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Ce serait également une question vaine et ridicule que celle de demander si le législateur ne doit pas consulter la justice avant que de consulter l'utilité; car ce serait supposer que la justice est un être existant par lui-même, et que les hommes qui se sont réunis pour leur bonheur commun, doivent consulter autre chose que ce qui leur est utile, avant que de déterminer les règles de leur association.

Lors donc qu'on a à parler des relations qui peuvent exister entre un peuple et un autre peuple, ou entre un maître et son esclave, on ne doit se servir ni du mot justice, ni du mot droit; parce que ces mots sont toujours relatif, et qu'ici l'on n'aurait pas de termes de comparaison. On doit employer les mots puissance, force, intérêts; parce que ces mots sont entendus de tout le monde, et que lorsqu'on dit qu'un peuple agit contre ses intérêts, on entend beaucoup mieux ce que cela signifie que lorsqu'on dit qu'il agit contre le droit des gens.

Ayant déjà dit que l'objet de nos facultés est de produire en nous des sentimens agréables, et de nous préserver des sentimens douloureux; et que le but des lois est d'en régler l'exercice en les ramenant vers leur objet, il semble qu'il suffirait d'ajouter que pour former ou pour interpréter une loi, on doit consulter les besoins du peuple pour lequel elle est faite, et les moyens qu'il et les moyens qu'il a de les satis

faire.

Mais ce n'est pas ainsi que l'entendent la plupart des juristes modernes. Ils examinent d'abord ce que

prescrit le droit naturel, droit immuable, que Dieu même ne saurait changer; ensuite vient le droit arbitraire, et qu'on peut changer sans raison, parce que c'est probablement ainsi qu'ils pensent qu'il a été fait; puis viennent le droit des nations, le droit civil, le droit public, le droit privé, le droit des gens primaire, le droit des gens secondaire ; les principes, la droite raison, les fictions, les causes favorables, les causes défavorables, celles qui doivent être décidées suivant les règles du droit étroit, et celles qui doivent l'être suivant l'équité, les lois qu'il faut étendre et celles qu'il faut restreindre ; en un mot, c'est un jargon inintelligible qu'ils parlent, parce qu'ils veulent paraître savans, et qu'il est plus facile d'apprendre des mots que d'acquérir des idées.

Cependant l'habitude d'employer continuellement des mots qui n'ont aucun sens, de faire des divisions sans objet, et de les donner ensuite pour des raisons, est si ancienne et si générale, que c'est peutêtre une entreprise vaine que de vouloir la détruire. Je l'essaierai cependant quelque jour, persuadé que si mes efforts sont inutiles pour ceux qui se sont déjà fait une habitude de mal raisonner, ils pourront du moins être de quelqu'utilité aux jeunes gens qui auront assez de confiance dans leur jugement pour ne pas se charger la mémoire de termes dont ils n'entendront pas la signification la signification, ou assez de modestie pour ne pas vouloir paroître savant, quand ils seront bien convaincus qu'ils ne savent que des mots.

OBSERVATIONS

Relatives à quelques articles du Traité de Paix.

On a déjà vu que, dans sa séance du 12 juillet dernier, la chambre des pairs, en s'occupant de la classe indigente, avait donné une attention particulière aux personnes sur lesquelles ont pesé le fléau de la guerre; et que la proposition qui lui avait été faite à cet égard avait été ajournée jusqu'à ce que le tableau de la situation de la France lui eût été présenté. Ce tableau à été mis sous ses yeux dans la séance du 16; et quoiqu'il n'ait pas rempli l'attente qu'on s'en était formée, nous devons espérer que la chambre se hâtera de reprendre la discussion de la proposition qui lui a été faite le 12; car toute négligence à cet égard serait une véritable calamité.

En s'occupant du sort des personnes qui ont été victimes des derniers désastres de la France, la chambre n'oubliera pas, sans doute, une classe fort nombreuse de citoyens qui ont un droit particulier à sa bienveillance; ce sont ceux qui, après avoir employé leur fortune à payer les cautionnemens que le dernier Gouvernement exigeait de tous les comptables publics, ont perdu les places qu'ils occupaient dans les départemens aujourd'hui étrangers à la

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France, et qui se trouvent ainsi sans aucun moyen d'existence.

On n'ignore pas que le dernier Gouvernement avait réduit la plupart des Français dans un état de détresse tel, que nul ne pouvait avoir une existence supportable s'il n'était employé dans quelque administration, et que pour être employé il fallait vendre ses propriétés et en verser le produit dans les caisses du trésor; ce qui s'appelait fournir un cautionnement. Ce moyen de s'emparer des biens des particuliers a dépouillé un très-grand nombre de personnes des propriétés qu'elles tenaient de leurs pères; beaucoup de jeunes gens qui avaient peu de fortune se sont mariés, et ont employé la dot de leurs femmes à payer les cautionnemens que le Gouvernement exigeait; presque tous ont été placés dans les départemens réunis à la France. Ces départemens ayant été envahis, les employés français ont été obligés de rentrer dans ceux que le Gouvernement n'a pas cédés à l'ennemi, et la plupart d'entre eux n'y sont rentrés qu'après avoir perdu leur mobilier.

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Quel sera donc aujourd'hui le sort de ces hommes, presque tous pèrés de famille ? le Gouvernement ne destituera certainement pas les employés de l'intérieur pour les mettre à leurs places; il ne créera pas de nouveaux emplois pour leur assurer de quoi vivre : car la France n'a déjà que trop d'employés. Il faudra donc ou qu'il les rembourse de leurs cautionnemens, ou que du moins il leur en paie les intérêts avec tant d'exactitude qu'ils trouvent toujours dans

ce léger dédommagement une ressource infaillible. En présentant le budjet, le ministre des finances a fixé le temps dans lequel les dettes de l'État seraient acquittées; mais ne convenait-il pas de fixer l'ordre dans lequel elles le seraient? S'il est vrai que tous les créanciers de l'État n'ont pas un égal besoin de leurs créances; s'il est vrai les employés qui ont perdu les places qu'ils occupaient, après avoir fourni un cautionnement, ont un plus grand besoin des intérêts qui leur sont dus, que les employés qui n'ont pas été déplacés, il s'ensuit que l'arbitraire qui régnerait dans l'ordre des paiemens serait une grande injustice.

que

Cependant, le croira-t-on, ce sont précisément les fonctionnaires qui ont conservé leurs places, auxquels on paie les intérêts de leurs cautionnemens, et ce sont ceux qui les ont perdues auxquels on refuse de les payer. On trouve, On trouve, dit-on, le prétexte de cette injustice dans l'article 19 du traité de paix. Pour bien saisir le sens de cet article, il faut examiner d'abord l'article 18 qui le précède :

« Les puissances alliées, dit l'article 18, voulant » donner à S. M. très-chrétienne un nouveau témoi» gnage de leur désir de faire disparaître, autant » qu'il est en elles, les conséquences de l'époque de » malheur si heureusement terminée par la pré» sente paix, renonçant à la totalité des sommes » que les Gouvernemens ont à réclamer de la France » à raison de contrats, de fournitures ou d'avances » quelconques faites au Gouvernement français dans

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