Images de page
PDF
ePub

Les Héros dont encore elles portent l'image.

Toute autre se seroit rendue à leurs discours :

Mais, fi vous ne régnez, vous vous plaignez toujours. Avec Britannicus contre moi réunie,

Vous le fortifiez du parti de Junie ;

Et la main de Pallas trame tous ces complots.
Et lorfque, malgré moi, j'affure mon repos,
On vous voit de colère & de haine animée.
Vous voulez présenter mon rival à l'armée.
Déja jufques au camp le bruit en a couru.

AGRIPPINE.

Moi, le faire Empereur! Ingrat, l'avez-vous cru? Quel feroit mon deffein ? Qu'aurois-je pu prétendre ? Quels honneurs dans fa Cour, quel rang pourrois-je

attendre ?

Ah! fi fous votre empire on ne m'épargne pas;
Si mes accufateurs obfervent tous mes pas;
Si de leur Empereur ils poursuivent la mère,
Que ferois-je au milieu d'une Cour étrangère?
Ils me reprocheroient, non des cris impuissans,
Des deffeins étouffés auffi-tôt que naiffans,

Mais des crimes pour vous commis à votre vue,
Et dont je ne ferois que trop tôt convaincue.
Vous ne me trompez point, je vois tous vos détours:
Vous êtes un ingrat, vous le fûtes toujours.
Dès vos plus jeunes ans, mes soins & mes tendreffes
N'ont arraché de vous que de feintes careffes.

Rien ne vous a pu vaincre, & votre dureté

Auroit dû dans fon cours arrêter ma bonté. Que je fuis malheureuse! Et, par quelle infortune, Faut-il que tous mes foins me rendent importune? Je n'ai qu'un fils. O Ciel, qui m'entends aujourd'hui, T'ai-je fait quelques vœux qui ne fuffent pour lui? Remords, crainte, périls, rien ne m'a retenue. J'ai vaincu ses mépris, j'ai détourné ma vue Des malheurs qui dès-lors me furent annoncés. J'ai fait ce que j'ai pu. Vous régnez, c'est affez. Avec ma liberté, que vous m'avez ravie, Si vous le fouhaitez, prenez encor ma vie. Pourvu que par ma mort tout le peuple irrité, Ne vous raviffe pas ce qui m'a tant coûté.

NÉRON.

Hé bien donc, prononcez. Que voulez-vous qu'on falle

AGRIPPINE.

De mes accufateurs qu'on puniffe l'audace ;
Que de Britannicus on calme le courroux ;

Que Junie, à fon choix, puiffe prendre un époux.
Qu'ils foient libres tous deux, & que Pallas demeure;
Que vous me permettiez de vous voir à toute heure?

(appercevant Burrhus dans le fond du Théâtre.) Que ce même Burrhus, qui nous vient écouter, A votre porte enfin n'ose plus m'arrêter.

NÉRON.

Oui, Madame, je veux que ma reconnoiffance
Déformais dans les cœurs grave votre puissance,
Et je bénis déja cette heureuse froideur,

Qui de notre amitié va rallumer l'ardeur.
Quoi que Pallas ait fait, il fuffit, je l'oublie.
Avec Britannicus je me réconcilie ;

Et, quant à cet amour qui nous a séparés,
Je vous fais notre arbitre, & vous nous jugereza
Allez donc, & portez cette joie à mon frère.
Gardes, qu'on obéiffe aux ordres de ma mère.

Q

SCENE

III.

NÉRON, BURRHU S.

BURRHUS.

UE cette paix, Seigneur, & ces embrassemens
Vont offrir à mes yeux des fpectacles charmans!
Vous favez fi jamais ma voix lui fut contraire;
Si de fon amitié j'ai voulu vous diftraire,
Et fi j'ai mérité cet injufte courroux.

NERON.

Je ne vous flatte point, je me plaignois de vous,
Burrhus; je vous ai cru tous deux d'intelligence.
Mais fon inimitié vous rend ma confiance.
Elle fe hâte trop, Burrhus, de triompher.
J'embraffe mon rival, mais c'eft pour l'étouffer.

[merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors]

Me délivre à jamais des fureurs d'Agrippine.
Tant qu'il refpirera je ne vis qu'à demi.
Elle m'a fatigué de ce nom ennemi;

Et je ne prétends pas que fa coupable audace
Une feconde fois lui promette ma place.

BURRHU S.

Elle va donc bientôt pleurer Britannicus?
NÉRON.

Avant la fin du jour je ne le craindrai plus.

BURRH US.

Et qui de ce deffein vous infpire l'envie?

NÉRON.

Ma gloire, mon amour, ma sûreté, ma vie.

BURRHU S.

Non, quoique vous difiez, cet horrible deffein
Ne fut jamais, Seigneur, conçu dans votre fein.

Burrhus!

NÉRON.

BURRH U S.

De votre bouche, ô Ciel! puis-je l'apprendre,
Vous-même, fans frémir, avez-vous pu l'entendre?
Songez-vous dans quel fang vous allez vous baigner?
Néron dans tous les cœurs eft-il las de régner?
Que dira-t-on de vous? Quelle eft votre pensée ?
NÉRON.

Quoi, toujours enchaîné de ma gloire paffée,
J'aurai devant les yeux je ne fais quel amour

Que le hafard nous donne & nous ête en un jour!

Soumis à tous leurs vœux, à mes défirs contraire, Suis-je leur Empereur feulement pour leur plaire? BURRH U S.

Et ne fuffit-il pas, Seigneur, à vos fouhaits
Que le bonheur public soit un de vos bienfaits?
C'est à vous à choisir, vous êtes encor maître.
Vertueux jufqu'ici, vous pouvez toujours l'être.
Le chemin eft tracé, rien ne vous retient plus.
Vous n'avez qu'à marcher de vertus en vertus.
Mais fi de vos flatteurs vous fuivez la maxime,
Il vous faudra, Seigneur, courir de crime en crime;
Soutenir vos rigueurs par d'autres cruautés,
Et laver dans le fang vos bras enfanglantés.
Britannicus mourant excitera le zèle

De fes amis, tout prêts à prendre fa querelle
Ces vengeurs trouveront de nouveaux défenfeurs,
Qui, même après leur mort, auront des fucceffeurs.
Vous allumez un feu qui ne pourra s'éteindre.
Craint de tout l'Univers, il vous faudra tout craindre;
Toujours punir, toujours trembler dans vos projets ;
Et pour vos ennemis compter tous vos sujets.
Ah! de vos premiers ans l'hereuse expérience
Vous fait-elle, Seigneur, hair votre innocence?
Songez-vous au bonheur qui les a fignalés?
Dans quel repos, ô Ciel, les avez-vous coulés?
Quel plaifir de penfer & de dire en vous-même :
Par tout, en ce moment, on me bénit, on m'aime.
On ne voit point le Peuple à mon nom s'allarmer;

« PrécédentContinuer »