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a fait preuve d'une oreille plus délicate et plus harmonieuse que Du Bartas en ceux-ci :

Comme un mesme soleil de ses rais en même heure

Durcit le mol bourbier et fond la cire dure.

Mais franchement Du Bartas est-il aussi coupable que s'il eût fait rimer hallebarde avec miséricorde, comme on le lisait sur la tombe de Mardoché, le sonneur de S' Eustache? Et ne voyons-nous pas encore aujourd'hui nos meilleurs poètes ne pas se gêner le moins du monde de faire rimer une longue avec une brève. Je prends au hasard dans la dernière œuvre de M. Em. Augier, un académicien, et je lis:

1。

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Si la poutre que j'ai dans l'œil n'est qu'une paille.

Voyons

On m'a dit hier un mot qui me travaille.
Et je me consacrai sur l'heure à cette tâche,
Heureux de retrouver à ma vie une attache.
Si tu savais qui c'est

Et quel piège le sort goguenard me dressait.
Mon Dieu! faut-il que les hommes soient bêtes
De se donner en pâture aux coquettes!

Je n'ai pas, mon enfant, sujet d'être bien gaie.
La supposition de mon père est donc vraie.
(Paul Forestier, passim.)

De même nous rencontrerions au XVIe siècle bon nombre d'exemples d'heure rimant avec une terminaison brève en eure, malgré l'observation de Sibilet; Ex.:

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Enée en sort à l'heure.

Ainsi tous deux, de ravissante alleure, etc.

(L. des Mas., 1552.)

L'autre, d'aise ravi, dans Nazaret asseure

Qu'une dame sera vierge et mère en même heure.

(Du Bart., 1578.)

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(Monfuron, 1632, cité dans le Traité de Versif. franç. p. 358.)

Ces deux dernières citations viennent à l'appui de ce que j'ai déjà démontré, à savoir que même après que le son u eut en un grand nombre de mots remplacé le son eu, quelques-uns, parmi lesquels seur, meur, et leurs composés asseurer, meurir s'obstinèrent à le conserver. Aussi n'hésiterai-je point à lire en eur les rimes suivantes de Pibrac :

Car le vert brun du bled qui d'un éclat obscur

Brille dedans les yeux, lui donne l'espoir seur, etc. (')

(Traité de Versif. franç. p. 355.)

Tous les autres exemples invoqués dans cet ouvrage vont justement à l'encontre des assertions de l'auteur. Je n'en citerai qu'un seul :

Un chacun admirait la douceur de ses maurs.
Et la mort, dont la faulx toute chose moissonne,
Voyait de sa vertu naître des fruits si meurs, etc.
(Racan, cité dans le Traité de Versif. p. 358.)

<< C'est une rime indubitablement défectueuse, » dit le critique. Point du tout; on disait meurs comme aujourd'hui encore dans le dialecte blaisois; et j'ai été heureux de trouver à ce sujet un défenseur de mes opinions dans un écrivain du XVIIIe siècle. L'auteur des Amusemens du cœur et de l'esprit (') ne s'y est pas trompé. « On voit, dit-il, que du temps de Racan on prononçait fruits meurs, et non et non pas fruits murs comme aujourd'hui. » Et il cite pour exemple précisément les mêmes vers dont se sert l'auteur que je

· (1) Cf. Cl. Marot, Ps. CXVIII, M, seure, heure ; CXLIII, B, heure, asscure, seure; XXIV, M. heure, m'asseure ; XVII, M, asseure, demeure; XXXVII, M, heure, labeure, seure.

Ps. X,M, seur, amasseur; XVIII, M, seur, défenseur; XIV, M, seur, douceur, avec obscur, seur de Pibrac, et plus loin avec dicitur, seur de Coquillart.

V, le Parnasse des plus excellents poètes de ce temps, 1601, p. 376,

combats pour soutenir la thèse contraire. Si barbares que l'on puisse supposer les oreilles des poètes du XVIe siècle et du commencement du XVII, est-il croyable qu'ils eussent commis des rimes qui ne seraient même pas des assonances?

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TROISIÈME CAUSE D'ERREUR. << Vers le même temps, Coquillart (1478) nous montre comment on prononçait le mot sûr qui s'écrivait seur :

Si ce mignon, ut dicitur,
N'appartient à homme vivant,

Il faut dire, pour le plus seur, etc. »>
(Traité de Versif. franç. p. 355.)

L'auteur fait ici, si je ne me trompe, ce que l'on appelle dans l'Ecole une pétition de principe. Il suppose connue la prononciation de la terminaison latine ur, tandis qu'elle est précisément un des termes du problême, et le premier qu'il fût besoin de prouver, puisque c'est sur la prononciation de cette terminaison latine que le savant philologue s'appuie pour en conclure la prononciation du

mot seur.

C'est, je crois, au rebours qu'il fallait procéder, c'est-à-dire que l'on devait d'abord prouver la prononciation du mot seur pour en conclure celle du latin dicitur.

Ce qui me confirme dans cette méthode, c'est précisément que l'auteur l'a déjà suivie avec succès (Tr. de Versif. fr. p. 377). Il conclut de la prononciation de mots français rimant avec un mot latin, malan avec Jérusalem, an avec amen, non que la terminai son latine imposât sa consonnance finale à la terminaison du mot français, mais au contraire et avec raison que le mot français servait de règle et de modèle à la prononciation du mot latin.

Or j'ai prouvé (1" part. chap. V, p. 53.) que le son u appliqué à la diphthongue eu ne date pas de plus loin que 1530. Rob. Estienne

(1) Vol. XII, pag. 226.

(1558), Ramus (1562) attestent notamment la prononciation de seur. « Ce pays-ci, dit Peletier, a été autrefois habité par des gens qui avaient la langue tout ainsi que la manière de vivre plus robuste que nous n'avons aujourd'hui, mais depuis que les Français, ont esté en paix (or la paix en question date du traité de Crespy, 1544; Peletier écrivait ceci en 1549), ils ont commencé à parler plus doucement, et si j'osois dire, plus mollement. Ne les avonsnous pas vus si sujets à leurs dames, qu'ils eussent cuidé estre péché mortel de prononcer autrement qu'elles ?... Et de là est venu aimissions, parlissions, donnissions. De même lieu est venu je vous assure, et maints autres qui se prononcent à petit bec. » Ainsi pour être exact, c'est non pas à 1530, mais à 1544 qu'il faudrait faire remonter l'introduction du son u dans asseurer, seur, et l'on sait, comme je l'ai démontré, que la double prononciation, qui prit alors naissance, dura jusque très avant dans le XVIIe siècle, et est constatée par Ménage dans son Dictionnaire (1694). En voici un exemple tiré des Délices de la poésie française (1615) :

Et devant les autels, de leur franchise seur,
L'occit incurieux des amours de sa sœur.

(Trad. de l'Enéide, p. 144.)

Ainsi dicitur dans les vers cités plus haut rimant avec seur se prononçait diciteur, de même que Jerusalem rimant avec an se lisait Jerusalan dans ces vers de Bonav. des Periers :

Or veux à toi parler une fois l'an,
Ainsi que Dieu dit de Jerusalem.

Et frater, fraté dans ceux-ci d'Ol. Basselin :

Au couvent encore ne suis;

De cecy je puis bien gouster.
J'en vay boire à vous, mes amis !
Dites-moy, grand merci, frater.

Et petit, peti en ces vers de Bourdigné :

Comme votre parent petit,

Qui beneficium petit,

Je prendray si grand appétit, etc.

Et factum, facton en ce passage de Voltaire :

Pour certains couplets de chanson,

Et pour un mauvais factum (1).

De même enfin qu'Ennius se prononçait Ennicu dans cette citation de Bonav. des Periers :

Tant Novius, Plautus que Ennius,

Tous ces auteurs desquels il aime mieux

En ces écrits suivre la négligence.

Dans les noms latins en us, la syllabe finale se prononçait si bien eus que Olibrius, passé à l'état d'adjectif, faisait au féminin Olibrieuse « Ceste-cy fait de l'olibrieuse, » dit Brantôme (p. 268).

SUPPLEMENT AUX CHAPITRES V ET VI.

De la prononciation de la diphthongue EU. Exceptions.

1° Eu dans le dialecte blaisois se prononce u au milieu et à la fin de quelques mots; Ex.: meunier, bleu, bleuâtre, queue, etc.; pron. munier ou mugnier, blu, bludte, cue.

Après avoir tourné de toutes parts la vue

De ses yeux allumés d'une lumière blue.
(de Mar. Géorg. IV.)

L'auteur a le soin d'ajouter en note: « Bleue ou blue, pour faire la rime plus juste à vue, sur quoy il serait assez malaisé d'en ajuster une autre, parce qu'il s'en trouve peu à bleue. »

(1) Cf. Hug. Capet, vs. 6345 et 6360.

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