Avec qui, sans péché, je ne saurois plus vivre. SCÈNE III. MARIANE, DORINE. DORINE. Avez-vous donc perdu, dites-moi, la parole? Souffrir qu'on vous propose un projet insensé, MARIANE. Contre un père absolu que veux-tu que je fasse? DORINE. Lui dire qu'un cœur n'aime point par autrui; C'est à vous, non à lui, que le mari doit plaire; Et que si son Tartufe est pour lui si charmant, Il le peut épouser sans nul empêchement. MARIANE. Un père, je l'avoue, a sur nous tant d'empire DORINE. Mais raisonnons. Valère a fait pour vous des pas: T'ai-je pas là-dessus ouvert cent fois mon cœur? DORINE. Que sais-je si le cœur a parlé par la bouche, Et si c'est tout de bon que cet amant vous touche? MARIANE. Tu me fais un grand tort, Dorine, d'en douter; Et mes vrais sentiments ont su trop éclater. DORINE. Enfin, vous l'aimez donc? MARIANE. Oui, d'une ardeur extrême. DORINE. Et selon l'apparence il vous aime de mème? MARIANE. Je le crois. DORINE. Et tous deux brûlez également De vous voir mariés ensemble? MARIANE. Assurément. DORINE. Sur cette autre union quelle est donc votre attente? Vous n'avez qu'à mourir pour sortir d'embarras. MARIANE. Mon dieu! de quelle humeur, Dorine, tu te rends! MARIANE. Mais que veux-tu? si j'ai de la timidité. DORINE. Mais l'amour dans un cœur veut de la fermeté. MARIANE. Mais n'en gardé-je pas pour les feux de Valère? Et n'est-ce pas à lui de m'obtenir d'un père? DORINE. Mais quoi! si votre père est un bourru fieffé, Qui s'est de son Tartufe entièrement coiffé Et manque à l'union qu'il avoit arrêtée, La faute à votre amant doit-elle être imputée? MARIANE. Mais, par un haut refus et d'éclatants mépris, Ferai-je, dans mon choix, voir un cœur trop épris? Sortirai-je pour lui, quelque éclat dont il brille, De la pudeur du sexe et du devoir de fille? Et veux-tu que mes feux par le monde étalés... DORINE. Non, non, je ne veux rien. Je vois que vous voulez Être à monsieur Tartufe; et j'aurois, quand j'y pense, Tort de vous détourner d'une telle alliance. Quelle raison aurois-je à combattre vos vœux? Le parti de soi-même est fort avantageux. Monsieur Tartufe! oh! oh! n'est-ce rien qu'on propose? Certes, monsieur Tartufe, à bien prendre la chose, N'est pas un homme, non, qui se mouche du pied; Et ce n'est pas peu d'heur que d'être sa moitié. Tout le monde déjà de gloire le couronne; Il est noble chez lui, bien fait de sa personne; Il a l'oreille rouge et le teint bien fleuri: Vous vivrez trop contente avec un tel mari. MARIANE. Mon dieu!... DORINE. Quelle allégresse aurez-vous dans votre ame, Quand d'un époux si beau vous vous verrez la femme! MARIANE. Ah! cesse, je te prie, un semblable discours; Et contre cet hymen ouvre-moi du secours. C'en est fait, je me rends, et suis prête à tout faire. DORINE. Non, il faut qu'une fille obéisse à son père, Voulût-il lui donner un singe pour époux. Votre sort est fort beau: de quoi vous plaignez-vous? Qu'en oncles et cousins vous trouverez fertile, Et vous vous plairez fort à les entretenir. Madame la baillive et madame l'élue, Qui d'un siége pliant vous feront honorer. Là, dans le carnaval, vous pourrez espérer Le bal et la grand' bande, à savoir deux musettes, Si pourtant votre époux... MARIANE. Ah! tu me fais mourir. De tes conseils plutôt songe à me secourir. DORINE. Je suis votre servante. MARIANE. Eh! Dorine, de grace... DORINE. Il faut, pour vous punir, que cette affaire passe. DORINE. Non. MARIANE. Si mes vœux déclarés... DORINE. Point. Tartufe est votre homme, et vous en tåterez. MARIANE. Tu sais qu'à toi toujours je me suis confiée: Fais-moi... DORINE. Non, vous serez, ma foi! tartufiée. C'est de lui que mon cœur empruntera de l'aide, (Mariane veut s'en aller.) SCÈNE IV. VALERE, MARIANE, DORINE. VALÈRE. On vient de débiter, madame, une nouvelle MARIANE. Quoi? VALÈRE. Que vous épousez Tartufe. MARIANE. Il est certain Que mon père s'est mis en tête ce dessein. VALÈRE. Votre père, madame... MARIANE. A change de visée: La chose vient par lui de m'être proposée. VALÈRE. Quoi! sérieusement? MARIANE. Oui, sérieusement. Il s'est pour cet hymen déclaré hautement. VALÈRE. Et quel est le dessein où votre ame s'arrête, MARIANE. Je ne sais. VALÈRE. La réponse est honnête. Vous ne savez? MARIANE. Non. VALERE. Non? MARIANE. Que me conseillez-vous? VALÈRE. Je vous conseille, moi, de prendre cet époux. Le choix est glorieux et vaut bien qu'on l'écoute. MARIANE. Eh bien! c'est un conseil, monsieur, que je reçois. VALÈRE. Vous n'aurez pas grand' peine à le suivre, je crois. MARIANE. Pas plus qu'à le donner en a souffert votre ame. VALÈRE. Moi, je vous l'ai donné pour vous plaire, madame. MARIANE. Et moi, je le suivrai pour vous faire plaisir. DORINE, se retirant dans le fond du théatre. Voyons ce qui pourra de ceci réussir. VALÈRE. C'est donc ainsi qu'on aime? Et c'étoit tromperie MARIANE. Ne parlons point de cela, je vous prie. MARIANE. Il est vrai, c'est bien dit. 1 VALÈRE. Sans doute; et votre cœur N'a jamais eu pour moi de véritable ardeur. MARIANE. Hélas! permis à vous d'avoir cette pensée. VALÈRE. Mon dieu! laissons là le mérite; J'en ai fort peu, sans doute, et vous en faites foi. MARIANE. La perte n'est pas grande; et de ce changement VALÈRE. J'y ferai mon possible, et vous le pouvez croire. Il faut à l'oublier mettre aussi tous nos soins: De montrer de l'amour pour qui nous abandonne. VALERE. Vous le voudriez ? MARIANE. Oui. VALERE. C'est assez m'insulter, MARIANE. Fort bien. (Il fait un pas pour s'en aller.) Souvenez-vous au moins que c'est vous-même Qui contraignez mon cœur à cet effort extrême. MARIANE. Oui. VALÈRE, revenant encore. Et que le dessein que mon ame conçoit VALERE, en sortant. MARIANE. A mon exemple, soit. Suffit: vous allez être à point nommé servie. MARIANE. Tant mieux. |