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quelqu'un. C'est un homme, je vous le dis, qui mérite bien cela; et
si j'étois assez heureux, belle nourrice, pour être choisi pour...
(Dans le temps que Sganarelle tend les bras pour embrasser Jacqueline
Lucas passe sa téte par-dessous et se met entre eux deux. Sgana-
relle et Jacqueline regardent Lucas, et sortent chacun de leur côté.)

SCÈNE IV.

GÉRONTE, LUCAS.

GÉRONTE. Hola! Lucas, n'as-tu point vu ici notre médecin?

LUCAS. Et oui, de par tous les diantres, je l'ai vu, et ma femme aussi.
GÉRONTE. Où est-ce donc qu'il peut être?

LUCAS. Je ne sais; mais je voudrois qu'il fût à tous les guebles.
GÉRONTE. Va-t-en voir un peu ce que fait ma fille.

SCÈNE V.

SGANARELLE, LEANDRE, GÉRONTE.

GÉRONTE. Ah! monsieur, je demandois où vous étiez. SCANARELLE. Je m'étois amusé dans votre cour à expulser le superflu de la boisson. Comment se porte la malade?

GÉRONTE. Un peu plus mal depuis votre remède.

SGANARELLE. Tant mieux. C'est signe qu'il opère.

GÉRONTE. Oui; mais en opérant je crains qu'il ne l'étouffe.

SCANARELLE. Ne vous mettez pas en peine; j'ai des remèdes qui se moquent

de tout et je l'attends à l'agonie.

GÉRONTE, montrant Léandre. Qui est cet homme-là que vous amenez? SGANARELLE, faisant des signes avec la main pour montrer que c'est un apothicaire. C'est...

GÉRONTE. Quoi?

SCANARELLE. Celui...

GERONTE. Eh?

SGANARELLE. Qui...

GÉRONTE. Je vous entends.

SGANARELLE. Votre fille en aura besoin.

SCÈNE VI.

LUCINDE, GÉRONTE, LÉANDRE, JACQUELINE,

SGANARELLE.

JACQUELINE. Monsieu, vlà votre fille qui veut un peu marcher. SCANARELLE. Cela lui fera du bien. Allez-vous-en, monsieur l'apothicaire, tâter un peu son pouls, afin que je raisonne tantôt avec vous de sa maladie. (Sganarelle tire Géronte dans un coin du théâtre et lui passe un bras sur les épaules pour l'empêcher de tourner la tête du côté où sont Léandre et Lucinde.) Monsieur, c'est une grande et subtile question entre les docteurs de savoir si les femmes sont plus faciles à guérir que les hommes. Je vous prie d'écouter ceci, s'il vous plaît.

[graphic][subsumed]

Les uns disent que non, les autres disent que oui; et moi je dis que
oui et non,
d'autant que l'incongruité des humeurs opaques qui se
rencontrent au tempérament naturel des femmes, étant cause que la
partie brutale veut toujours prendre empire sur la sensitive, on voit
que l'inégalité de leurs opinions dépend du mouvement oblique du
cercle de la lune; et comme le soleil, qui darde ses rayons sur la
concavité de la terre, trouve...

LUCINDE, à Léandre. Non, je ne suis point du tout capable de changer de sentiment.

Géronte. Voilà ma fille qui parle! O grande vertu du remède! O admirable médecin! Que je vous suis obligé, monsieur, de cette guérison merveilleuse! et que puis-je faire pour vous après un tel service? SCANARELLE, se promenant sur le théâtre et s'éventant avec son chapeau. Voilà une maladie qui m'a bien donné de la peine!

LUCINDE. Oui, mon père, j'ai recouvré la parole; mais je l'ai recouvrée pour vous dire que je n'aurai jamais d'autre époux que Léandre, et que c'est inutilement que vous voulez me donner Horace.

GÉRONTE. Mais...

LUCINDE. Rien n'est capable d'ébranler la résolution que j'ai prise.
GÉRONTE. Quoi?...

LUCINDE. Vous m'opposerez en vain de belles raisons.

GÉRONTE. Si...

LUCINDE. Tous vos discours ne serviront de rien.

GERONTE. Je...

LUCINDE. C'est une chose où je suis déterminée.

GERONTE. Mais...

LUCINDE. Il n'est puissance paternelle qui me puisse obliger à me marier

malgré moi.

GÉRONTE. J'ai...

LUCINDE. Vous avez beau faire tous vos efforts.

GÉRONTE. Il...

LUCINDE. Mon cœur ne sauroit se soumettre à cette tyrannie.

GÉRONTE. La...

LUCINDE. Et je me jetterai plutôt dans un couvent que d'épouser un homme que je n'aime point.

GÉRONTE. Mais...

LUCINDE, avec vivacité. Non. En aucune façon. Point d'affaires. Vous perdez le temps. Je n'en ferai rien. Cela est résolu.

GERONTE. Ah! quelle impétuosité de paroles! Il n'y a pas moyen d'y résister. (a Sganarelle.) Monsieur, je vous prie de la faire redevenir muette. SCANARELLE. C'est une chose qui m'est impossible. Tout ce que je puis faire pour votre service est de vous rendre sourd si vous voulez. GERONTE. Je vous remercie. (à Lucinde.) Penses-tu donc?...

LUCINDE. Non, toutes vos raisons ne gagneront rien sur mon ame.
GÉRONTE. Tu épouseras Horace dès ce soir.

LUCINDE. J'épouserai plutôt la mort.

SGANARELLE, à Géronte. Mon dieu! arrêtez-vous, laissez-moi médicamenter cette affaire. C'est une maladie qui la tient, et je sais le remède qu'il y faut apporter.

GÉRONTE. Seroit-il possible, monsieur, que vous pussiez aussi guérir cette maladie d'esprit?

SCANARELLE. Oui, laissez-moi faire; j'ai des remèdes pour tout, et notre apothicaire nous servira pour cette cure. (à Léandre.) Un mot. Vous voyez que l'ardeur qu'elle a pour ce Léandre est tout-à-fait contraire aux volontés du père, qu'il n'y a point de temps à perdre, que les humeurs sont fort aigries et qu'il est nécessaire de trouver promptement un remède à ce mal qui pourroit empirer par le retardement. Pour moi, je n'y en vois qu'un seul, qui est une prise de fuite purgative que vous mêlerez comme il faut avec deux dragmes de matrimonium en pilules. Peut-être fera-t-elle quelque difficulté à prendre ce remède; mais comme vous êtes habile homme dans votre métier, c'est à vous de l'y résoudre et de lui faire avaler la chose du mieux que vous pourrez. Allez-vous-en lui faire faire un petit tour de jardin afin de préparer les humeurs, tandis que j'entretiendrai ici son père; mais surtout ne perdez point de temps. Au remède, vite, au remède spécifique.

SCÈNE VII.

GÉRONTE, SGANARELLE.

GÉRONTE. Quelles drogues, monsieur, sont celles que vous venez de dire? Il me semble que je ne les ai jamais ouï nommer.

SCANARELLE. Ce sont drogues dont on se sert dans les nécessités urgentes. Géronte. Avez-vous jamais vu une insolence pareille à la sienne?

SGANARELLE. Les filles sont quelquefois un peu têtues.

GÉRONTE. Vous ne sauriez croire comme elle est affolée de ce Léandre. SGANARELLE. La chaleur du sang fait cela dans les jeunes esprits.

GÉRONTE. Pour moi, dès que j'ai eu découvert la violence de cet amour,

j'ai su tenir toujours ma fille renfermée.

SCANARELLE, Vous avez fait sagement.

CERONTE. Et j'ai bien empêché qu'ils n'aient eu communication ensemble. SGANARELLE. Fort bien.

GÉRONTE. Il seroit arrivé quelque folie si j'avois souffert qu'ils se fussent

vus.

SCANARELLE. Sans doute.

GERONTE. Et je crois qu'elle auroit été fille à s'en aller avec lui.
SCANARELLE. C'est prudemment raisonné.

GÉRONTE. On m'avertit qu'il fait tous ses efforts pour lui parler.

SCANARELLE. Quel drôle!

GÉRONTE. Mais il perdra son temps.

SGANARELLE. Ah! ah!

GÉRONTE. Et j'empêcherai bien qu'il ne la voie.

SGANARELLE. Il n'a pas à faire à un sot, et vous savez des rubriques qu'il ne sait pas. Plus fin que vous n'est pas bète.

SCÈNE VIII.

LUCAS, GÉRONTE, SGANARELLE.

LUCAS. Ah! palsanguenne, monsieu, vaici bian du tintamare; votre fille s'en est enfuie avec son Liandre. C'étoit lui qui étoit l'apothicaire, et vlà monsieu le médecin qui a fait cette belle opération-là.

GÉRONTE. Comment! M'assassiner de la façon! Allons, un commissaire, et qu'on empêche qu'il ne sorte. Ah! traître! je vous ferai punir par la justice.

LUCAS. Ah! par ma fi, monsieu le médecin, vous serez pendu; ne bougez de là seulement.

SCÈNE IX.

MARTINE, SGANARELLE, LUCAS.

MARTINE, à Lucas. Ah! mon dieu! que j'ai eu de peine à trouver ce logis!
Dites-moi un peu des nouvelles du médecin que je vous ai donné.
LUCAS. Le vlà qui va être pendu.

MARTINE. Quoi! mon mari pendu! Hélas! et qu'a-t-il fait pour cela?
LUCAS. Il a fait enlever la fille de notre maître.

MARTINE. Hélas! mon cher mari, est-il bien vrai qu'on te va pendre?
SCANARELLE. Tu vois. Ah!

MARTINE. Faut-il que tu te laisses mourir en présence de tant de gens?

SCANARELLE. Que veux-tu que j'y fasse?

MARTINE. Encore, si tu avois achevé de couper notre bois, je prendrois quelque consolation.

SGANARELLE. Retire-toi de là, tu me fends le cœur.

MARTINE. Non; je veux demeurer pour t'encourager à la mort, et je ne te quitterai point que je ne t'aie vu pendu.

SCANARELLE. Ah!

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