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cette affaire. Coriolan, accufé par les tribuns devant le peuple, foutenoit, contre l'efprit de la loi Valérienne qu'étant patricien, il ne pouvoit être jugé que par les confuls : les plébéiens, contre l'efprit de la même loi, prétendirent qu'il ne devoit être jugé que par eux feuls; & ils le jugerent.

La loi des douze tables modifia ceci. Elle ordonna qu'on ne pourroit décider de la vie d'un citoyen, que dans les grands états du peuple (a). Ainfi le corps des plébéiens, ou ce qui eft la même chofe, les comices par tribus ne jugerent plus que les crimes dont la peine n'étoit qu'une amende pécuniaire. Il falloit une loi pour infliger une peine capitale: pour condamner à une peine pécuniaire, il ne falloit qu'un plébifcite.

Cette difpofition de la loi des douze tables fut très-fage. Elle forma une conciliation admirable entre le corps des plébéiens & le fénat. Car, comme la compétence des uns & des autres dépendit de la grandeur de la peine & de

(a) Les comices par centuries. Auffi Manlius Capitolinus fut-il jugé dans ces comices. Tite-Live, décade premiere, liv. VI, p. 68.

la nature du crime, il fallut qu'ils se concertaffent enfemble.

La loi Valérienne ôta tout ce qui reftoit à Rome du gouvernement qui avoit du rapport à celui des rois Grecs des temps héroïques. Les confuls fe trouverent fans pouvoir pour la punition des crimes. Quoique tous les crimes foient publics, il faut pourtant diftinguer ceux qui intéreffent plus les citoyens entr'eux, de ceux qui intéreffent plus l'état dans le rapport qu'il a avec un citoyen. Les premiers font appellés privés, les feconds font les crimes publics. Le peuple jugea luimême les crimes publics; & à l'égard des privés, il nomma pour chaque crime, par une commiffion particuliere, un quefteur, pour en faire la pourfuite. C'étoit fouvent un des magiftrats, quelquefois un homme privé, que le peuple choififfoit. On l'appelloit quefteur du parricide. Il en eft fait mention dans la loi des douze tables (a).

Le quefteur nommoit ce qu'on appelloit le juge de la queftion, qui tiroit au fort les juges, formoit le tribunal,

(a) Dit Pomponius, dans la loi 2, au digeste de orig. jur.

& préfidoit fous lui au jugement (a). Il est bon de faire remarquer ici la part que prenoit le fénat dans la nomination du quefteur, afin que l'on voie comment les puiffances étoient à cet égard balancées. Quelquefois le fénat faifoit élire un dictateur, pour faire la fonction de quefteur (6); quelquefois il ordonnoit que le peuple feroit convoqué par un tribun, pour qu'il nommât un quefteur (c); enfin le peuple nommoit quelquefois un magiftrat, pour faire fon rapport au fénat fur un certain crime, & lui demander qu'il donnât un quefteur, comme on voit dans le jugement de Lucius Scipion (d), dans Tite-Live (e).

L'an de Rome 604, quelques-unes de ces commiffions furent rendues permanentes (f). On divifa peu à peu toutes

(a) Voyez un fragment d'Ulpien, qui en rapporte un autre de la loi Cornélienne: on le trouve dans la collation des lois Mofaiques & Romaines, titul. 1. de ficariis & homicidiis.

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(b) Cela avoit fur-tout lieu dans les crimes commis en Italie, où le fénat avoit une principale infpection. Voyez Tite-live, premiere décade, liv. IX. fur les conjurations de Capoue.

(c) Cela fut ainfi dans la pourfuite de la mort de Pofthumius, l'an 340 de Rome. Voyez Tite-Live. (d) Ce jugement fut rendu l'an de Rome 567** (e) Liv. VIII.

Cicéron, in Bruto.

les matières criminelles en diverfes par ties, qu'on appella des queftions perpé tuelles. On créa divers préteurs, & on attribua à chacun d'eux quelqu'une de ces queftions. On leur donna, pour un an, la puiffance de juger les crimes qui en dépendoient; & enfuite ils alloient gouverner leur province.

A Carthage, le fénat des cent étoit compofé de juges qui étoient pour la vie (a). Mais à Rome, les préteurs étoient annuels; & les juges n'étoient pas même pour un an, puifqu'on les prenoit pour chaque affaire. On a vu, dans le chapitre VI de ce livre, combien, dans de certains gouvernemens, cette difpofition étoit favorable à la liberté.

Les juges furent pris dans l'ordre des fénateurs, jufqu'au temps des Gracques. Tibérius Gracchus fit ordonner qu'on les prendroit dans celui des chevaliers; changement fi confidérable, que le tribun se vanta d'avoir, par une feule rogation, coupé les nerfs de l'ordre des fénateurs.

Il faut remarquer que les trois pou

(a) Cela fe prouve par Tite-Live, liv. XLIII, qui dit qu'Annibal rendit leur magiftrature annuelle.

voirs peuvent être bien diftribués par rapport à la liberté de la conftitution quoiqu'ils ne le foient pas fi bien dans le rapport avec la liberté du citoyen. A Rome, le peuple ayant la plus grande partie de la puiffance légiflative, une partie de la puiffance exécutrice & une partie de la puiffance de juger, c'étoit un grand pouvoir qu'il falloit balancer par un autre. Le fénat avoit bien une partie de la puiffance exécutrice; il avoit quelque branche de la puiffance législative (a); mais cela ne fuffifoit pas pour contrebalancer le peuple. Il falloit qu'il eût part à la puiffance de juger; & il y avoit part, lorfque les juges étoient choifis parmi les fénateurs. Quand les Gracques priverent les fénateurs de la puiffance de juger (b), le fénat ne put plus réfifter au peuple, Ils choquerent donc la liberté de la conftitution, pour favorifer la liberté du citoyen; mais celle-ci fe perdit avec celle-là.

Il en réfulta des maux infinis. On

(a) Les fénatus-confultes avoient force pendant un an, quoiqu'ils ne fuffent pas confirmés par le peuple. Denys d'Halicarnaffe, liv. IX, p. 595; & liv, XĮ, pag. 735

(b) En Van 630.

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