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parcelle de souffle divin, divinæ particulam auræ, comme disait son ami Horace :

Quintessence d'atome, extrait de la lumière,

Je ne sais quoi plus vif, et plus mobile encor
Que le feu....

Cette sorte d'âme obscure, il la met dans l'enfant, ainsi qu'en l'animal auquel il appliquerait volontiers ce vers de Lamartine :

Frère à quelque degré qu'ait voulu la nature.

Pour démontrer ses fantaisies platoniciennes, que d'ingénieux exemples n'allègue-t-il pas, et le cerf poursuivi qui en suppose un plus jeune, et la perdrix qui contrefait la boiteuse, et les castors architectes, et la stratégie des renards polonais, et les expédients des deux rats qui veulent sauver leur œuf!

Mais ici La Fontaine ne perd point l'équilibre; pas d'ambitieuse théorie sa croyance n'est que sentiment; car il ne s'aventure jamais au delà du raisonnable. Cette mesure, nous la retrouvons encore en d'autres excursions de ce genre, notamment dans la fable où son philosophe scythe représente indiscrets stoïciens» qui retranchent de l'âme

Désirs et passions, le bon et le mauvais,

Jusqu'aux plus innocents souhaits.

Contre de telles gens, quant à moi, je réclame.
Ils ôtent de nos cœurs le principal ressort;
Ils font cesser de vivre avant que l'on soit mort.

(Livre XII, fable xx.)

« ces

Terminons en disant que, chez lui, ce goût de spéculation recouvre toujours le respect des vérités universelles, et s'associe souvent à des éclairs de foi religieuse :

Vouloir tromper le ciel, c'est folie à la terre;
Le dédale des cœurs en ses détours n'enserre
Rien qui ne soit d'abord éclairé par les dieux :
Tout ce que l'homme fait, il le fait à leurs yeux,
Même les actions que dans l'ombre il croit faire.
(Livre VI, fable xxvi.)

CONCLUSION SUR LA MORALE DE SES FABLES. 251

Aimer les hommes, leur être bienfaisant, supporter leurs défauts pour que les nôtres nous soient pardonnés, suivre la loi de nature, se confier à Dieu, ne chercher ni à juger la création, sinon avec le bon sens expérimental de Garo, ni à prévoir l'avenir, voilà donc les conseils qu'insinue sa morale tolérante dont le ton s'éleva sensiblement, dans les années voisines d'une conversion aussi ingénue que l'avaient été ses faiblesses, témoin ces derniers vers qui furent comme son testament:

Apprendre à se connaître est le premier des soins
Qu'impose à tous mortels la Majesté suprême.
Vous êtes-vous connus dans le monde habité?
L'on ne le peut qu'aux lieux pleins de tranquillité :
Chercher ailleurs ce bien est une erreur extrême.
Troublez l'eau vous y voyez-vous?...

Cette leçon sera la fin de mes ouvrages:
Puisse-t-elle être utile aux siècles à venir!

Je la présente aux rois, je la propose aux sages:
Par où saurais-je mieux finir?

(Livre XII, fable xxv.)

BOILEAU

(1636-1711)

PORTRAIT BIOGRAPHIQUE

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Son enfance. Fils de Gilles Boileau, greffier à la grand' chambre du Palais, et d'Anne de Niélé, Nicolas Boileau dit Despréaux d'un pré qui était au bout du jardin de la maison de campagne de son père, à Crosne - naquit à Paris, le 1er novembre 1636, dans une maison de la cour du Palais, non loin de la Sainte-Chapelle, et, suivant une tradition, qui, à défaut d'une authenticité prouvée, a le mérite d'être inoubliable, dans la chambre même où le chanoine Gillot et ses compères avaient collaboré à la Satire Menippée. Agé de deux ans lorsqu'il perdit sa mère, il ne connut point ces douces affections qui développent la sensibilité. Cadet d'une nombreuse famille, qui ne compta pas moins de onze enfants, abandonné aux soins d'une vieille gouvernante acariâtre qui le relégua plus d'une fois au grenier, dans une sorte de guérite, il eut une enfance triste, pesante, malingre et taciturne. Aussi son père disait-il volontiers de ce dernier venu: « Pour celui-là, c'est un bon garçon qui ne dira jamais de mal de personne ». On le mit le plus tôt possible, vers sept ou huit ans, au collège d'Harcourt, puis à celui de Beauvais où se terminèrent ses études. L'opération de la taille qu'il subit, en quatrième, et les infirmités qui en résultèrent, ne durent pas être non plus sans influence sur son humeur un peu morose. Il eut pourtant de bonne heure l'instinct poétique; mais un seul de ses maîtres, M. Sévin, régent de troisième au collège de Beauvais, s'en

SON ENFANCE : L'AIR DE famille.

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aperçut et l'encouragea. On raconte aussi que l'écolier passait des nuits entières à lire des romans, et s'oubliait dans sa passion studieuse jusqu'à ne pas entendre la cloche à l'heure des repas.

A dix-sept ans, son portefeuille contenait déjà l'ébauche d'une tragédie et bien des vers de rhétoricien préludant à une vocation qu'allait contrarier la volonté paternelle. Après avoir été tonsuré à onze ans et mis à la théologie à seize, sans enthousiasme, il se laissa frotter de procédure et recevoir avocat en 1656. Du droit et de son passage par l'étude d'un procureur qui le déclara tout à fait incapable, il rapporta juste assez de termes de chicane pour les souffler à l'auteur des Plaideurs; et de la théologie il retira le prieuré de SaintPaterne, bénéfice de huit cents livres dont il restitua loyalement tous les revenus 1 lorsque, huit ans après, la mort de son père lui permit d'écouter enfin ses goûts, et de se consacrer tout entier aux lettres, sans souci du lendemain.

L'hérédité. L'air de famille. L'exemple de ses aînés semblait lui tracer sa voie. Car la verve caustique était comme un signe de race dans la lignée toute gauloise à laquelle il appartenait. Deux de ses frères avaient déjà pris les devants. L'un d'eux, Gilles Boileau, grand lecteur de Régnier, et qu'on surnommait le critique, le grammairien, était un de ces beaux esprits bourgeois et frondeurs qui donnaient le ton aux clercs de la Basoche, et s'égayèrent librement aux dépens du Mazarin. Il devait entrer à l'Académie, vingt-cinq ans avant celui qu'il traita d'impertinent, en le voyant marcher sur ses brisées.

Un autre, l'abbé Jacques Boileau, docteur en Sorbonne, doyen de l'église de Sens, puis chanoine de la Sainte-Chapelle, possédait plus décidément encore le don de facétie et de gaillardise, non sans une pointe de jovialité bouffonne qui tournait volontiers les choses en caricature. Deux échantillons de sa manière suffiront à la caractériser. Un moliniste disant un jour devant lui que Pascal, retiré à Port-Royal, y faisait des souliers par pénitence, l'abbé répliqua : « Je ne sais s'il faisait des souliers; mais convenez, mon révérend, qu'il vous a porté une

1. Cette somme servit, dit-on, de dot à Mlle Marie de Bretonville qu'il avait aimée, et qui entrait en religion.

fameuse botte». Une autre fois, le grand Condé, passant par la ville de Sens, fut complimenté par les corps et compagnie de la municipalité; il se plaisait à se moquer des orateurs; et, quand vint le tour de l'abbé Boileau, pour le déconcerter, il avança sa tête et son grand nez du côté du doyen, comme s'il faisait semblant de le mieux écouter. L'abbé s'aperçut de la malice, et, feignant d'être interdit, il commença ainsi son compliment avec une crainte affectée : « Monseigneur, Votre Altesse ne doit pas être surprise de me voir trembler en paraissant devant Elle, à la tête du compagnie d'ecclésiastiques : car, si j'étais à la tête de trente mille hommes, je tremblerais bien davantage. Charmé de ce début, le prince embrassa l'orateur, sans le laisser achever. Ainsi s'accusait chez Jacques Boileau l'air de famille, mais avec excès. A ses coups de boutoir, à la verdure de ses brusques gaietés manquait trop la solidité d'un emploi judicieux; il annonçait pourtant son frère Nicolas, dont le mérite original sera d'associer la malice héréditaire à ce bon sens magistral qui fera dire à un de ses amis : « Il y a plaisir à entendre cet homme-là : c'est la raison incarnée. » Aussi SainteBeuve écrit-il spirituellement : « Quand la nature créa Gilles, elle essaya un premier crayon de Nicolas; elle resta en deçà et se repentit, elle prit le crayon et appuya quand elle fit Jacques; mais cette fois elle avait trop marqué. Elle se remit à l'œuvre une troisième fois, et ce fut la bonne. Gilles était l'ébauche, Jacques la charge, Nicolas est le portrait. »

Ses débuts, 1660. Opportunité de la satire littéraire. Voilà ce que justifièrent dès l'abord ses premières satires. Le Départ du poète, 1660; le Genre satirique, 1663; ·la Rime et la Raison, à Molière, 1664. A vingt-quatre ans, en 1660, lorsqu'il débute, il apparait armé de toutes pièces. Il a déjà le ton, sinon l'autorité de l'aristarque, dont l'inspiration constante sera la haine d'un sot livre. Dans sa voix ne vibre pas le timbre ému de la jeunesse. De cet âge il n'eut jamais le rayon et la flamme, mais seulement un entrain de vaillance prêt à tout oser pour la cause de l'esprit français. Or c'était une vertu nécessaire à son dessein; car il ne visait à rien moins qu'à faire rentrer dans le néant cette foule de rimeurs en vogue, dont le crédit ne prospérait que par l'aveuglement du goût public.

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