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LE MAITRE DE PHILOSOPHIE. La voix O se forme en rouvrant les mâchoires, et rapprochant les lèvres par les deux coins, le haut et le bas : 0. MONSIEUR JOURDAIN. O, O. Il n'y a rien de plus juste: A, E, I, O, I, O. Cela est admirable! I, O; I, O.

LE MAITRE DE PHILOSOPHIE. L'ouverture de la bouche fait justement comme un petit rond qui représente un O.

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0, 0, 0. Vous avez raison. O. Ah! la belle chose que de savoir quelque chose!

MONSIEUR JOURDAIN.

LE MAITRE DE PHILOSOPHIE. La voix U se forme en rapprochant les dents sans les joindre entièrement, et alongeant les deux lèvres en dehors, les approchant aussi l'une de l'autre, sans les joindre tout-à-fait : U. MONSIEUR JOURDAIN. U, U. Il n'y a rien de plus véritable: U.

LE MAITRE DE PHILOSOPHIE. Vos deux lèvres s'alongent comme si vous faisiez la moue: d'où vient que si vous la voulez faire à quelqu'un, et vous moquer de lui, vous ne sauriez lui dire que U.

MONSIEUR JOURDAIN. U, U. Cela est vrai. Ah! que n'ai-je étudié plus tôt, pour savoir tout cela!

LE MAITRE DE PHILOSOPHIE. Demain, nous verrons les autres lettres, qui sont les consonnes.

MONSIEUR JOURDAIN. Est-ce qu'il y a des choses aussi curieuses qu'à celles-ci? LE MAITRE DE PHILOSOPHIE. Sans doute. La consonne D, par exemple, se prononce en donnant du bout de la langue au-dessus des dents d'en haut: DA.

MONSIEUR JOURDAIN. DA, DA. Oui. Ah! les belles choses! les belles choses! LE MAITRE DE PHILOSOPHIE. L'F, en appuyant les dents d'en haut sur la lèvre de dessous : FA.

MONSIEUR JOURDAIN. FA, FA. C'est la vérité. Ah! mon père et ma mère, que je vous veux de mal!

le maitre de philoSOPHIE. Et l'R, en portant le bout de la langue jusqu'au haut du palais; de sorte qu'étant frôlée par l'air qui sort avec force, elle lui cède, et revient toujours au même endroit, faisant une manière de tremblement : R, RA.

MONSIEUR JOURDAIN. R, R, RA, R, R, R, R, R, RA. Cela est vrai. Ah! l'habile homme que vous ètes, et que j'ai perdu de temps! R, R, R, ᎡᎪ.

LE MAITRE DE PHILOSOPHIE. Je vous expliquerai à fond toutes ces curiosités. MONSIEUR JOURDAIN. Je vous en prie. Au reste, il faut que je vous fasse une

confidence. Je suis amoureux d'une personne de grande qualité, et je souhaiterois que vous m'aidassiez à lui écrire quelque chose dans un petit billet que je veux laisser tomber à ses pieds.

LE MAITRE De philosophIE. Fort bien!

MONSIEUR JOURDAIN. Cela sera galant, oui.

LE MAITRE DE PHILOSOPHIE. Sans doute. Sont-ce des vers que vous lui voulez écrire?

MONSIEUR JOURDAIN. Non, non; point de vers.

LE MAITRE DE PHILOSOPHIE. Vous ne voulez que de la prose?

MONSIFUR JOURDAIN. Non, je ne veux ni prose ni vers.

LE MAITRE DE PHILOSOPHIE. Il faut bien que ce soit l'un ou l'autre.

MONSIEUR JOURDAIN. Pourquoi?

LE MAITRE DE PHILOSOPHIE. Par la raison, monsieur, qu'il n'y a, pour s'exprimer, que la prose ou les vers.

MONSIEUR JOURDAIN. Il n'y a que la prose ou les vers?

le maitre de philOSOPHIE. Non, monsieur. Tout ce qui n'est point prose est vers; et tout ce qui n'est point vers est prose.

MONSIEUR JOURDAIN. Et comme l'on parle, qu'est-ce que c'est donc que cela? LE MAITRE DE PHILOSOPHIE. De la prose.

MONSIEUR JOURDAIN. Quoi! quand je dis: Nicole, apportez-moi mes pantoufles, et me donnez mon bonnet de nuit, c'est de la prose?

le maitre de PHILOSOPHIE. Oui, monsieur.

MONSIEUR JOURDAIN. Par ma foi, il y a plus de quarante ans que je dis de la prose, sans que j'en susse rien ; et je vous suis le plus obligé du monde, de m'avoir appris cela. Je voudrois donc lui mettre dans un billet : Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour; mais je voudrois que cela fût mis d'une manière galante; que cela fùt tourné gentiment.

le maitre de phiLOSOPHIE. Mettre que les feux de ses yeux réduisent votre cœur en cendres; que vous souffrez nuit et jour pour elle les violences d'un...

MONSIEUR JOURDAIN. Non, non, non; je ne veux point tout cela. Je ne veux que ce que je vous ai dit : Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour.

LE MAITRE DE PHILOSOPHIE. Il faut bien étendre un peu la chose. MONSIEUR JOURDAIN. Non, vous dis-je. Je ne veux que ces seules paroles-là dans le billet; mais tournées à la mode, bien arrangées comme il faut. Je vous prie de me dire un peu, pour voir, les diverses manières dont on les peut mettre.

LE MAITRE DE PHILOSOPHIE. On les peut mettre premièrement comme vous avez dit : Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour. Ou bien : D'amour mourir me font, belle marquise, vos beaux yeux. Ou bien: Vos yeux beaux d'amour me font, belle marquise, mourir. Ou bien Mourir vos beaux yeux, belle marquise, d'amour me font. Ou bien: Me font vos beaux yeux mourir, belle marquise, d'amour. MONSIEUR JOURDAIN. Mais de toutes ces façons-là, laquelle est la meilleure? LE MAITRE DE PHILOSOPHIE. Celle que vous avez dite: Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour.

MONSIEUR JOURDAIN. Cependant je n'ai point étudié, et j'ai fait cela tout du premier coup. Je vous remercie de tout mon cœur, et je vous prie de venir demain de bonne heure.

LE MAITRE DE PHILOSOPHIE. Je n'y manquerai pas.

SCÈNE VII.

MONSIEUR JOURDAIN, UN LAQUAIS.

MONSIEUR JOURDAIN, à son laquais. Comment! mon habit n'est point encore arrivé?

LE LAQUAIS. Non, monsieur.

MONSIEUR JOURDAIN. Ce maudit tailleur me fait bien attendre pour un jour où j'ai tant d'affaires. J'enrage. Que la fièvre quartaine puisse serrer

bien fort le bourreau de tailleur! Au diable le tailleur! La peste étouffe le tailleur! Si je le tenois maintenant, ce tailleur détestable, ce chien de tailleur-là, ce traître de tailleur, je...

SCÈNE VIII.

MONSIEUR JOURDAIN, UN MAITRE TAILLEUR, UN GARÇON TAILLEUR, portant l'habit de monsieur Jourdain; UN LAQUAIS.

MONSIEUR JOURDAIN. Ah! vous voilà! Je m'allois mettre en colère contre

vous.

LE MAITRE TAILLEUR. Je n'ai pas pu venir plus tôt, et j'ai mis vingt garçons après votre habit.

MONSIEUR JOURDAIN. Vous m'avez envoyé des bas de soie si étroits, que j'ai eu toutes les peines du monde à les mettre ; et il y a déjà deux mailles de rompues.

LE MAITRE TAILLEUR. Ils ne s'élargiront que trop.

MONSIEUR JOURDAIN. Oui, si je romps toujours des mailles. Vous m'avez aussi fait faire des souliers qui me blessent furieusement.

LE MAITRE TAILLEUR. Point du tout, monsieur.

MONSIEUR JOURDAIN. Comment! point du tout?

LE MAITRE TAILLEUR. Non, ils ne vous blessent point.

MONSIEUR JOURDAIN. Je vous dis qu'ils me blessent, moi.

LE MAITRE TAILLEUR. Vous vous imaginez cela.

MONSIEUR JOURDAIN. Je me l'imagine parce que je le sens. Voyez la belle raison!

LE MAITRE TAILLEUR. Tenez, voilà le plus bel habit de la cour, et le mieux assorti. C'est un chef-d'œuvre que d'avoir inventé un habit sérieux qui ne fût pas noir; et je le donne en six coups aux tailleurs les plus éclairés.

MONSIEUR JOURDAIN. Qu'est-ce que c'est que ceci? Vous avez mis les fleurs en en bas.

LE MAITRE TAILLEUR. Vous ne m'avez pas dit que vous les vouliez en en haut. MONSIEUR JOURDAIN. Est-ce qu'il faut dire cela?

LE MAITRE TAILLEUR. Oui, vraiment. Toutes les personnes de qualité les portent de la sorte.

MONSIEUR JOURDAIN. Les personnes de qualité portent les fleurs en en bas? LE MAITRE TAILLEUR. Oui, monsieur.

MONSIEUR JOURDAIN. Oh! voilà qui est donc bien?

LE MAITRE TAILLEUR. Si vous voulez, je les mettrai en en haut.
MONSIEUR JOURDAIN. Non, non.

LE MAITRE TAILLEUR. Vous n'avez qu'à dire,

MONSIEUR JOURDAIN. Non, vous dis-je; vous avez bien fait. Croyez-vous que l'habit m'aille bien?

LE MAITRE TAILLEUR. Belle demande! Je défie un peintre, avec son pinceau, de vous faire rien de plus juste. J'ai chez moi un garçon qui, pour monter une ringrave, est le plus grand génie du monde; et un autre qui, pour assembler un pourpoint, est le héros de notre temps. MONSIEUR JOURDAIN. La perruque et les plumes sont-elles comme il faut? LE MAITRE TAILLEUR. Tout est bien.

MONSIEUR JOURDAIN, regardant le maitre tailleur. Ah! ah! monsieur le tailleur, voilà de mon étoffe du dernier habit que vous m'avez fait. Je la reconnois bien.

LE MAITRE TAILLEUR. C'est que l'étoffe me sembla si belle, que j'en ai voulu lever un habit pour moi.

MONSIEUR JOURDAIN. Oui; mais il ne falloit pas le lever avec le mien.

LE MAITRE TAILLEUR. Voulez-vous mettre votre habit?

MONSIEUR JOURDAIN. Oui, donnez-le-moi.

LE MAITRE TAILLEUR. Attendez. Cela ne va pas comme cela. J'ai amené des gens pour vous habiller en cadence, et ces sortes d'habits se mettent avec cérémonie. Holà! entrez, vous autres.

SCÈNE IX.

MONSIEUR JOURDAIN, LE MAITRE TAILLEUR, LE GARÇON TAILLEUR, GARÇONS TAILLEURS DANSANTS, UN LAQUAIS.

LE MAITRE TAILLEUR, à ses garçons. Mettez cet habit à monsieur, de la maque vous faites aux personnes de qualité.

nière

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