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de la doctrine chrétienne et de la philosophie. Au Christianisme seul appartient le gouvernement moral du monde, parce que seul il a complètement compris l'humanité et le monde dans leur origine et dans leur destination. Au sacerdoce chrétien, aux ministres de l'Église est réservée l'œuvre la plus sublime, celle de démasquer et de combattre l'adversaire de la vérité dans ses dernières tentatives, non plus seulement pour se faire semblable à Dieu, mais pour se substituer à sa place, pour se faire Dieu.

Mais aujourd'hui ce n'est plus avec des discussions rationnelles qu'on ranimera la foi des peuples; ce n'est pas non plus par des panégyriques du Christianisme, par l'exposition plus ou moins éloquente de tout ce qu'il a fait de grand et de beau sur la terre, qu'on lui ramènera les âmes. Ces panégyriques, disent nos adversaires, sont des oraisons funèbres, et on ne loue ainsi que les morts. Aussi nos jeunes panthéistes vont-ils répétant partout que le Christianisme, si utile autrefois, a vécu son temps, qu'il est vieux, usé, impuissant, qu'il va mourir, s'il n'est déjà mort; et la preuve, disent-ils, c'est qu'il ne peut rien aujourd'hui pour tant d'âmes fatiguées, épuisées, et qui lui demandent de la vie; c'est qu'il n'a point de lumière pour tant d'intelligences affamées de vérité et qui la cherchent par toutes les voies, c'est qu'il laisse flottantes dans le doute tant de raisons qui sont cependant disposées à croire. S'il y a encore en lui de

la vitalité, que ne se montre-t-elle en de si graves circonstances? Pourquoi ne fait-il rien, quand on a droit d'en espérer tout? — A cela il n'y a qu'une réponse; celle que fit Zénon à celui qui niait le mouvement. Ministres de l'Église, apôtres de l'Évangile, puissions-nous marcher devant les hommes de notre siècle, le flambeau de la foi dans une main et celui de la science dans l'autre, pour leur prouver aussi qu'il y a du mouvement dans le Christianisme! Puissions-nous donner aujourd'hui au monde la même démonstration de la vérité de l'Évangile, que l'Apôtre des nations en donna il y a dix-huit cents ans, «non, disait-il, par les discours éloquens ou subtils de la «sagesse humaine, mais par la manifestation de l'es"prit et de la vie, afin que votre foi ne soit pas fondée «sur la science de l'homme, mais sur la vertu de

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Dieu.» (I Corinth., chap. II, v. 4 et 5.)

TRENTIÈME LETTRE.

EUDORE AU MAITRE.

Jusqu'ici, mon cher maître, j'ai gardé le silence, goûtant dans mon cœur une parole qui fait ma vie et ma joie. A chacune de vos lettres, je pourrais dire à chacune de vos révélations, j'ai partagé la douce satisfaction de mes amis, j'ai joui comme eux de cette espèce de bonheur que doit éprouver un aveugle-né au moment où il recouvre la vue; et ce bonheur allait croissant, à mesure que la lumière de la doctrine dissipait les ténèbres de mon esprit, en détruisant les préjugés de mon enfance et les erreurs de ma jeunesse. Je me taisais, parce que j'étais heureux, et que le contentement de l'âme invite au silence et porte au recueillement. Aujourd'hui, je souffre! Ma paix est troublée; ma lumière s'est évanouie; la vérité semble m'échapper, me fuir; je crains, hélas! de la perdre, quand à peine je commençais à l'entrevoir. Mon cher maître, il faut que je parle; il faut que je verse dans votre sein le doute qui m'accable, la

cruelle inquiétude qui me tourmente. Vous m'avez habitué à voir en vous plus qu'un maître, et votre paternelle affection justifie la franchise avec laquelle je vais vous découvrir mon mal et sa cause.

Vos leçons m'ont fait connaître le fort et le faible de ma raison, ses droits, son pouvoir et ses bornes; et en ce qui concerne la connaissance des vérités éternelles et intelligibles, j'ai consenti sans effort à la soumettre à une autorité légitime, qui doit lui servir d'appui, de flambeau et de guide. Vous nous avez montré cette autorité dans l'Église chrétienne, dont quelques-unes de vos lettres nous ont donné une vaste et brillante idée. La grandeur et la dignité de cette Église doit rejaillir sur tous ceux qui lui appartiennent; et l'intelligence qui lui rend librement hommage, participe sans doute en quelque chose à sa gloire. Mais si d'un côté, plein d'admiration devant le magnifique tableau que vous avez dévoilé à nos yeux, j'ai éprouvé une sorte d'orgueil à me soumettre de plein gré à une pareille puissance; de l'autre, il faut le dire, mon âme s'est révoltée, tout mon être s'est soulevé, quand j'ai considéré plus attentivement les conséquences de cette obéissance, de cette abnégation, et le fait étrange sur lequel on s'appuie pour me demander un tel sacrifice. Que l'Église soit grande, noble, imposante, je l'accorde; que, comme un arbre magnifique, enfonçant ses racines dans la profondeur, et de sa tête touchant le

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Ciel, elle couvre de ses branches les générations de dix-huit siècles, et les nourrisse de ses fruits, je le vois. Mais de ce qu'elle est si grande, s'en suit-il que l'homme soit si peu de chose? Ne peut-elle s'élever qu'en l'écrasant; et sa gloire tient-elle à la misère et à la dégradation de l'humanité, qu'elle pose en principe? Pour devenir Chrétien, faut-il donc, après avoir reconnu déjà l'impuissance de ma raison à saisir la vérité pure, que j'admette encore que mon intelligence est faussée, que ma volonté est corrompue, que ma liberté n'est qu'une chimère? Il faut que je me croie tombé pour être relevé, avili pour être réhabilité; il faut que je renonce à toute dignité, à l'estime de moi-même; il faut que je meure à moi-même pour revenir à la vie! Étrange doctrine, que je repousse tout d'abord comme par instinct, et à laquelle quelque chose d'inexplicable me ramène comme malgré moi! Mon orgueil s'irrite de cette révélation de ma misère, et cependant elle me fait aimer davantage celui qui me l'enseigne. Sa parole qui me blesse, qui me déchire le cœur, commande mon respect, et je la reçois avec désir. Singulière contradiction de mon âme qui admire et murmure, croit et doute à la fois, et accepte en frémissant une parole qu'elle aime, tout en la combattant par des argumens qui lui paraissent sans réplique ! Vous allez en juger, mon cher maître ;

car j'ai besoin de vous les exposer, et je désire sincèrement que vous m'en démontriez la vanité.

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