Images de page
PDF
ePub

trop délicate pour mon pendard. Je veux une vengeance qui se fasse un peu mieux sentir; et ce n'est pas contentement pour l'injure que j'ai reçue.

SCÈNE V.

VALÈRE, LUCAS, MARTINE.

LUCAS, à Valère, sans voir Martine. Parguienne! j'avons pris là tous deux une gueble de commission; et je ne sais pas, moi, ce que je pensons attraper.

Valère, à Lucas, sans voir Martine. Que veux-tu, mon pauvre nourricier? Il faut bien obéir à notre maître; et puis, nous avons intérêt, l'un et l'autre, à la santé de sa fille, notre maîtresse; et sans doute son mariage, différé par sa maladie, nous vaudra quelque récompense. Horace, qui est libéral, a bonne part aux prétentions qu'on peut avoir sur sa personne; et, quoiqu'elle ait fait voir de l'amitié pour un certain Léandre, tu sais bien que son père n'a jamais voulu consentir à le recevoir pour son gendre.

MARTINE, révant à part, se croyant seule. Ne puis-je point trouver quelque invention pour me venger?

LUCAS, à Valère. Mais quelle fantaisie s'est-il boutée là dans la tête, puisque les médecins y avons tous pardu leur latin?

VALÈRE, à Lucas. On trouve quelquefois, à force de chercher, ce qu'on ne trouve pas d'abord; et souvent, en de simples lieux... MARTINE, se croyant toujours seule. Oui, il faut que je m'en venge, à quelque prix que ce soit. Ces coups de bâton me reviennent au cœur, je ne les saurois digérer, et... (heurtant Valère et Lucas.) Ah! messieurs, je vous demande pardon; je ne vous voyois pas, et cherchois dans ma tête quelque chose qui m'embarrasse.

VALÈRE. Chacun a ses soins dans le monde; et nous cherchons aussi ce que nous voudrions bien trouver.

MARTINE. Seroit-ce quelque chose où je vous puisse aider?

VALÈRE. Cela se pourroit faire; et nous tâchons de rencontrer quelque habile homme, quelque médecin particulier, qui pût donner quelque soulagement à la fille de notre maître, attaquée d'une maladie qui lui a ôté tout d'un coup l'usage de la langue. Plusieurs médecins ont déjà épuisé toute leur science après elle; mais on trouve, parfois, des gens avec des secrets admirables, de certains remèdes particuliers qui font, le plus souvent, ce que les autres n'ont su faire; et c'est là ce que nous cherchons.

MARTINE, bas, à part. Ah! que le ciel m'inspire une admirable invention

pour me venger de mon pendard! (haut.) Vous ne pouviez jamais vous mieux adresser pour rencontrer ce que vous cherchez; et nous avons un homme, le plus merveilleux homme du monde, pour les maladies désespérées.

VALÈRE. Et, de grace, où pouvons-nous le rencontrer?

MARTINE. Vous le trouverez maintenant vers ce petit lieu que voilà, qui s'amuse à couper du bois.

LUCAS. Un médecin qui coupe du bois!

VALÈRE. Qui s'amuse à cueillir des simples, voulez-vous dire? MARTINE. Non. C'est un homme extraordinaire qui se plaît à cela, fantasque, bizarre, quinteux et que vous ne prendriez jamais pour ce qu'il est. Il va vêtu d'une façon extravagante, affecte quelquefois de paroître ignorant, tient sa science renfermée et ne fuit rien tant, tous les jours, que d'exercer les merveilleux talents qu'il a eus du ciel pour la médecine.

VALÈRE. C'est une chose admirable que tous les grands hommes ont toujours du caprice, quelque petit grain de folie mêlé à leur science. MARTINE. La folie de celui-ci est plus grande qu'on ne peut croire; car

elle va parfois jusqu'à vouloir être battu pour demeurer d'accord de sa capacité; et je vous donne avis que vous n'en viendrez pas à bout, qu'il n'avouera jamais qu'il est médecin, s'il se le met en fantaisie, que vous ne preniez chacun un bâton et ne le réduisiez, à force de conps, à vous confesser à la fin ce qu'il vous cachera d'abord. C'est ainsi que nous en usons quand nous avons besoin de lui.

VALÈRE. Voilà une étrange folie!

MARTINE. Il est vrai; mais, après cela, vous verrez qu'il fait des merveilles.

VALÈRE. Comment s'appelle-t-il?

MARTINE. Il s'appelle Sganarelle; mais il est aisé à connoître. C'est un homme qui a une large barbe noire et qui porte une fraise avec un habit jaune et vert.

LUCAS. Un habit jaune et vart! c'est donc le médecin des parroquets? VALÈRE. Mais est-il bien vrai qu'il soit si habile que vous le dites? MARTINE. Comment! C'est un homme qui fait des miracles. Il y a six mois

qu'une femme fut abandonnée de tous les autres médecins : on la tenoit morte il y avoit déjà six heures, et l'on se disposoit à l'ensevelir, lorsqu'on y fit venir de force l'homme dont nous parlons. Il lui mit, l'ayant vue, une petite goutte de je ne sais quoi dans la bouche; et, dans le même instant, elle se leva de son lit et se mit aussitôt à se promener dans sa chambre comme si de rien n'eût été.

LUCAS. Ah!

VALÈRE. Il falloit que ce fût quelque goutte d'or potable.

MARTINE. Cela pourroit bien être. Il n'y a pas trois semaines encore qu'un

jeune enfant de douze ans tomba du haut du clocher en bas et se brisa, sur le pavé, la tête, les bras et les jambes. On n'y eut pas plus tôt amené notre homme qu'il le frotta partout le corps d'un certain onguent qu'il sait faire, et l'enfant aussitôt se leva sur ses pieds et courut jouer à la fossette.

LUCAS. Ah!

VALÈRE. Il faut que cet homme-là ait la médecine universelle.

MARTINE. Qui en doute?

LUCAS. Tétigué! vlà justement l'homme qu'il nous faut. Allons vite le charcher.

VALÈRE. Nous vous remercions du plaisir que vous nous faites.

MARTINE. Mais souvenez-vous bien, au moins, de l'avertissement que je vous ai donné.

LUCAS. Eh! morguenne! laissez-nous faire. S'il ne tient qu'à battre, la vache est à nous.

VALERE, à Lucas. Nous sommes bien heureux d'avoir fait cette rencontre; et j'en conçois, pour moi, la meilleure espérance du monde.

SCÈNE VI.

SGANARELLE, VALÈRE, LUCAS.

SGANARELLE, chantant derrière le théatre. La, la, la.

VALÈRE. J'entends quelqu'un qui chante et qui coupe du bois.

SGANARELLE, entrant sur le théâtre avec une bouteille à la main, sans apercevoir Valère et Lucas. La, la, la... Ma foi! c'est assez travaillé pour boire un coup. Prenons un peu d'haleine. (après avoir bu.) Voilà du bois qui est salé comme tous les diables. (Il chante.)

Qu'ils sont doux,
Bouteille jolie,

Qu'ils sont doux,

Vos petits glou-gloux!

Mais mon sort feroit bien des jaloux

Si vous étiez toujours remplie.

Ah! bouteille, ma mie,

Pourquoi vous videz-vous?

Allons, morbleu! il ne faut point engendrer de mélancolie.

VALÈRE, bas, à Lucas. Le voilà lui-même.

LUCAS, bas, à Valère. Je pense que vous dites vrai, et que j'avons bouté le

nez dessus.

VALERE. Voyons de près.

SCANARELLE, embrassant sa bouteille. Ah! ma petite friponne, que je t'aime, mon petit bouchon! (Il chante.)

(Apercevant Valère et Lucas qui l'examinent, il baisse la voix.)

Mais mon sort... feroit... bien des... jaloux,

Si...

(Voyant qu'on l'examine de plus près.) Que diable! à qui en veulent ces gens-là?

[graphic][ocr errors]

VALERE, à Lucas. C'est lui assurément.

LUCAS, à Valère. Le vlà tout craché comme on nous l'a défiguré. (Sganarelle pose la bouteille à terre; et, Valère se baissant pour le saluer, comme il croit que c'est à dessein de la prendre, il la met de l'autre cóté; Lucas faisant la même chose que Valère, Sganarelle reprend sa

bouteille et la tient contre son estomac, avec divers gestes qui font un

jeu de théatre.)

SCANARELLE, à part. Ils consultent en me regardant. Quel dessein auroient-ils?

VALÈRE. Monsieur, n'est-ce pas vous qui vous appelez Sganarelle?
SCANARELLE. Eh! Quoi?

VALÈRE. Je vous demande si ce n'est pas vous qui se nomme Sganarelle? Sganarelle, se tournant vers Valère, puis vers Lucas. Oui et non, selon ce que vous lui voulez.

VALÈRE. Nous ne voulons que lui faire toutes les civilités que nous pour

rons.

SCANARELLE. En ce cas, c'est moi qui se nomme Sganarelle.

VALÈRE. Monsieur, nous sommes ravis de vous voir. On nous a adressés à

vous pour ce que nous cherchons; et nous venons implorer votre aide dont nous avons besoin.

SCANARELLE. Si c'est quelque chose, messieurs, qui dépende de mon petit négoce, je suis tout prêt à vous rendre service.

VALÈRE. Monsieur, c'est trop de grace que vous nous faites: mais, monsieur, couvrez-vous, s'il vous plaît; le soleil pourroit vous incommoder.

LUCAS. Monsieu, boutez dessus.

SCANARELLE, à part. Voici des gens bien pleins de cérémonie. (Il se couvre.)

VALÈRE. Monsieur, il ne faut pas trouver étrange que nous venions à vous; les habiles gens sont toujours recherchés, et nous sommes instruits de votre capacité.

SCANARELLE. Il est vrai, messieurs, que je suis le premier homme du monde pour faire des fagots.

VALÈRE. Ah! monsieur...

SCANARELLE. Je n'y épargne aucune chose, et les fais d'une façon qu'il n'y a rien à dire.

VALÈRE. Monsieur, ce n'est pas cela dont il est question.

SCANARELLE. Mais aussi, je les vends cent dix sols le cent.

VALÈRE. Ne parlons point de cela, s'il vous plaît.

SCANARELLE. Je vous promets que je ne saurois les donner à moins.

VALÈRE. Monsieur, nous savons les choses.

SCANARELLE. Si vous savez les choses, vous savez que je les vends cela.

VALÈRE. Monsieur, c'est se moquer, que...

SGANARELLE. Je ne me moque point, je n'en puis rien rabattre.

VALÈRE. Parlons d'autre façon, de grace.

SCANARELLE. Vous en pourrez trouver autre part à moins; il y a fagots et

fagots: mais pour ceux que je fais...

VALÈRE. Eh! monsieur, laissons là ce discours.

« PrécédentContinuer »