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à la science de la vérité et préparé à la contempler face à face. C'est donc pour la créature morale vivant dans le temps, et non pour l'être purement métaphysique, qu'il y a histoire ou développement successif, par conséquent Providence.

Mais, dites-vous, des peines sans fin, des peines éternelles pour un acte instantané, pour un refus de soumission qui n'ôte rien à Dieu, comment le concevoir? C'est là, je le sais par expérience, le grand scandale de la raison; et cependant à moins de renoncer à l'idée du vrai Dieu, à moins de s'abdiquer elle-même, de nier la liberté et la personnalité de la créature intelligente, la raison est obligée d'admettre cette terrible vérité parce qu'elle sort de prémisses nécessaires. S'il est vrai que l'Être créateur est immuable dans son vouloir, si la créature intelligente est libre, immortelle, indestructible; si elle a abusé de sa liberté en se mettant volontairement en opposition avec le vouloir, la puissance et la sagesse de son divin Auteur; si elle s'est fixée dans cette opposition, soit par un seul acte décisif et irrévocable comme l'ange, soit par des actes réitérés et successifs comme l'homme, il faut bien et de toute nécessité qu'elle subisse les suites de ce qu'elle a fait. Dieu veut toujours ce qu'il a voulu en créant, le bonheur de sa créature; et celle-ci une fois qu'elle s'est fixée dans l'opposition ne peut plus se changer ni être changée; elle a méprisé l'amour divin et rendu inutiles tous les moyens de grâce

par lesquels il pouvait la toucher. Elle persiste donc dans l'opposition; son péché est permanent, et le sort qu'elle s'est fait par le péché l'est aussi. Il n'y a dans tout cela rien d'arbitraire de la part de Dieu; il n'y a que ce que la créature a voulu et veut encore. Si ce sort est heureux, parce qu'il est conforme à sa nature, à sa loi, c'est à Dieu et à elle-même par Dieu qu'elle en est redevable; s'il est malheureux, la cause de son malheur est dans sa volonté pervertie, dans l'exaltation de sa vie, dans l'orgueil par lequel elle prétend se suffire à elle-même comme Dieu se suffit. C'est elle qui fait l'enfer dans son moi, dans sa conscience, dans sa personne; et le lieu dans l'univers où elle existe et persiste dans sa révolte (car il faut bien que chaque créature ait son lieu et son monde), le lieu où sont réunis ces êtres ingrats et orgueilleux, haineux et révoltés, c'est l'enfer extérieur, le lieu de la gehenne ou du tourment. Si un rayon de la lumière divine pouvait pénétrer ce monde de ténèbres, ces ténèbres extérieures comme dit l'Écriture; si l'amour de Dieu pouvait renaître dans l'ange déchu, il éteindrait la rage qui le consume, il dissiperait ses ténèbres, l'enfer s'évanouirait en lui et hors de lui. «Il n'y a pas d'enfer, dit S. Augustin, pour celui qui « aime Dieu.»

Vous voyez, mes amis, que ce dogme formidable des peines éternelles, si positivement énoncé dans l'Évangile, si constamment enseigné et cru dans l'É

glise chrétienne, se déduit logiquement des premières vérités de la métaphysique, et que la raison ne peut le repousser sans renier sa loi, sans nier Dieu même et la liberté de la créature intelligente. Aussi sa répugnance prononcée contre ce dogme a sa cause dans l'ignorance plus encore que dans l'impiété. Vous devez voir maintenant pourquoi vous ne pouviez allier l'idée de la bonté infinie avec la croyance à un châtiment sans terme pour le délit d'un moment; c'est qu'une vérité intermédiaire ou un moyen terme vous manquait. Vous ne songiez pas qu'entre ces deux extrêmes il y a la liberté de la créature intelligente, son immortalité, son indestructibilité. C'est à cette volonté, que Dieu respecte pour ainsi dire, qu'il ne violente jamais, qu'il faut rapporter le désordre et ses suites, et non au vouloir divin. Et remarquez que cette vérité dogmatique devient d'autant plus terrible, qu'elle est une déduction rigoureuse de principes nécessaires. Il n'y a point là de justice vengeresse avide de punir; il y a d'un côté l'amour dédaigné, de l'autre l'orgueil révolté; il y a une loi inflexible qui s'applique à la créature comme justice rigoureuse, en vertu de l'acte de sa propre liberté, et sous laquelle elle est tombée parce qu'elle l'a voulu.

Du reste, mon cher ami, je n'ai point prétendu vous donner dans cette lettre un traité de métaphysique. Mon désir a été de vous aider à comprendre les textes sacrés qui se rapportent aux bons et aux

mauvais anges, en vous montrant que le sens de ces textes est tout-à-fait en harmonie avec les lois de la vie et de son développement. Je voulais vous montrer d'où est parti le mal et par suite tous les maux. Je voulais vous préserver ou vous désabuser de ces préjugés de la raison qui porte si légèrement l'arbitraire en Dieu, qui fait de Dieu un être cruel, et de l'homme une victime et un esclave, dont en d'autres cas elle défend cependant la liberté de toute sa force. Je voulais surtout écarter de votre esprit ces nuages épais de la fausse science, qui, en obscurcissant l'intelligence, empêchent l'élan de l'amour et restreignent la confiance, la soumission filiale que nous devons à l'Auteur de notre existence. Croyez, mon cher Eudore, oh! croyez de toute votre âme à l'amour, à la bonté infinie de Dieu! Croyez qu'il ne hait aucun de ses ouvrages, qu'il n'a fait aucune créature pour la souffrance et le malheur. Croyez à la liberté et à la dignité de l'être intelligent. Croyez que votre sort futur dépend de vous comme de Dieu, que ce sort sera heureux ou malheureux, suivant que vous aurez accompli ou violé les conditions auxquelles la félicité de la créature libre est nécessairement attachée. Tout cela deviendra plus clair quand nous aurons considéré l'état de l'homme primitif, l'épreuve à laquelle il a été soumis, la manière dont il l'a subie et les tristes suites de son infidélité.

TRENTE-HUITIÈME LETTRE.

LE MAITRE A EUDORE.

Jusqu'ici, mon cher Eudore, nous avons considéré l'homme dans son état actuel, tel qu'il apparaît au sein de la nature, tel qu'il se présente dans le monde, sous la forme de son existence temporaire; nous l'avons pris comme un fait, dont nous ne recherchions point directement la cause. Ses antécédens ne nous ont occupés qu'en tant qu'ils nous étaient évidemment indiqués par la condition actuelle de l'humanité; et nous n'avons pu méconnaître, à la simple inspection de la vie humaine, telle qu'elle se développe aujourd'hui sur la terre, des signes frappans de grandeur et de misère, des caractères incontestables d'une haute origine et d'une profonde dégradation. Cette vue nous a donné la conviction que l'homme n'a pas toujours été tel qu'il est maintenant, qu'il est devenu autre qu'il n'était, sans doute par sa faute puisqu'il est une créature libre; et sans pouvoir déterminer encore ce qui a amené ce déplo

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