Images de page
PDF
ePub

<< Bien des gens prononcent et écrivent bluâtre. » (La Monnoie, Gloss. à Epluante. »)

Cette prononciation, due à l'influence picarde, date de la période d'indécision qui régna même à la cour au XVIe siècle. On entendait parler autour de François Ier et d'Henri II tous les dialectes de France. Celui-ci disait un mounier, une coue; celui-là un meunier, une queue; ce troisième un munier (1), une cue. C'est ce qui explique comment on trouve dans des grammairiens assidus à la cour des assertions si différentes. « Il faut prononcer cue, hurte par u tout nud, dit Meigret. >> «Est-ce possible? s'écrie des Autels, qui pourra jamais consentir à prononcer ainsi au lieu de queue, heurte? » Et là-dessus grandes colères, imprécations, injures. Les savants de ce temps-là ne se ménageaient pas. « La cause de nos désaccords, dit justement Peletier, vient souvent de la double prononciation d'un même mot, ceux-ci disant recourre, ceux-là recœuvre, » ceux-ci cue, hurte, ceux-là queue, heurte. Ce fut là précisément le cas de des Autels et de Meigret.

La Fontaine a fait rimer émute (Fabl. VII, 8, et X, 4.) avec dispute et députe. Bien que M. Walckenaer prétende que l'on n'a jamais dit émute, et qu'en effet je n'en connaisse pas d'autre exemple, je suis porté à croire que La Fonte n'a fait que mettre en pratique une prononciation du XVI siècle, qui pouvait encore avoir cours dans la bouche des vieillards. Pourquoi n'eût-on pas dit émute ou émeute, puisque H. Est. dans son Dict. franç. lat. signale mute et meute, d'où il essaie de prouver que émeute est dérivé? On dit également bien en blaisois mute ou meute, émute ou émeute, émulier ou émeutier.

II Dans les mots, surtout dans les noms propres commençant par eu, cette diphthongue sonne généralement u. Ex.: Eucharistie, Europe, Eugène, pron. : Ucharistie, Urope, Ugène.

« Le peuple, dit M. Quicherat (p. 356), prononce comme un u

(1) Mounier, munier se sont conservés comme noms propres.

simple la première syllabe de Eugène, Eugénie, Eustache; il n'est pas rare d'entendre encore dire hurter. » Le peuple en parlant ainsi est resté fidèle à la vieille langue; c'est nous qui avons changé la prononciation. Ce son de l'u initial qui remonte à la seconde moitié du XVIe siècle a duré jusqu'au XIXe et voici ce qu'écrivait en 1775 L. Chamb. dans sa Gramm. of the french tongue : « Eu se prononce u dans Eugéne, Eusébe, Eustache, (') Euripide, Europe, eucharistie, eunuque, etc., qu'on prononce Usèbe, Urope, unuc, etc. » Il est facile de voir que c'est en vertu du même principe que l'on a dit hureux, hurter que nous avons perdu, et hurler, hurlement, que nous avons conservé. C'est ainsi que nos paysans disent encore: L'dépattement d'Ure et Louéere (Eure-et-Loir), et qu'Hamilton a écrit:

Des bords de la rivière d'Eure

Lieux où pour orner la nature, etc. (Ep. à Boileau.)

Et Voltaire :

Près des bords de l'Iton et des rives de l'Eure

Est un champ fortuné, l'amour de la nature.
(Henr. ch. VIII.)

CHAPITRE VII.

De la prononciation de la diphthongue OI.

[ocr errors]

RÈGLE. Oi se prononce généralement oué; Ex.: croix, noix, poids, roi, quoi, etc. pron. : croué, roué, loué, poué, quoué, etc.

(1) L'usage général veut qu'on écrive Eustache; cependant il faut prononcer Ustache.» (Restaut, Traité de l'orth. fr.)

Le son oué (1) paraît avoir été la prononciation la plus ancienne de la diphthongue oi; Ex.:

[ocr errors]

Roé d'Engleterre soė et vos fesons asavoer en mout bon poent - et qui arroet tres grant joie. (Lettr. de Rois, etc., vol. I, p. 133.)

Roë m'est venue voer

153.)

qu'ele s'apercoeve. (Lettr. de Rois, 1, p.

Qui gardera mon ouvrouer

Tandis que je suis a mal aise;

Mes gens ne feront que jouer. (Gde De Mac., p. 32.)

Les réformateurs de l'orthographe française au XVIe siècle, Meigret, Peletier, Ramus, Baïf, ne représentent jamais autrement que par oe le son oi.

[ocr errors]

REMARQUE I. Oi, dans les noms terminés au singulier en oi, oix, oids, etc., prend quelquefois, surtout au pluriel, un son plus ouvert qui répond à ouè ou ouai; Ex.: Lois, Suédois, rois, pron. : louès, Suédoès, roès, etc. Ex. :

«Oi a le son oai dans loi, moi, foi, etc. » (Th. de Bèze.)

REMARQUE II. Oi, suivi d'une syllabe muette, se prononce toujours oué, mais avec un accent traînant, que je ne crois pouvoir mieux reproduire qu'en le rendant par ouée; Ex.: Paroisse, angoisse, qu'il croisse, il poise; pron. : Parouéesse, angouéesse, qu'il crouéesse, il pouéeze. (Voir 4re part., ch. II. De la pron. de l'é, remarq. 3, p. 14.) E sonnant ée, il est tout naturel que le dialecte blaiscis fasse sonner oué en ouée, surtout quand la syllabe suivante est muette.

REMARQUE III. Oi dans les mots froid, droit et leurs composés, dans étroit, croix de par dieu et le verbe croire se prononce é Fred, dret, étret, crépâdieu, crére ou créere.

Cette prononciation est d'origine normande.

(1) Génin (Variat. p. 304.) attribue à tort le son oué : Jo espéroué...e pluroué (Rois, p. 161.) aux termin. de la 1re pers. sing. de l'imparf. normand en oue, oues, out.

Ne sait que cuider, ne que creire,

Mais des or volt haster son eire.

(Chron. d. d. de Norm. Cf. passim.)

Florissante en Normandie pendant le XI et le XII siècles, cette prononciation n'a laissé que peu de traces dans le dialecte de l'Ilede-France où elle fut étouffée de bonne heure par la prononciation picarde et bourguignonne en oué. Elle ne reparut en français qu'au XVIe siècle, et surtout après le traité de Crespy (1544).

[ocr errors]

Après avoir dit de credere, rege, fide, etc., crére, rẻ, fé, etc. qui sont encore conservés en certains dialectes, on remplaça e par oi ou oy, croire, roy, foy, etc. » (Henri Estienne, dans Livet.)

Pourquoi quelque dame voulant bien contrefaire la courtisanne (femme de la cour) à l'entrée de cest hyver, dira-t-elle, qu'il fait fred? » (G. des Autels, dans Livet.)

Eschappé du filet qui d'une attache estrette

Les tenoyt enserrez, chascun fait sa retraite.
(J. de Montl., p. 149.)

[ocr errors]

REMARQUE IV. Oi, au commencement des mots et dans les monosyllabes bois, trois, mois, pois, ainsi que dans quelques autres mots, comme poêle, poêlon, François, etc., qui admettent également bien le son ouai, se prononce oud; Ex.: oie, oiseau, Suédois, François, etc., pron. : oude, oudziau; mouds, bouds, pouds, trouds; Suédouais ou Suédouds; Françouées, Françouais ou Francouds.

C'est dans le Mistere du siège d'Orléans que j'ai remarqué pour la première fois des traces de la prononciation d'oi en oua; Ex. : Voicy la nuyt qui fort nous haste;

Je voy que tout se pert et gaste.

Hé Dieu et la vierge benoiste,

Voicy diverse destinée!

Faut-il donc que je gouste et taste

Telle douleur, telle journée! (vs. 8656.)

Trois detz plombez, de bonne carre,
Ou ung beau joly jeu de cartes...
Mais quoi? s'on l'oit vessir ne poirre,
En oultre aura les fièvres quartes.
(Fr. Villon, Gr. Test. XCVIII.)

Cette prononciation régna concurremment avec les deux autres oué et ouè jusqu'à la fin du règne de François Ier. Voici en quels termes Palsgrave en formule les règles :

« 1° Oi en français a deux sons bien distincts. Tantôt on le prononce comme oy en anglais dans ces mots a boye, a froyse, coye, et autres semblables; tantôt l'i de oy sonne à peu près comme a. »

« 2° Sis, t ou x suivent immédiatement oy dans un mot d'une syllabe, on prononcera l'i à peu près comme a. Ainsi pour boys, foys, soyt, croyst, voyx, croyx, on dira boas, foas, soat, croast, voax, croax; et de même dans les mots de plusieurs syllabes, si oi fait partie de la dernière, et si elle est suivie d'un s ou d'un t. Ainsi l'i de oi sonnera comme a dans ces mots: Aincoys, françoys, disoyt, lisoyt, jasoyt, pron.: ainçoas, françoas, disoat, lisoat, jasoat. Mais o et a dans ces mots sonnent comme une diphthongue, de manière que l'on n'entende pas deux scns distincts et séparés. >>

« 3° Toutes les fois qu'au milieu d'un mot, oy est suivi immédiatement d'une des consonnes r ou l, l'i sonne à peu près comme a, Ex : gloyre, croyre, memoyre, victoyre, poille, voille, poillon, pron. : gloare, croare, mémoare, victoare, poalle, voalle, poallon. » (Palsgr. p. 13 et 14.)

Cette prononciation existait encore en 1578 à la cour de Henri III, s'il faut en croire Henri Estienne dans cette invective aux courtisans:

N'estes-vous pas de bien grands fous
De dire pour trois mois troas moas;

Pour je fay, vay, je foas, je voas?

Théodore de Bèze la constate en 1584: « Une faute très grande des Parisiens, dit-il, c'est de prononcer voarre, foarre, troas et

« PrécédentContinuer »