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: CHAPITRE XVIII.

Combien il eft dangéreux dans les républiques, de trop punir le crime de lefemajefté.

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UAND une république eft parve nue à détruire ceux qui vouloient la renverfer, il faut fe hâter de mettre fin aux vengeances, aux peines, & aux récompenfes même..

On ne peut faire de grandes punitions, & par conféquent de grands changemens, fans mettre dans les mains de quelques citoyens un grand pouvoir. Il vaut donc mieux, dans ce cas, pardon ner beaucoup, que punir beaucoup; exiler peu, qu'exiler beaucoup; laiffer les biens, que multiplier les confifcations. Sous prétexte de la vengeance de la république, on établiroit la tyrannie des vengeurs. Il n'eft pas queftion de détruire celui qui domine, mais la domination. Il faut rentrer le plutôt que l'on peut dans ce train ordinaire du gouvernement, où les lois protegent tout, & ne s'arment contre perfonne.

Les Grecs ne mirent point de bornes aux vengeances qu'ils prirent des tyrans ou de ceux qu'ils foupçonnerent de l'être. Ils firent mourir les enfans (a), quelquefois cinq des plus proches pa= rens (b). Ils chafferent une infinité de familles. Leurs républiques en furent ébranlées; l'exil ou le retour des exilés furent toujours des époques qui mar querent le changement de la confti

tution.

Les Romains furent plus fagés. Lorfque Caffius fut condamné pour avoir afpiré à la tyrannie, on mit en queftion fi l'on feroit mourir fes enfans: ils ne furent condamnés à aucune peine.

Ceux qui ont voulu, dit Denys » d'Halicarnaffe (c), changer cette loi » à la fin de la guerre des Marfes & de » la guerre civile, & exclure des char»ges les enfans des profcrits par Sylla, >> font bien criminels «<.

On voit dans les guerres de Marius & de Sylla, jufqu'à quel point les ames, chez les Romains, s'étoient peu

(a) Denys d'Halicarnaffe, antiquités Romaines, liv. VIII.

(b) Tyranno occifo, quinque ejus proximos cognatione magiftratus necato. Cicéron, de inventione, lib. II. (c) Liv. VIII, pag. 547.

à peu dépravées. Des chofes fi funeftes firent croire qu'on ne les reverroit plus. Mais fous les triumvirs, on voulut être plus cruel, & le paroître moins on eft défolé de voir les fophifmes qu'employa la cruauté. On trouve dans Appien (a) la formule des profcriptions. Vous diriez qu'on n'y a d'autre objet que le bien de la république, tant on y parle de fang froid, tant on y montre d'avantages, tant les moyens que l'on prend font préférables à d'autres, tant les riches font en fureté, tant le bas peuple fera tranquille, tant on craint de mettre en danger la vie des citoyens, tant on veut appaiser les foldats, tant enfin on fera heureux (b).

Rome étoit inondée de fang, quand Lepidus triompha de l'Espagne; & par une abfurdité fans exemple, fous peine d'être profcrit (c), il ordonna de se réjouir,

(a) Des guerres civiles, liv. IV.

(b) Quod felix fauftumque fit.

(c) Sacris & epulis dent hunc diem; qui fecùs faxit inter profcriptos eflo.

CHAPITRE

XIX.

Comment on fufpend l'ufage de la liberté dans la république.

I

dans les états où l'on fait le Lya, plus de cas de la liberté, des lois qui la violent contre un feul, pour la garder à tous. Tels font, en Angleterre les bills appellés d'atteindre (a). Ils fe rapportent à ces lois d'Athenes, qui ftatuoient contre un particulier (b), pourvu qu'elles fuffent faites par le fuffrage de fix mille citoyens. Ils fe

(a) Il ne fuffit pas, dans les tribunaux du royau

me, qu'il y ait une preuve telle que les juges foient convaincus il faut encore que cette preuve foit formelle, c'est-à-dire, légale : & la loi demande qu'il y ait deux témoins contre l'accufé; une autre preuve ne fuffiroit pas. Or fi un homme présumé coupable de ce qu'on appelle haut crime, avoit trouvé le moyen d'écarter les témoins, de forte qu'il fûr impoffible de le faire condamner par la loi, on pourroit porter contre lui un bill particulier d'atteindre; c'eft-à-dire, faire une loi finguliere fur fa perfonne. On y procede comme pour tous les autres bills: il faut qu'il paffe dans deux chambres, & que le roi y donne fon confentement; fans quoi il n'y a point de bill, c'est-àdire, de jugement. L'accufé peut faire parler fes avocats contre le bill; & on peut parler dans la chambre pour le bill.

c'est

(b) Legem de fingulari aliquo ne rogato, nifi fex millibus ità vifum. Ex Andocide de myfteriis l'oftracifme.

rapportent à ces lois qu'on faifoit à Rome contre des citoyens particuliers, & qu'on appelloit privileges (a). Elles ne fe faifoient que dans les grands états du peuple. Mais, de quelque maniere que le peuple les donne, Cicéron veut qu'on les aboliffe, parce que la force de la loi ne confifte qu'en ce qu'elle ftatue fur tout le monde (b). J'avoue pourtant que l'ufage des peuples les plus libres qui aient jamais été fur la terre, me fait croire qu'il y a des cas où il faut mettre pour un moment un voile fur la liberté, comme l'on cache les ftatues des dieux.

CHAPITRE

X X.

Des lois favorables à la liberté du citoyen, dans la république.

I'

L arrive fouvent, dans les états populaires, que les accufations font publiques, & qu'il eft permis à tout homme d'accufer qui il veut. Cela a fait établir des lois propres à défendre

(a) De privis hominibus lata. Cicéron, de leg. liv. III.

(b) Scitum eft juffum in omnes. Cicéron, ibid.

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