Alexis Noutzas pour se rendre en Livadie.

Quoiqu'on accordât du mérite à Palascas, qui avait obtenu le grade de major d'artillerie au service de Russie, il avait le malheur d'être fils de celui qui trahit autrefois les Souliotes en livrant leur patrie. Comme il est rare que les fautes qui devraient être personnelles ne rejaillissent pas sur le fils d'un traitre, surtout dans un pays où les ressentiments sont aussi ardents que le climat, le sénat de Co

(1) On assure que ces commissaires étaient porteurs d'une espèce de firman de mort contre Odyssée, et des renseignements qui nous sont parvenus permettent de donner croyance à cet acte irrégulier.

rinthe ne pouvait faire un plus mauvais choix, dans les circonstances où l'on se trouvait. De quel œil des capitaines et des braves, liés d'intérêt avec les Souliotes, pourraient-ils supporter le commandement d'un stratarque qui portait un nom entaché d'infamie? Il aurait suffi sans cela que Palascas se trouvât accolé à Alexis Noutzas pour perdre toute espèce de considération.

Celui-ci, qui avait connu Odyssée à Janina, au service d'Ali, où il n'avait pas manqué de lui prodiguer des dédains, était regardé comme l'adversaire le plus prononcé de l'émancipation des Grecs, dont il n'avait jamais parlé qu'avec dérision. A Souli, à Vrachori, à Missolonghi, où il avait voté constamment avec Tahir, devenu pacha depuis qu'il eut trahi Marc Botzaris à l'attaque d'Arta (1), Noutzas n'avait jamais ouvert la bouche que pour plaider en faveur du tyran de l'Épire, qui le nommait son fils. C'était sous la protection d'Ali qu'il avait gouverné en pacha turc, plutôt qu'en vaivode chrétien, les quarante-deux villages grecs de la Perrhébie qui gémirent trop long-temps sous son administration. Compagnon de débauche de Mouctar et de Véli, il en avait les mœurs dissolues. Il ne connaissait pas de plus beau gouvernement que celui du sabre et du bâton! Il semblait cependant, depuis l'extinction de Tébélen, s'être converti en désespoir de cause au parti des Hellènes.

L'histoire, dit Platon, qui a reçu ce nom parce

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