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A corruption de chaque gouvernement commence prefque toujours par celle des principes.

CHAPITRE

II.

De la corruption du principe de la démocratie.

LE principe de la démocratie fe cor

rompt, non-feulement lorsqu'on perd l'efprit d'égalité, mais encore quand on prend l'efprit d'égalité extrême, & que chacun veut être égal à ceux qu'il choifit pour lui commander. Pour lors le peuple ne pouvant fouffrir

le pouvoir même qu'il confie, veut tout faire par lui-même, délibérer pour le fénat, exécuter pour les magiftrats, & dépouiller tous les juges.

Il ne peut plus y avoir de vertu dans la république. Le peuple veut faire les fonctions des magiftrats; on ne les refpecte donc plus. Les délibérations du fénat n'ont plus de poids; on n'a donc plus d'égard pour les fénateurs, & par conféquent pour les vieillards. Que fi l'on n'a pas du refpect pour les vieillards, on n'en aura pas non plus pour les peres; les maris ne méritent pas plus de déférence, ni les maîtres plus de foumiffion. Tout le monde parviendra à aimer ce libertinage; la gêne du commandement fatiguera comme celle de l'obéiffance. Les femmes, les enfans, les efclaves, n'auront de foumiffion pour perfonne. Il n'y aura plus de moeurs, plus d'amour de l'ordre, enfin plus de vertu.

On voit dans le banquet de Xénophon, une peinture bien naïve d'une république où le peuple a abufé de l'égalité. Chaque convive donne à fon tour la raifon pourquoi il eft content de lui. » Je fuis content de moi, dit Chamides, » à caufe de ma pauvreté. Quand

» j'étois riche, j'étois obligé de faire ma cour aux calomniateurs, fachant » bien que j'étois plus en état de rece»voir du mal d'eux que de leur en » faire la république me demandoit » toujours quelque nouvelle fomme : je ne pouvois m'abfenter. Depuis que je fuis pauvre, j'ai acquis de l'autorité: perfonne ne me menace, je menace les autres je puis m'en »aller ou refter. Déjà les riches fe » levent de leurs places & me cedent »le pas. Je fuis un roi, j'étois efclave: »je payois un tribut à la république, » aujourd'hui elle me nourrit: je ne > crains plus de perdre, j'efpere d'ac» quérir «.

Le peuple tombe dans ce malheur lorfque ceux à qui il fe confie, voulant cacher leur propre corruption, cherchent à le corrompre. Pour qu'il ne voie pas leur ambition, ils ne lui lent que de fa grandeur; pour qu'il n'apperçoive pas leur avarice, ils flattent fans ceffe la fienne.

par

La corruption augmentera parmi les corrupteurs; & elle augmentera parmi ceux qui font déjà corrompus. Le peuple fe diftribuera tous les deniers

publics; & comme il aura joint à fa pareffe la geftion des affaires, il voudra joindre à fa pauvreté les amusemens du luxe. Mais avec fa pareffe & fon luxe, il n'y aura que le tréfor public qui puiffe être un objet pour lui.

Il ne faudra pas s'étonner fi l'on voit les fuffrages fe donner pour de l'argent. On ne peut donner beaucoup au peuple, fans retirer encore plus de lui: mais pour retirer de lui, il faut renverser l'état. Plus il paroîtra tirer d'avantage de fa liberté, plus il s'approchera du moment où il doit la perdre. Il fe forme de petits tyrans, qui ont tous les vices d'un feul. Bientôt ce qui refte de liberté devient infupportable; un feul tyran s'éleve, & le peuple perd tout jufqu'aux avantages de fa corruption.

La démocratie a donc deux excès à éviter; l'efprit d'inégalité, qui la mene à l'ariftocratie, ou au gouvernement d'un feul; & l'efprit d'égalité extrême, qui la conduit au defpotifme d'un feul, comme le defpotifme d'un feul finit par la conquête.

Il eft vrai que ceux qui corrompirent les républiques Grecques ne devinrent pas toujours tyrans. C'eft qu'ils étoient

plus attachés à l'éloquence qu'à l'art militaire outre qu'il y avoit dans le cœur de tous les Grecs une haine implacable contre ceux qui renverfoient le gouvernement républicain; ce qui fit que l'anarchie dégénéra en anéantiffement, au lieu de fe changer en tyrannie.

Mais Syracufe, qui fe trouva placée au milieu d'un grand nombre de petites oligarchies changées en tyrannies (a); Syracufe qui avoit un fénat (6) dont il n'eft prefque jamais fait mention dans l'hiftoire, effuya des malheurs que la corruption ordinaire ne donne pas. Cette ville, toujours dans la licence (c) ou dans l'oppreffion, également travaillée par fa liberté & par fa fervitude, recevant toujours l'une & l'autre comme une tempête; & malgré fa puiffance

(a) Voyez Plutarque, dans les vies de Timoléon & de Dion.

. (b) C'eft celui des fix cents, dont parle Diodore.

(c) Ayant chaffé les tyrans, ils firent citoyens des étrangers & des foldats mercenaires ; ce qui caufa des guerres civiles: Ariftote, Politiq. liv. V, ch. III. Le peuple ayant été cause de la victoire fur les Athéniens, la république fut changée: ibid. ch. IV. La paffion de deux jeunes magiftrats, dont l'un enleva à l'autre un jeune garçon, & celui-ci lui débaucha fa femme, fit changer la forme de cette république: ibid, Liv. VII, chap. IV.

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