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religieuse à laquelle il assista de si près, il laisse à ceux qui pleurent ce témoignage consolant : « Je me confie pour Madame en cette miséricorde qu'elle a si humblement réclamée. Elle a aimé, en mourant, le Sauveur Jésus. Les bras lui ont manqué plutôt que l'ardeur d'embrasser la Croix; j'ai vu sa main défaillante chercher encore en tombant de nouvelles forces, pour appuyer sur ses lèvres ce bienheureux signe de notre Rédemption. N'est-ce pas mourir entre les bras et dans le baiser du Seigneur? »

Péroraison.

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Elle aussi, la péroraison a l'onction mystique d'un adieu qui pressent l'éternel retour, et dont la tristesse, douce comme une espérance, est sereine comme la foi.

ORAISON FUNÈBRE

DE MARIE-THÉRÈSE D'AUTRICHE, REINE DE FRANCE

(1683)

I.

FAITS HISTORIQUES.

Sans l'oraison funèbre qui fait vivre encore sa mémoire, MarieThérèse ne serait guère connue de la postérité : car ses vertus ne firent jamais de bruit; et, parmi les splendeurs de cette cour où elle ne régnait qu'en apparence, sa vie s'écoula toujours dans l'isolement d'une tristesse résignée qui cherchait l'ombre et le silence 1.

Fille unique de Philippe IV, roi d'Espagne, et d'Isabelle de Bourbon, elle avait épousé Louis XIV, son cousin germain, le 4 juin 1660, au lendemain de cette glorieuse paix des Pyrénées (1659) qui, grâce au succès de nos armes et à l'habileté de Mazarin, terminait enfin les différends de deux grands empires. On vit bientôt que la politique avait seule engagé cette

1. Saint Grégoire de Nysse fit l'éloge funèbre de l'impératrice Flaccile, femme de Théodore; elle fut aussi un personnage sans physionomie; mais Bossuet seul a réussi, même en ces sujets ingrats.

ORAISON FUNÈBRE DE MARIE-THÉRÈSE.

391 union troublée si vite par l'indépendance d'un cœur trop passionné. Aussi le jour vint-il où, malgré les marques extérieures d'une estime qui ne se démentit jamais, et valut même à MarieThérèse le titre de Régente, pendant la campagne de Hollande, il lui fallut reconnaître avec larmes que le « Roi ne l'aimait plus », et que le mal était sans remède. Certaine de cette infortune, elle en souffrit cruellement car la constance de son affection fut digne de retour. Cette humiliation qu'il fallait dérober à tous les regards ne fit que rendre encore plus défiante une timidité naturelle dont l'excès eut on ne sait quoi de maladif. Cette pauvre princesse, dit Mme de Caylus, avait tant de peur du Roi qu'elle n'osait lui parler, ni s'exposer au têteà-tête avec lui: ses mains mêmes en étaient tremblantes. »

Dès lors, elle s'ensevelit dans une sorte de solitude, où l'amer. tume de ses pensées ne fut adoucie que par la pratique de ses devoirs religieux et maternels. Encore fut-elle éprouvée par de nouvelles et bien poignantes douleurs car elle vit mourir cinq de ses enfants, et faillit perdre l'aîné de ses fils, le Dauphin, sa seule et dernière espérance. Il y eut pourtant un éclair de joie dans ces années sombres. Ce fut le jour où la naissance d'un petit-fils promit à sa race une suite d'héritiers. L'influence de Mme de Maintenon commençait à lui ramener les hommages presque repentants de Louis XIV, lorsqu'après un voyage où elle venait de l'accompagner, le 26 juillet 1683, elle fut prise d'un mal soudain qui l'emporta brusquement le 30 du même mois, à l'âge de 45 ans.

« Voilà le premier chagrin qu'elle m'ait causé », dit le Roi, sous le coup d'une impression qui dura peu: car« il fut, dit Saint-Simon, plus attendri qu'affligé. Mais, comme tout semble considérable dans les grands, la cour fut en peine de sa douleur. Quelques jours après, Mme de Maintenon parut à ses yeux dans un si grand deuil, et un air si triste, que lui dont la douleur était passée, ne put s'empêcher de lui en faire quelques plaisanteries. Voilà bien du moins si l'on en croit Saint-Simon qui est un peu sujet à caution, en pareille matière surtout << l'homme tout personnel qui ne comptait les autres que par rapport à soi ».

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Ce fut à Saint-Denis, le 1er septembre 1683, en présence du

Dauphin, que Bossuet prononça l'oraison funèbre de la Reine Trente-quatre éloges retentirent en d'autres chaires; mais dans ce concert se distingua seulement la voix de Fléchier, après celle de Bossuet.

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Exorde et proposition. L'exorde est le commentaire de ces paroles empruntées à l'apôtre : « Ils sont sans tache devant le trône de Dieu (Sine macula enim sunt ante thronum Dei) ». Nu texte ne pouvait être mieux approprié à des vertus qui fuyaient les regards du monde. Bossuet comprit que des accents dignes de sainte Thérèse convenaient seuls à l'éloge d'un cœur si pur et si tendre, qu'avaient brisé tant de muettes douleurs. Aussi, transfigurant la pieuse reine, la montre-t-il rayonnante de gloire, au milieu des âmes vierges » que leur innocence prédestine à la béatitude. Un charme de poésie toute mystique distingue cet exorde, dont la douceur rappelle, en les surpassant, ces vers de La Fontaine :

...Sire, le temps de pleurs
Est passé; la douleur est ici superflue.
Votre digne moitié, couchée entre des fleurs,
Tout près d'ici m'est apparue;

"

Et je l'ai d'abord reconnue.

Ami, m'a-t-elle dit, garde que ce convoi,

Quand je vais chez les dieux, ne t'oblige à des larmes.
Aux Champs Elysiens j'ai goûté mille charmes,
Conversant avec ceux qui sont saints comme moi.

(Livre VIII, f. xiv, les Obsèques de la lionne.)

Par une allusion presque trop ingénieuse, Bossuet voit un emblème d'élection jusque dans la blancheur d'un teint que pâlirent encore de longues tristesses: « La mort ne l'a point changée, si ce n'est qu'une immortelle beauté a pris la place d'une beauté changeante et mortelle. Cette éclatante blancheur, symbole de sa candeur, n'a fait pour ainsi dire que passer au dedans, où nous la voyons rehaussée d'une lumière divine. » Voilà des traits qu'eût enviés Fénelon dans la séraphique peinture de ses champs bienheureux.

ORAISON FUNÈBRE DE MARIE-THÉRÈSE.

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Ce spectacle du ciel entr'ouvert prépare la division qui va résumer l'éloge : Il n'y a rien que d'auguste dans sa personne; Il n'y a rien que de pur dans sa vie; tels sont les deux motifs que Bossuet développera, le premier avec la noblesse qu'exige une solennité officielle, le second avec l'onction d'un pasteur qui veut toucher des âmes, et la prudence d'une parole adroite à éviter les pièges de son sujet.

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Première partie. Il n'y a rien que d'Auguste dans sa personne. Avouons que la première partie du panégyrique se prêtait malaisément au ministère évangélique, et trahit quelque peu d'embarras. Nous oserons même dire, en dépit de Chateaubriand, qui prononce ici les noms d'Isaïe et d'Ézéchiel, qu'on sent trop les procédés oratoires dans cette fameuse apostrophe à l'ile de la Conférence: «Ile pacifique, île éternellement mémorable où l'on vit se développer toutes les adresses et tous les secrets d'une politique si différente, où l'un se donnait du poids par sa lenteur, et l'autre prenait de l'ascendant par sa pénétration,... fêtes sacrées, mariage fortuné, voile nuptial, bénédictions, sacrifice, puis-je mêler aujourd'hui vos cérémonies avec ces pompes funèbres, le comble des grandeurs avec leurs ruines? » Il y a là comme un air d'expédient, où se dénonce la gêne d'une imagination qui s'excite à froid, et s'ingénie trop à grandir de petites circonstances. Nous en dirions même volontiers autant de cette autre figure de rhétorique : « Cessez, princes et potentats, de troubler par vos prétentions le projet de ce mariage. Que l'amour, qui semble aussi le vouloir troubler, cède lui-même! L'amour peut bien remuer le cœur des héros du monde,... mais il y a des âmes d'un ordre supérieur à ses lois, à qui il ne peut inspirer des sentiments indignes de leur rang. Signalons seulement dans ces derniers mots l'allusion faite à l'étoile pâlissante d'Henriette de Mancini, et l'analogie lointaine qui nous rappelle ces mots de Pauline disant à Sévère :

De quelque amant pour moi que mon Père eût fait choix,
Quant à ce grand pouvoir que la valeur vous donne,

Vous auriez ajouté l'éclat d'une couronne;

Quand je vous aurais vu, quand je l'aurais haï,

J'en aurais soupiré, mais j'aurais obéi.

Bossuet est plus à l'aise lorsqu'il aborde la louange directe de Louis XIV qui « apprit à la nation à se connaître... », qui foudroie les villes plutôt qu'il ne les assiège », qui « transforme la France en une seule forteresse, montrant de tous côtés un front redoutable », et « couvrant les mers de ses flottes victorieuses ». On retrouve en effet ici l'entente naturelle et l'affinité vraiment intime qui existait entre le prélat et le souverain dont il dit : « La noblesse de ses expressions vient de celle de ses sentiments, et ses paroles précises sont l'image de la justesse qui règne dans ses pensées ». Cet enthousiasme part du cœur, et devient tout à fait lyrique dans ce mouvement célèbre: « Tu céderas, ou tu tomberas sous ce vainqueur, Alger, riche des dépouilles de la chrétienté. Tu disais en ton cœur avare: Je tiens la mer sous mes lois, et les nations sont en proie. La légèreté de tes vaisseaux te donnait de la confiance; mais tu te verras attaqué dans tes murailles comme un oiseau ravissant qu'on irait chercher parmi les rochers, et dans le nid où il partage son butin à ses petits. » Remarquons toutefois que Bossuet enrichit ainsi l'indigence de sa matière, comme fit le Simonide de La Fontaine :

Le poète d'abord parla de son héros;

Après en avoir dit ce qu'il en pouvait dire,

Il se jette à côté.

En résumé, dans cette partie du discours, où il fallait montrer la reine auguste par ses aïeux, par son époux, par son fils le grand et médiocre Dauphin, qui a, lui aussi, son grain d'encens, le rôle de Marie-Thérèse n'est pas moins effacé qu'il le fut dans l'État.

Deuxième partie. Il n'y a rien que de pur dans sa vie. Mais la seconde moitié de l'oraison lui appartiendra tout entière. Ici commence véritablement un sermon pratique.

Inaltérable pureté, ferveur pieuse et active, humilité dans la grandeur, délicatesse d'une conscience qui ne se pardonne pas les moindres oublis, renoncement et sacrifices d'un cœur aussi tendre que courageux à supporter les déplaisirs ou les mortelles angoisses << qui se cachent sous la pourpre », fermeté dans les pertes irréparables, accomplissement de tous les devoirs qui

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