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ORAISON FUNÈBRE DE MARIE-THÉRÈSE.

395 s'imposent à la fille, à l'épouse, à la souveraine; en un mot, prodiges de la Grâce concourant à former l'exemplaire parfait d'une chrétienne qui, « malgré le tumulte de la cour, se fait une solitude parmi la foule », et y trouve « le Carmel d'Élie, le désert de Jean, la montagne si souvent témoin des gémissements de Jésus », tels sont les traits de la figure que Bossuet propose comme un modèle à ceux qu'entraîne le courant du siècle.

Le cadre d'où elle se détache est cet oratoire où Dieu la voyait, comme Esther,

Humilier ce front de splendeur couronné,

Et, confondant l'orgueil par d'augustes exemples,
Baiser avec respect le pavé de ses temples.

C'est de là que les peuples croyaient voir partir la foudre qui accablait tant de villes » : car la vertu de ses prières l'associait aux triomphes de la France, et « les mains élevées à Dieu enfoncent plus de bataillons que celles qui frappent ».

Parmi ces enseignements éloquents, il y a des vérités faites pour Louis XIV, et l'on pourrait noter ici plus d'un conseil qui s'adresse à la conscience royale, ne fût-ce que l'hommage rendu « à la prudence tempérée d'une femme sage, calmant les passions violentes qu'une résistance trop emportée ne ferait qu'aigrir ». C'est ainsi que Bossuet ne perdit jamais l'occasion d'exercer son devoir sacerdotal, jusque dans ces convenances qui s'imposaient à un discours de cérémonie. Il sut donc toujours concilier le respect et la reconnaissance avec la liberté du prédicateur. Les ménagements conseillés par la charité n'adoucissaient sa parole que pour lui assurer plus d'efficacité : car sa maxime était de dire la vérité avec force, mais utilement, sans froisser l'orgueil du souverain, sans le mettre en cause devant sa cour, comme un accusé devant ses juges, et sans porter atteinte à la majesté du trône; tempéraments qui ne l'empêchaient pas de pénétrer au fond d'un cœur, et d'y porter le glaive», témoin encore la lettre courageuse qu'il écrivit au roi sur la Pénitence à la veille de la Pentecôte 1.

1. Voir nos Extraits classiques, cours supérieur, prose, t. I, p. 114 (édition Fouraut).

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Péroraison.

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Des leçons générales se dégagent aussi de ce discours dont certaines pages ont l'intimité d'une exhortation faite au confessional plus encore que dans la chaire. Tel est le caractère de la péroraison, où, rappelant que « la mort vient comme un voleur », l'orateur sacré cherche à réveiller ces endormis que trompent les plaisirs, le jeu, la santé, la jeunesse, l'heureux succès des affaires, les flatteurs, parmi lesquels il faudrait peut-être compter des directeurs infidèles que nous avons choisis pour nous séduire, et enfin nos fausses pénitences qui ne sont suivies d'aucun changement de nos mœurs ». Ces austères avertissements tombaient d'aplomb sur cet auditoire frivole, où se trouvait, entre autres, Mlle de Montpensier, qui, au retour de cette fête funèbre, écrivit ces mots : « Quand on sort de ces lieux-là, on est las; chacun s'en va chez soi; moi, j'allai à Eu, fort fatiguée des cérémonies des morts; elles m'avaient donné des vapeurs. »

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Sa jeunesse romanesque.

Née en 1616, seconde fille du duc de Nevers et de Catherine de Lorraine, Anne de Gonzague avait été, toute jeune encore, sacrifiée à la grandeur de sa maison, qui devait donner une souveraine à la Pologne. Dès son enfance, on la destinait à la vie religieuse; mais elle s'échappa du cloître de Farmoustiers, comme d'une prison, pour se réfugier près de sa sœur Bénédicte, abbesse d'Avenai. L'exemple des douces vertus de sa cadette l'eût engagée peutêtre à prononcer des vœux, si la mort de son père ne lui avait rendu son indépendance. Maîtresse d'elle-même, elle commença par user et abuser d'une liberté qui donnait carrière à ses

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caprices. Mais, à la suite d'aventures trop romanesques dont le principal héros fut le jeune duc Henri de Guise, elle finit par épouser, contre le gré des siens, un prince besogneux, Édouard, comte Palatin du Rhin; et, pour rétablir sa fortune, elle vint déployer à la cour de France les ressources d'un esprit aussi remuant qu'adroit à mêler les plaisirs aux affaires, et la galanterie à la politique.

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Son rôle politique, ses égarements. La guerre de Paris lui offrit un théâtre et un rôle. Attachée d'abord aux frondeurs, elle se dévoua bientôt à la cause royale, et prit à de folles ou sérieuses intrigues une part si active qu'elle mérita cet éloge fait le cardinal de Retz par un connaisseur, s'il en fut : « Je l'ai vue dans la faction, je l'ai vue dans le cabinet; et je ne crois pas que la reine Élisabeth d'Angleterre ait eu plus de capacité pour conduire un État ». C'est ce que confirme ce témoignage de Mme de Motteville: « Elle se gouverna si judicieusement qu'elle rompit presque tous les desseins des princes au profit de la reine, et fit plus d'une fois changer les intérêts et les sentiments des principaux acteurs ».

Nommée surintendante de la maison royale, mais dépouillée de ce titre en 1660 par une disgrâce qu'elle put appeler une ingratitude, elle s'éloigna de la cour pendant trois ans. Ramenée alors un instant à de pieuses pensées par une retraite qui fut un premier essai de repentir provisoire, elle réussit à s'acquitter de toutes ses dettes avec une fidélité scrupuleuse et fort rare alors témoin les sermons mêmes de Bossuet —, qui fit grand honneur à son caractère. Quoique très obérée, elle trouvait encore moyen d'envoyer d'importants secours d'argent à la reine de Pologne, sa sœur, réduite aux dernières extrémités par la guerre désastreuse qu'elle soutenait contre les Suédois. Cette conduite lui gagna donc l'estime de tous les partis, unanimes à reconnaître la droiture de son esprit et la générosité de son cœur. Mais ce cœur était encore bien fragile, comme le prouvèrent les fantaisies d'un veuvage (1663) qui lui permit de se livrer sans contrainte aux goûts les plus dissipés. Elle en vint même à perdre entièrement la croyance, et à tourner en railleries les vérités religieuses, « dont elle ne pouvait, disait-elle, entendre parler sans avoir envie de rirė ».

Sa conversion. Comment s'opéra sa tardive et soudaine conversion? Elle nous le raconte elle-même dans une lettre curieuse et touchante. C'est aussi ce que Bossuet redit publiquement, lorsqu'il mêle à la solennité de son oraison le simple récit des deux songes qui parurent à une imagination mystique et tendre un pressant appel de la Grâce. Docile à cette voix intérieure, elle effaça par une éclatante pénitence les erreurs ou les scandales du passé. Douze années de vertu édifiantes permirent donc à son panégyriste de présenter comme un miracle de miséricorde l'exemple d'une princesse qui, rompant avec le monde, ne visita plus que les hôpitaux et les églises, vendit ses meubles, ses tableaux et ses bijoux pour en faire des charités, et mourut comme une sainte, dans sa soixante-huitième année, le 6 juillet 1684.

Un an après, le 9 août 1685, sur les instances du grand Condé, dont le fils était gendre d'Anne de Gonzague, Bossuet prononça son éloge dans l'église des Carmélites du faubourg Saint-Jacques.

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Exorde et proposition. Dans un exorde qui annonce un sermon plus qu'un panégyrique, Bossuet commente ce texte d'Isaïe: « Je t'ai pris par la main pour te ramener des extrémités de la terre; je t'ai appelé des lieux les plus éloignés, je t'ai choisi, et ne t'ai pas rejeté : ne crains point, parce que je suis avec toi (Apprehendi te ab extremis terræ, et a longinquis ejus vocavi te; elegi te, et non abjeci ne timeas, quia ego tecum sum. Isaïe, chap. XLI, v. 9-10) ». L'histoire d'une mémorable conversion va lui servir à « confondre » les incrédules et les endurcis.

Condamnant donc ceux qui seraient tentés « d'écouter sa parole avec des oreilles curieuses et des sentiments profanes, il les avertit ainsi de la dignité de son ministère : « Ou la princesse Palatine portera la lumière dans vos yeux, ou elle fera tomber, comme un déluge de feu, la vengeance de Dieu sur vos têtes. Mon discours, dont vous vous croyez peut-être les juges, vous jugera au dernier jour : ce sera pour vous un nouveau fardeau, comme disaient les prophètes (Onus verbi Domini super

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Israel); et, si vous n'en sortez plus chrétiens, vous en sortirez plus coupables. »

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De cette proposition qui procède si naturellement du sujet, se dégage une division qui n'a rien d'artificiel, et se trouve contenue dans cet appel : « Venez voir d'où la main de Dieu a retiré la princesse Anne; Venez voir où la main de Dieu l'a élevée. » Ses erreurs et sa pénitence, voilà le double enseignement qu'il développe avec autant de franchise que d'onction. Première partie. D'où la main de Dieu l'a tirée. Remontant jusqu'au berceau de la princesse Anne de Clèves, Bossuet peint d'une touche gracieuse le charme innocent de ses premières années Jamais plante ne fut cultivée avec plus de soin, et ne se vit si tôt couronnée de fleurs mais cellesci ne tardèrent pas à se flétrir; et la faute en fut à un zèle indiscret qu'il censure avec autorité. Sacrifiant les intérêts de l'Église à des ambitions de famille, une violence téméraire « précipita vers le cloître celle qu'il fallait y conduire doucement », et ne craignit point de mettre les plus graves dignités « comme un jouet aux mains d'un enfant ». Sans excuser les conséquences fâcheuses d'une contrainte qui provoqua la révolte, ni les enivrements d'une liberté qui ne sut pas se régler, une pitié sympathique tempère ici le blâme qui se mêle au souvenir d'une jeunesse trop égarée par les plaisirs du monde. Signalons la réserve et la fermeté des traits par lesquels l'orateur représente les pièges ordinaires à la vie des cours : « Par un mélange étonnant, il n'y a rien de plus sérieux, ni ensemble de plus enjoué. Enfoncez; vous trouverez partout des intérêts cachés, des jalousies délicates, qui causent une extrême sensibilité, et, dans une ardente ambition, des soins et un sérieux aussi triste qu'il est vain. C'est moins vif, mais plus profond encore que le croquis de La Bruyère : « Il y a un pays où les joies sont visibles mais fausses, les chagrins cachés mais réels. Qui croirait que l'empressement pour les spectacles, que les éclats et les applaudissements aux théâtres de Molière et d'Arlequin, les repas, la chasse, les ballets, les carrousels, couvrissent tant d'inquiétudes, de soins et de divers intérêts, tant de craintes et d'espérances, des passions si vives et des affaires si sérieuses?» (Chap. VIII, De la cour.)

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