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presse est une conséquence inévitable d'une pareille constitution. Il ne s'agit donc point de discutér, comme on l'a fait jusqu'ici dans les deux chambres, les avantages et les inconvéniens de la liberté de la presse; c'est se livrer à un débat interminable et sans objet, puisque cette question est décidée pour nous par notre charte.

Après avoir rappelé succintement les raisons qu'on a données pour et contre la liberté de la presse, l'opinant ajoute: La vérité se trouve au milieu de ces deux extrêmes, et je ne connais rien d'utile dans dans le monde qui n'excitât un juste effroi, si l'on n'en considérait que l'abus possible; tout dans la nature offre un mélange de bien et de mal; l'au torité la plus salutaire est voisine de la tyrannie; la liberté est presque tonjours très-près de la licence. La liberté de la presse répand les erreurs comme les vérités, les remèdes les plus salutaires conime les plus fanestes poisons: elle sert également la raison et la folie, la sagesse et les passions; elle excite la confiance ou l'inquiétude, fait et détruit les réputations, affermit ou ébranle les Gouvernemens. Tout ce qu'on pent conclure, Messieurs, de cet examen tant rebattu, c'est qu'il faut jouir de la liberté de la presse, comme de toute autre chose, avec sagesse.

7 D'ailleurs, je le répète, l'examen de la grande question de la liberté de la presse est désormais superfia: cette liberté, avantageuse ou nuisible, est deve nue un des articles fondamentaux de notre constitution; nous devons la défendre et non la discuter. C'est en paraissant la contester qu'on excitait nos alarmes.

Passant aux dispositions du projet de loi, l'opinant observe qu'elles sont suspensives et non destruc tives de la liberté de la presse (1); et il réduit la question à ces termes : Les circonstances actuelles exigentelles que la liberté de la presse soit suspendue?

Ceux qui combattent le projet de loi, ajoute-t-il, prétendent qu'aucun motif réel d'inquiétude ne peut commander cette disposition.

Le bonheur que répand dans le royaume le retour de notre légitime souverain, les innombrables adresses qui portent au pied du trône les expressions du dévouement et de la reconnaissance, les transports d'allégresse qui éclatent partout à la vue de nos princes, les arcs de triomphe qu'ils rencontrent à chaque pas, l'adhésion de tous les Français à la charte que le Roi nous a donnée, la lassitude de tant de souffrances, l'expérience de tant d'erreurs, un

(1) Cette distinction ne me paraît pas très-claire; car si deux ans de suspension ne détruisent pas la liberté, dix ans, vingt ans, cent ans mème ne la détruiront pas davantage. On pourra toujours dire la liberté de 1a pressé n'est pas détruite, elle n'est que suspendue; et ce qu'on dit de la liberté de la presse, on pourra le dire de tous nos droits; de sorte qu'il ne serait pas impossible que quelqu'un de nos ministres s'avisât un jour d'enfermer la charte toute entière dans une boëte de plomb, et d'en faire le fondement de quelque monument public. Ce moyen d'en suspendre momentanément l'exécution serait d'autant plus, admirable, qu'il transmettrait à nos derniers neveux une preuve authentiqne et irrécusable des lumières et de la loyauté de nos ministres.

besoin si réel de paix et de repos; devraient, direntils, dissiper toutes les inquiétudes, et jamais on ne vit de circonstance qui permît plus de sécurité, et qui rendit moins nécessaire la censure inconstitutionnelle qu'on nous propose.

Dans mon opinion particulière, je serais porté à partager ces sentimens de confiance et de sécurité; mais pouvons-nous prudemment opposer nos espé rances, fondées sur ces signes apparens de bonheur public, aux craintes que nous témoignent les ministres responsables, qui reçoivent à toute heure des rapports certains de toutes les parties du royaume (1). Ici l'opinant rappelle toute les terreurs vraies ou simulées que le ministre a déjà fait connaître, et il finit par voter pour l'adoption du projet de loi.

:

M. le comte Porcher de Richebourg se prononce fortement contre toute espèce de censure préalable. Il fait sentir d'abord combien il serait dangereux de porter atteinte aux lois fondamentales de l'Etat il observe, il prouve que si la liberté de la presse était sacrifiée, et l'homme le plus confiant, le plus aveugle même, ne pourrait plus compter sur l'équilibre des pouvoirs, et que la responsabilité des ministres deviendrait elle-même illusoire; que les circonstances actuelles, bien loin de prouver les prétendus dangers

(1) Pourquoi les ministres ne produisent-ils pas ces rapports? pensent-ils que les preuves de bonne foi qu'ils -ont données aux deux chambres sont une raison suffisante pour les dispenser à l'avenir de prouver leurs assertions?

de la liberté de la presse, en prouvent au contraire Putilité, puisque depuis le moment qu'on en fait usage, elle n'a produit que de bons résultats.

On se plaint, ajoute-t-il, que la Nation n'a pas d'esprit public, et qu'il serait dangereux de se fier à sa mobilité : se flatterait-on de la réchauffer par de pareils moyens?

Ou je me trompe fort, ou il n'en existe pas de plus sûr pour l'anéantir et opérer le mal dont on se plaint, que les mesures révolutionnaires et toute espèce d'atteintes portées à notre charte.

Depuis que je suis appelé à réfléchir, par devoir et par goût, sur le sort de l'Etat et la cause de ses vicissitudes, j'ai vu constamment le peuple français se montrer susceptible de tout ce qu'il y a de bon, de de grand, de généreux ; et je crois pouvoir assurer qu'il n'a jamais manqué à ses gouvernans, tandis que ses gouvernans lui ont presque toujours manqué.

De bonne foi, pouvait-il s'attacher aux lois de son pays, s'en pénétrer, mourir pour les défendre, lorsqu'il voyait souvent le lendemain détruire ce qu'avait fait la veille, et le pacte social lui-même par tager ce mépris, cette versalité?

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S'il est vrai, comme l'assurent les publicistes, tous d'accord sur ce point, que la volonté générale qui constitue l'esprit public, ne peut résulter que du conflit le plus libre de toutes les opinions, doit on s'étonner qu'il n'ait pas pu germer là où le triomphe momentané d'un parti, produit d'une démarche insensée, qu'on appelait un coup d'Etat, s'annonçait aussitôt par la gêne et la violence de ce même parti,

pour que rien ne se fit ou ne circulât de contraire à ses vues? Là où les presses étaient brisées et restaient en stagnation à la volonté des suppôts de la police là où l'honnête écrivain, ami de son pays, allait tantôt à Bicêtre, tantôt à Sinamari, expier l'honorable courage d'avoir dit la vérité.

Il est donc bon de le dire; il est peut-être utile de le répéter, même au dix-neuvième siècle, que ce serait joindre l'injustice à l'ingratitude que d'attri buer à l'imprimerie, et par suite à la liberté de la presse, les maux dont elle fut toujours la première victime.

Quel est, en effet, l'homme assez étranger à nos malheurs pour ne pas savoir que les plus grands, les plus inévitables, ont été constamment le produit de son oppression?

Quand la plupart de nous frémissent encore à la vue de l'épouvantable tableau qui fut la suite de son esclavage, comment pourrait-on espérer de nous émouvoir par le narré de quelques abus qu'a pu entraîner sa liberté; abus toujours inséparables des meilleures institutions humaines, et auxquels il est si facile de remédier? Assurément ce ne sont point là, pouvons-nous dire à notre tour à l'auteur de la loi, des idées vagues, de vaines subtilités.

Les faits parfaitement d'accord avec les historiens qui se sont déjà chargés de transmettre à la pos-> térité la douloureuse histoire de ces vingt-cinq années, attestent que l'entière liberté de la presse fut, dans l'origine de la révolution, d'une très-courte durée; ils proclament assez hautement, pour n'être

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