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instrument de destruction, servant à ébranler, à saper, à renverser. C'est par là que ces systèmes et ces doctrines sont foncièrement en opposition avec l'esprit du Christianisme, qui est essentiellement conservateur. C'est le panthéisme en opposition avec le théisme; c'est l'esprit du monde en contradiction avec l'esprit de l'Évangile ; c'est la continuation de la lutte entre l'idolâtrie et les adorateurs du vrai Dieu.

L'Église chrétienne persiste cependant au milieu de ce débordement d'opinions, de sophismes et de passions. Immuable dans sa foi et sa doctrine, ferme dans sa confiance et dans son espérance, active dans sa charité, elle subsiste dans son gouvernement et sa hiérarchie; elle est au fond la même qu'au jour de sa naissance. Mais, comme vous l'avez remarqué, il manque quelque chose à la plupart de ses ministres, quelque chose que l'état de la société, à laquelle ils doivent annoncer la parole du salut, réclame impérieusement: c'est la science de l'homme, de sa nature, de ses rapports et de sa loi, c'est la science historique de l'humanité, c'est la philosophie chrétienne en un mot. On peut être bon Chrétien par la foi seule, sans aucune science explicite; car qui a le plus a le moins, et j'adhère de tout mon cœur à la parole du Maître : «Heureux ceux qui croient sans

avoir vu!» Mais il en n'est pas moins vrai qu'il faut une science profonde pour enseigner à des intelligences éclairées une doctrine profonde; que c'est

par la connaissance des choses sensibles et de leurs lois que l'homme est préparé à la foi et à la compréhension des choses intelligibles, et qu'une société engouée comme la nôtre de la philosophie païenne, envahie par des doctrines superficielles ou erronées, enchantée par les connaissances naturelles, ne peut être ramenée au goût du vrai, du beau et du bien que par un enseignement vaste et profondément scientifique. De pauvres pêcheurs furent envoyés pour prêcher l'Évangile aux pauvres, après avoir été instruits eux-mêmes par Celui qui est la voie, la vérité et la vie : mais il a fallu un Apôtre savant pour évangéliser la Grèce et l'Italie savantes ; il a fallu la vertu et la science de la sagesse divine pour confondre les vains discours de la sagesse humaine. C'est dans l'insuffisance et l'imperfection des études qu'on fait faire à la jeunesse, au moment où elle se prépare à entrer dans le monde ou dans l'Église; c'est dans le fond et dans la forme de l'enseignement philosophique, qui n'est plus en harmonie avec l'état du siècle et les besoins des esprits, et que les uns s'obstinent à conserver, tandis que les autres l'abandonnent à l'arbitraire; oui, c'est ici que se trouve la cause principale de la maladie qui ronge la société; c'est ici que se montre la plaie profonde que le rationalisme a faite à l'Église et qu'il agrandit tous les jours. Pour vous convaincre de cette triste vérité, il nous suffira d'examiner rapidement ce qui est enseigné sous le nom de philosophie dans nos écoles.

VINGT-SEPTIÈME LETTRE.

LE MÊME AU MÊME.

J'AI affirmé, dans ma dernière lettre, que la cause principale de la maladie qui tourmente et dévore la société actuelle, se trouve dans l'imperfection, ou pour mieux dire, dans le vice de l'enseignement philosophique. L'exposition de cet enseignement, tel qu'il se donne dans les diverses écoles de nos jours, justifiera cette assertion.

Ces écoles sont de deux espèces. Les unes sont destinées à former les hommes du monde, à les préparer par une instruction, d'abord générale et ensuite spéciale, aux diverses fonctions qu'ils auront à remplir dans la société, à l'état qu'ils devront embrasser. Les autres sont destinées plus particulièrement à former les hommes de l'Église; ce sont les pépinières du sacerdoce, et l'instruction qui s'y donne doit surtout être appropriée à ce but sublime.

J'ai passé ma vie dans les écoles du monde et je crois les bien connaître. Élève de la première de ces

écoles, de l'école mère, chargée de donner des maîtres et des doctrines à toutes les écoles de France, j'ai été initié dès ma jeunesse aux mystères de ces doctrines. J'ai vu de près, j'ai connu intimement les hommes distingués à qui avait été confiée la mission de former les docteurs des peuples. J'ai reçu leur enseignement avec ardeur, et je ne pense pas qu'ils aient eu un disciple plus zélé, plus avide de science, plus altéré de vérité. Préparé par les soins bienveillans de mes maîtres, il m'a fallu enseigner à mon tour; on m'a fait docteur de la sagesse, et je ne sa

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vais point ce que c'était que la sagesse, dont je me

croyais amateur. Il m'a fallu entrer en commerce avec toutes les spéculations, traiter avec tous les systèmes, me mettre en rapport avec les auteurs de philosophie de tous les temps et de tous les pays. Certes je ne suis point resté étranger à ce qu'on appelle le mouvement philosophique qui s'est opéré en France depuis le commencement de ce siècle. Voyons ce qu'il a produit et jugeons-le par ses fruits.

Indépendamment des causes lointaines qui ont contribué à l'amener, la révolution de 89 s'est faite sous l'influence et la direction des doctrines du dix-huitième siècle, et elle en a été dans ses diverses phases une terrible réalisation. La métaphysique de Condillac, si métaphysique il y a dans Condillac, la morale d'Helvétius, la politique du Contrat social, et pardessus tout cela et en tout cela le génie ou le démon

familier de Voltaire: voilà ce qui constituait la philosophie spéculative et pratique de la France au commencement du dix-neuvième siècle. C'était le matérialisme, le sensualisme ou l'égoïsme en action. Aussi tout le monde à cette époque était philosophe, et toutes les théories de connaissances naturelles se décoraient pompeusement et ridiculement du nom de philosophie. C'est ainsi que nous avons eu la philosophie de la chimie, de la botanique, de la physique, de l'astronomie, de l'anatomie. Et avec tant de philosophes et au milieu de tant de philosophies, il n'y avait réellement rien qui méritât ce nom ou plutôt il n'en restait que le nom.

Quand, après la crise, politique l'ordre commença à se rétablir, quand les grandes institutions sans lesquelles il n'y a point de société, eurent été reposées sur leurs bases naturelles par la main puissante d'un homme que la Providence suscita pour tirer la France de l'anarchie, on songea à reconstituer l'instruction publique. Les écoles furent organisées en un vaste système, dont le chef de l'État tenait la clef, et toute la jeunesse française dut être dressée et formée comme un seul homme pour servir d'instrument à sa volonté. La France était tombée de l'anarchie sous le despotisme, et après avoir tant crié : Liberté ! elle s'estimait heureuse de trouver quelque repos dans la servitude.

Il est clair qu'en de telles circonstances, il n'y avait

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