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nature humaine, & dont la loi générale est de faire aux vaincus le moins de mal qu'il eft poffible. Les républiques peuvent moins conquérir que les monarchies: des conquêtes immenfes fuppofent le despotifme, ou l'affurent. Un des grands principes de l'efprit de conquête doit être de rendre meilleure, autant qu'il eft poffible, la condition du peuple conquis: c'eft fatisfaire tout à la fois la loi naturelle & la maxinre d'état. Rien n'eft plus beau que le traité de paix de Gélon avec les Carthaginois, par lequel il leur défendit d'immoler à l'avenir leurs propres enfans. Les Efpagnols, en conquérant le Pérou, auroient dû obliger de même les habitans à né plus immoler des hommes à leurs dieux; mais ils crurent plus avantageux d'immoler ces peuples mêmes. Ils n'eurent plus pour conquête qu'un vafte défert; ils furent forcés à dépeupler leur pays, & s'affoiblirent pour toujours par leur propre victoire. On peut être obligé quelquefois de changer les lois du peuple vaincu; rien ne peut jamais obliger de lui ôter fes mœurs, ou même fes coutumes, qui font fouvent toutes fes moeurs. Mais le moyen le plus sûr de conferver une conquête, c'est de mettre, s'il eft poffible, le peuple vaincu au niveau du peuple conquérant, de lui accorder les mêmes droits & les

mêmes privileges: c'eft ainfi qu'en ont fouvent ufé les Romains; c'est ainfi furtout qu'en ufa Céfar à l'égard des Gaulois.

Jufqu'ici, en confidérant chaque gouvernement, tant en lui-même que dans fon rapport aux autres, nous n'avons eu égard ni à ce qui doit leur être commun, ni aux circonftances particulieres, tirées, ou de la nature du pays, ou du génie des peuples: c'est ce qu'il faut maintenant développer.

La loi commune de tous les gouverne mens, du moins des gouvernemens modérés, & par conféquent juftes, eft la liberté politique dont chaque citoyen doit jouir. Cette liberté n'est point la licence abfurde de faire tout ce qu'on veut, mais le pouvoir de faire tout ce que les lois permettent. Elle peut être envifagée, ou dans fon rapport à la conftitution, ou dans fon rapport au citoyen.

Il y a, dans la conftitution de chaque état, deux fortes de pouvoirs, la puissance législative, & l'exécutrice; &cette derniere a deux objets, l'intérieur de l'état, & le dehors. C'eft de la diftribution légitime & de la répartition convenable de ces différentes efpeces de pouvoirs, que dépend la plus grande perfection de la liberté politique, par rapport à la conftitution. M. de Montefquieu en apporte pour

preuve la conftitution de la république romaine, & celle de l'Angleterre. Il trouve le principe de celle-ci dans cette loi fondamentale du gouvernement des anciens Germains, que les affaires peu importantes y étoient décidées par les chefs, & que les grandes étoient portées au tribunal de la nation, après avoir auparavant été agitées par les chefs. M. de Montefquieu n'examine point fi les Anglois jouiffent ou non, de cette extrême liberté politique que leur conftitution leur donne: il lui fuffit qu'elle foit établie par leurs lois. Il eft encore plus éloigné de vouloir faire la fatire des autres états: il croit, au contraire, que l'excès, même dans le bien, n'eft pas toujours défirable; que la liberté extrême a fes inconvéniens, comme l'extrême fervitude; & qu'en général la nature humaine s'accommode mieux d'un état moyen.

La liberté politique, confidérée par rapport au citoyen, confifte dans la fureté où il eft, à l'abri des lois; ou du moins dans l'opinion de cette fureté, qui fait qu'un citoyen n'en craint point un autre. C'est principalement par la nature & la propor tion des peines, que cette liberté s'établit ou fe détruit. Les crimes contre la religion doivent être punis par la privation des biens que la religion procure; les crimes

contre les mœurs, par la honte; les crimes contre la tranquillité publique, par la prifon ou l'exil; les crimes contre la fureté, par les fupplices. Les écrits doivent être moins punis que les actions; jamais les fimples penfées ne doivent l'être. Accufations non juridiques, efpions, lettres anonymes, toutes ces reffources de la tyrannie, également honteufes à ceux qui en font l'inftrument & à ceux qui s'en fervent, doivent être profcrites dans un bon gouvernement monarchique. Il n'eft permis d'accufer qu'en face de la loi, qui punit toujours ou l'accufé ou le calomniateur. Dans tout autre ceux qui gouvernent doivent dire avec l'empereur Conftance: Nous ne faurions foupçonner celui à qui il a manqué un accufateur, lorfqu'il ne lui manquoit pas un ennemi. C'est une très-bonne inftitution que celle d'une partie publique qui fe charge, au nom de l'état, de pourfuivre les crimes; & qui ait toute l'utilité des délateurs, fans en avoir les vils intérêts, les inconvéniens & l'infamie.

cas,

La grandeur des impôts doit être en proportion directe avec la liberté. Ainfi dans les démocraties, ils peuvent être plus grands qu'ailleurs, fans être onéreux; parce que chaque citoyen les regarde comme aun tribut qu'il fe paye à lui-même, & qui

affure la tranquillité & le fort de chaque membre. De plus, dans un état démocratique, l'emploi infidelle des deniers publics eft plus difficile, parce qu'il eft plus aifé de le connoître & de le punir; le dépofitaire en devant compte, pour ainsi dire, au premier citoyen qui l'exige.

Dans quelque gouvernement que ce foit, l'efpece de tribut la moins onéreuse eft celle qui eft établie fur les marchandifes; parce que le citoyen paye fans s'en appercevoir. La quantité exceffive de troupes en temps de paix, n'eft qu'un prétexte pour charger le peuple d'impôts, un moyen d'énerver l'état, & un inftrument de fervitude. La régie des tributs qui en fait rentrer le produit en entier dans le fifc public, eft fans comparaison moins à charge au peuple, & par conféquent plus avantageufe, lorfqu'elle peut avoir lieu, que la ferme de ces mêmes tributs qui laiffe toujours entre les mains de quelques particuliers une partie des revenus de l'état. Tout eft perdu, fur-tout (ce font ici les termes de l'auteur) lorfque la profeffion de traitant devient honorable; & elle le devient dès que le luxe est en vigueur. Laiffer quelques hommes fe nour-rir de la fubftance publique pour les dé-pouiller à leur tour, comme on l'a autre fois pratiqué dans certains états, c'eft

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