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BOSSUET

(1627-1704)

PORTRAIT BIOGRAPHIQUE

Son enfance prédestinée. Influence de l'esprit biblique. Né le 27 septembre 1627, à Dijon, dans une ville qui donna saint Bernard à la France, et près de laquelle devait naître Lacordaire, Jacques-Bénigne Bossuet appartenait à une famille où, dès le berceau, la leçon de l'exemple devait le former sans effort à la pratique des vertus chrétiennes. « Dans cette maison respectable, dit M. Patin, c'était un usage digne de la gravité de ces temps que les principaux événements de la vie domestique fussent consignés sur un registre particulier, et sanctifiés par une citation de l'Écriture. Dieu l'a guidé, Dieu l'a conduit (Deuteronome, XXXII, 10), voilà par quelles paroles avait été consacrée, dans ces touchantes annales, la naissance de celui qui devait si sûrement accomplir ce vœu de la tendresse paternelle. » Confié aux soins d'un oncle, tandis que son père allait s'installer à Metz, en qualité de conseiller au Parlement, il fut dès l'enfance un de ces écoliers extraordinaires qui ont leur histoire. Au collège des jésuites, il se distingua par l'étonnante capacité de son entendement et de sa mémoire, ce trésor de l'orateur. Ses noms et prénoms prêtaient aux jeux scolaires. Bos suetus aratro, disait-on de lui: car il était des plus assidus Bénigne convenait aussi à sa douceur. Il allait d'ailleurs d'instinct vers les intelligences souveraines, vers les plus divins des poètes. Homère et Virgile, qu'il sut bientôt par cœur, furent dès l'abord ses maîtres préférés, jusqu'à l'heure décisive où, pour la première fois, il ouvrit la Bible, dans

SON ÉDUCATION PRÉCOCITÉ DE SON GÉNIE. 321

laquelle, par une illumination soudaine, lui apparut son génie. Il la lut par hasard, dans le cabinet de son père mais ce livre lui fit une impression aussi profonde que l'œuvre d'Euclide sur Pascal, de Descartes sur Malebranche: « Le fleuve naissant, dit Sainte-Beuve, avait reconnu son réservoir natal. » Il ne cesserà plus d'en découler. Désormais, « dans les écoles et dans les temples, à la ville, à la cour, en ses voyages et au sein de la retraite, l'Écriture sera sa joie, sa consolation, son espérance, son étude, la source sublime et cachée de son éloquence 1 » : car il aura de Moïse le verbe impérieux, mais attendri par la charité chrétienne; il aura de David la poétique ivresse, le pathétique ardent et sublime. De cette perpétuelle et vivifiante lecture ne disait-il pas : Certe in his consenescere, in his immori summa votorum est? (Y vieillir, y mourir, oui, voilà mon vœu le plus cher).

D

Les siens le promirent de bonne heure à l'Église. Tonsuré à huit ans, il en avait treize quand il fut nommé à un canonicat de la cathédrale de Metz. En 1642 il arrivait à Paris, le jour même, s'il faut en croire la tradition, où Richelieu mourant, mais encore tout-puissant et soucieux de ses vengeances, revint du Midi, porté dans une litière couverte de pourpre, et fit son entrée avec une pompe toute royale, bien que voisine de ses obsèques. La vision de l'oraison funèbre dut alors traverser l'imagination du jeune lévite qui allait être bientôt le prodige du collège de Navarre, où il fit sa philosophie.

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Son génie précoce. Des exploits ne tardèrent pas en effet à signaler en lui un des princes de la jeunesse et comme l'ange de l'École. « Or, selon la remarque de M. Patin, par un singulier contraste de grandeur et de frivolité, ce fut dans un salon que s'annonça cette voix qui devait plus tard troubler les joies du monde par de solennels et terribles avertissements. » Présenté par Arnauld à l'Hôtel de Rambouillet en 1643, à seize ans, il y improvisa un sermon, vers onze heures du soir, ce qui provoqua ce mot de Voiture : « Je n'ai jamais vu prêcher ni si tôt ni si tard ». Applaudi par de beaux esprits, il fut aussi

:

Voir là-dessus

1. M. Patin Éloge couronné par l'Académie française. Bossuet et la Bible, par l'abbé de la Broize, Paris, Retaux-Bray, 1890. 21

ÉTUDES LITTÉRAIRES.

II.

admiré par le grand Condé, dans une soutenance dont le bruit alla jusqu'à la reine régente, Anne d'Autriche dont il fera l'oraison funèbre, la seule que nous ayons perdue d'ailleurs. Cette thèse portait cette épigraphe : Timete Deum, honorificate Regem (Craignez Dieu, honorez le Roi). N'est-ce pas encore une sorte de présage? Elle était dédiée au prince, protecteur de sa famille; et l'on conte que le héros de Rocroy, voyant le répondant assailli de toutes parts, et faisant face à tous, fut tenté de courir à son aide, et d'entrer dans la mêlée.

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Mais son sens chrétien ne se laissa point séduire par ces avances de la faveur mondaine. Au lieu de se produire avec impatience, et de pousser sa fortune en préchotant dans les salons, il s'empressa — docile aux conseils d'un de ses auditeurs de l'Hôtel, l'évêque Cospéan d'échapper aux périls de l'amourpropre. A un de ces postes en vue qui pouvait tenter une légitime ambition il préféra donc l'obscurité d'une retraite où il voulait s'aguerrir par la méditation, la prière, les travaux apostoliques, et se préparer ainsi aux devoirs de son ministère. Le prêtre. Retraite à Metz (1652-1653). Ce fut le 18 mars 1652, après s'être initié à la science de l'Évangile sous la discipline de Vincent de Paul - dont il suivit avec admiration, à Saint-Lazare, les conférences sur l'art de prêcher —, qu'il s'approcha du sanctuaire, pour y recevoir, avec l'onction du prêtre, la mission du docteur. Là, devant un autel placé sous l'invocation des martyrs, il s'engagea par ce serment : « O vérité suprême, conçue dans le sein paternel de Dieu, nous nous enchaînons à votre cause, nous lui consacrons toutes nos forces, tout notre être, le souffle qui nous anime ». Dans cette promesse est contenue sa vie tout entière; elle n'en sera désormais que le fidèle témoignage.

Fuyant donc la renommée, il imita ces saints personnages de la primitive Église, qui se dérobaient aux honneurs ecclésiastiques comme à un dangereux écueil. Songeant du moins à fortifier pour la lutte sa vocation militante, il ensevelit, à distance de la cour, en de modestes fonctions, un génie qui, durant sept années, devait oublier le siècle et se faire oublier de lui. Archidiacre de Metz (de 1652 à 1659), il porta les armes de son zèle dans une province reculée où les progrès de la réforme

LE SERMONNAIRE A METZ ET A PARIS.

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ouvraient une carrière à la ferveur de son apostolat. Là, tout en se vouant dans l'ombre du sanctuaire à la constante pratique de la tradition qui sera toujours sa force, le théologien préludait aux triomphes de l'avenir par des controverses ou des sermons vraiment évangéliques. Dans le pasteur Paul Ferry, « ce ministre à la bouche d'or », et dans son jeune émule David Ancillon, il trouva des adversaires dignes de lui. L'Exposition de la foi catholique couronna cette campagne de laquelle date son premier essor. Elle va du Panégyrique de saint Gorgon, prêché à Metz le 9 septembre 1649, à celui de sainte Thérèse, prononcé dans la même ville, en présence de la reine mère, le 15 octobre 1657. L'éloge de saint Bernard (20 août 1655) est un des épisodes de cet éclatant début, ainsi que le sermon pour le neuvième dimanche après la Pentecôte (sur la Tendresse et la sévérité de Jésus). Dans ces prémices de sa parole, il est déjà presque tout entier. Parmi les hasards d'un goût qui deviendra plus sûr, on y sent un feu singulier, une imagination ardente, la fraîcheur d'une sève printanière, on ne sait quoi de vif et de jeune, où se mêle pourtant l'accent d'une autorité précoce et l'onction d'un cœur inspiré. Familiarité hardie, pathétique ingénu, poésie de l'expression, exubérance de verve soudaine, brusques saillies, essor impétueux, tels sont les principaux traits de ces premiers discours qui nous ravissent par la grâce de leur nouveauté. Bossuet deviendra plus égal et plus châtié; mais jamais il ne sera plus merveilleusement orateur. Aussi est-il étrange que cette vérité ait mis si longtemps à se faire jour, et que la gloire du prédicateur ait été une laborieuse découverte de la critique contemporaine.

mons.

Retour à Paris (1659). Bossuet et Louis XIV. Les ser. Ce fut en 1659, à l'âge de trente-deux ans, que Bossuet, après des préludes qui pouvaient suffire à l'illustration d'un autre, entra définitivement dans la sphère du règne dont il sera le docteur et l'oracle. Entre Louis XIV et lui, semblait exister une sorte d'harmonie préétablie. Tous deux ne représentent-ils pas la foi dans la tradition et l'autorité? Tous deux n'ont-ils point par excellence un bon sens auguste? Jamais le souverain n'a douté de sa puissance, jamais l'évêque n'hésitera dans sa soumission. De là chez l'un cette majesté qui tempère

le despotisme; de là chez l'autre cette dignité qui ennoblit l'obéissance.

Sans parler du sermon sur l'Éminente dignité des Pauvres, et du Panégyrique de saint Paul (29 juin 1657), ce chef-d'œuvre qui contient toute la rhétorique de Bossuet, le Carême des Minimes (1660), illustré par le sermon sur l'Honneur du monde; celui des Carmélites (1661) où se distinguent les sermons sur la Parole de Dieu et sur la Haine de la vérité; et enfin et surtout celui du Louvre (1662) où brillent les sermons sur l'Impénitence finale, sur la Mort, sur la Providence, inaugurèrent ces trente années pendant lesquelles il soutint la perfection de son éloquence par des coups d'éclat qui ne cessèrent pas d'étonner l'admiration. Si, dans la période qui précède, il y eut, non pas des tâtonnements, mais un apprentissage nécessaire à tout talent, surtout au novateur qui s'éprouve; si on peut lui reprocher, parmi d'incomparables élans, des rudesses, de l'archaïsme, une certaine crudité de diction, des sauts imprévus et comme de violentes secousses, nous le voyons désormais pleinement maître de toutes ses ressources. Il n'aura plus qu'à se continuer, à s'égaler, mais il ne pourra se surpasser. L'influence personnelle de Louis XIV n'y fut pas étrangère. Sans perdre ses audaces et ses éclairs, l'orateur de la cour dut polir son langage, surveiller ses aventures de parole, acquérir la proportion, l'entière justesse; et il le fit en sachant dire devant le roi ce qui pouvait prévenir l'idolâtrie prochaine : car tous ses discours, comme tous ses écrits, seront toujours l'accomplissement d'un devoir pastoral.

Ses oraisons funèbres. Il ne sera pourtant pas un de ces ingénieux qui ont l'art d'exceller dans les occasions médiocres. Mais il eut besoin d'une matière digne de lui plus il y a de grandeur dans son objet, plus il est dans son élément propre. Voilà pourquoi ses premières oraisons funèbres, celles du P. Bourgoing, général de l'Oratoire (1662), et de Nicolas Cornet, grand-maitre du collège de Navarre (1663), pâlissent auprès de celles qui suivirent. Malgré de belles pages, dans l'une sur l'institution de l'Oratoire, dans l'autre sur le jansénisme et le molinisme jugés par la sûreté d'un arbitre gallican et libre de tout parti pris, il est visible que l'espace fait défaut à l'ampleur

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