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de cette vertu dont nous parlent nos miffionnaires: on peut les confulter fur les brigandages des mandarins (a). Je prends encore à témoin le grand homme milord Anfon.

D'ailleurs, les lettres du P. Parennin fur le procès que l'empereur fit faire à des princes du fang néophytes (b) qui lui avoient déplu, nous font voir un plan de tyrannie conftamment fuivi, & des injures faites à la nature humaine avec regle, c'eft-à-dire de fang froid.

Nous avons encore les lettres de M. de Mairan & du même P. Parennin fur

le gouvernement de la Chine. Après des queftions & des réponfes très-fenfées, le merveilleux s'eft évanoui.

Ne pourroit-il pas fe faire que les mif fionnaires auroient été trompés par une apparence d'ordre; qu'ils auroient été frappés de cet exercice continuel de la volonté d'un feul, par lequel ils font gouvernés eux-mêmes, & qu'ils aiment tant à trouver dans les cours des rois des Indes? parce que n'y allant que pour y faire de grands changemens, il leur eft plus aifé de convaincre les princes qu'ils (a) Voyez entr'autres la relation de Lange.

(b) De la famille de Sourniama, Lettres édif recueil 18.

peuvent tout faire,que de perfuader aux peuples qu'ils peuvent tout fouffrir (a).

Enfin, il y a fouvent quelque chofe de vrai dans les erreurs mêmes. Des circonftances particulieres, & peut-être uniques, peuvent faire que le gouvernement de la Chine ne foit pas auffi corrompu qu'il devroit l'être. Des causes, tirées la plupart du phyfique du climat, ont pu forcer les caufes morales dans ce pays, & faire des efpeces de prodiges.

Le climat de la Chine eft tel, qu'il favorife prodigieufement la propagation de l'efpece humaine. Les femmes y font d'une fécondité fi grande, que l'on ne voit rien de pareil fur la terre. La tyrannie la plus cruelle n'y arrête point le progrès de la propagation. Le prince n'y peut pas dire, comme Pharaon, Op primons-les avec fageffe. Il feroit plutôt réduit à former le fouhait de Néron, que le genre humain n'eût qu'une tête. Malgré la tyrannie, la Chine, par la force du climat, fe peuplera toujours, & triomphera de la tyrannie.

(a) Voyez dans le P. du Halde, comment les Miffionnaires fe fervirent de l'autorité de Canhi, pour faire taire les Mandarins, qui difoient toujours que, par les lois du pays, un culte étranger ne pouvoit être établi dans l'empire.

La Chine, comme tous les pays où croît le riz (a), eft fujette à des famines fréquentes. Lorfque le peuple meurt de faim, il fe difperfe pour chercher de quoi vivre; il fe forme de toutes parts des bandes de trois, quatre ou cinq voleurs. La plupart font d'abord exterminées; d'autres fe groffiffent, & font exterminées encore. Mais dans un fi grand nombre de provinces, & fi éloignées, il peut arriver que quelque troupe faffe fortune. Elle fe maintient, fe fortifie fe forme en corps d'armée, va droit à la capitale, & le chef monte fur le trône.

Telle eft la nature de la chofe, que le mauvais gouvernement y eft d'abord puni. Le défordre y naît foudain, parce que ce peuple prodigieux y manque de fubfiftance. Ce qui fait que dans d'autres pays on revient fi difficilement des abus, c'eft qu'ils n'y ont pas des effets fenfibles; le prince n'y eft pas averti d'une maniere prompte & éclatante, comme il l'eft à la Chine.

Il ne fentira point, comme nos princes, que s'il gouverne mal, il fera moins heureux dans l'autre vie, moins puiffant & moins riche dans celle-ci. Il faura (a) Voyez ci-deffous, liv. XXIII. chap. 14.

que fi fon gouvernement n'eft pas bon, il perdra l'empire & la vie.

Comme, malgré les expofitions d'enfans, le peuple augmente toujours à la Chine (a), il faut un travail infatigable pour faire produire aux terres de quoi le nourrir: cela demande une grande attention de la part du gouvernement. Il est à tous les inftans intéreffé à ce que tout le monde puiffe travailler fans crainte d'être fruftré de fes peines. Ce doit moins être un gouvernement civil, qu'un gouvernement domestique.

Voilà ce qui a produit les réglemens dont on parle tant. On a voulu faire régner les lois avec le defpotifme: mais ce qui eft joint avec le defpotisme n'a plus de force. En vain ce defpotifme, preffé par fes malheurs, a-t-il voulu s'enchaîner; il s'arme de fes chaînes, & devient plus terrible encore.

La Chine eft donc un état defpotique, dont le principe eft la crainte. Peut-être que dans les premieres dynasties, l'empire n'étant pas fi étendu, le gouvernement déclinoit un peu de cet efprit. Mais aujourd'hui cela n'eft pas.

(a) Voyez le mémoire d'un Tfongtou, pour qu'on défriche. Lettres édif, recueil 21.

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Des Lois, dans le rapport qu'elles ont avec la force défensive.

CHAPITRE

PREMIER.

Comment les Républiques pourvoient à leur fureté.

S

I une république eft petite, elle eft détruite par une force étrangere: fi elle eft grande, elle fe détruit par un vice intérieur.

Ce double inconvénient infecte également les démocraties & les aristocraties, foit qu'elles foient bonnes, foit qu'elles foient mauvaises. Le mal eft dans la chofe même; il n'y a aucune forme qui puiffe y remédier.

Ainfi il y a grande apparence que les hommes auroient été à la fin obligés de vivre toujours fous le gouvernement d'un feul, s'ils n'avoient imaginé une maniere de conftitution qui a tous les avantages intérieurs du gouvernement républicain, & la force extérieure du

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