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tant plus que l'un des deux est encore assez fréquemment usité dans le dialecte blaisois; je veux parler du son oueu et du son oë.

Nous avons vu qu'au moyen âge, comme aujourd'hui dans le langage de nos paysans, l'é fermé sonnait souvent comme e naturel. C'est de cette habitude qu'est née la transformation de oué en oueu, simplifié souvent en eu :

... Qu'aven ne vint mie d'Aucheurre ;
Or me prestés donc un voirre.

(Ad. de la Halle, Buchon, p. 86.)

Nous irons faire espreuve

De mon scavoir chez vous;
Je vous prie qu'on n'y boive
Tout le meilleur sans nous.

(Ol. Basselin, p. 170.)
Je cognois approcher ma soef;
Je crache blanc comme coton
Jacobins aussi gros qu'un oef.

(Fr. Villon, Gr. Testam. LXII, p. 94.)

Veurre ou varre, jamais voueure; épreuve, beuve ou boueuve; soueu et au sont encore aujourd'hui des rimes excellentes dans le dialecte blaisois.

Quant à la prononciation d'oi en oë avec diérèse, elle est signalée en ces termes par H. Estienne : « Il faut se garder de prononcer oy comme oï dans le grec . C'est ce que font plusieurs qui détachent l'i de l'o et disent fo-. » Palsgrave me paraît faire allusion à cette prononciation quand il dit que oy sonne souvent en français comme dans l'anglais a boye, où l'on entend distinctement aujourd'hui (j'ignore s'il en était de même autrefois) le son de l'o et de l'y. Est-ce cette prononciation qu'Erasme a en vue quand il écrit dans son Traité de rectâ Ling. Lat. pronunt. : « Oi diphthongus Gallis quibusdam est familiarissima, quum vulgari more dicunt mihi, tibi, sibi, aut quum pronuntiant fidem, legem, regem. Hic enim audis utramque vocalem o et i. » Il me semble que, s'il

n'eût voulu parler de cette prononciation en diérèse, commune à plusieurs (quibusdam), que signalait H. Estienne, il eût dit, non pas qu'on entendait les deux voyelles o et i, mais les deux voyelles o et e. D'un autre côté, il est difficile de supposer que ç'ait jamais été la prononciation vulgaire, vulgari more. Cf. L. Chiff. p. 199. 16.

Quoi qu'il en soit, je ne m'occuperai plus de ces deux prononciations de la diphthongue oi, parce qu'elles me paraissent n'avoir vécu que peu de temps, et n'avoir eu cours que dans un domaine très restreint, et en second lieu, parce que la dernière n'existe pas, et n'a jamais existé, que je sache, dans le dialecte blaisois. Il me serait impossible de citer d'autres témoignages d'oi sonnant oï que ceux que je viens de transcrire, et je n'en trouve d'exemple dans aucun poète du XVIe siècle. Peut-être pourrait-on la considérer avec quelque fondement comme un souvenir et un débris de la prononciation du XIIIe siècle, alors que la diérèse était souvent pratiquée dans les diphthongues ai et oi et qu'on disait un traïstre et une roïne.

Jusqu'en 1544, c'est le son oué qui domine dans le style écrit ; en effet, je ne trouve dans les poètes du règne de François Ier aucune trace du son oua. On s'en servait toujours dans la conversation, Palsgrave l'atteste; la littérature, depuis Villon, semble l'avoir abandonné.

Le son ouè, né dans le siècle précédent, et qui devait dans le siècle suivant triompher à son tour, fait des progrès lents, mais sûrs. Aussi tandis qu'aux XIIIe et XIVe siècles, quand les écrivains cherchent à noter le son oi par l'orthographe, ils le transcrivent oe ou plus rarement oue, on commence au XVIe siècle à le voir reproduit sous les formes ouè ou ouai, oè ou oay:

Lors s'escria: A l'aide, je me noye.
Faifeu s'en va, et laisse luy et l'oaye.
(Ch. Bourd. p. 28.)

Le son oué dans la première moitié du XVI° siècle a pour défenseurs Louis Meigret, Jacq. Pelletier, Pierre Ramus, Jean Garnier, etc. « Oy, dit Meigret, qui peut se conserver dans royal, où l'on entend distinctement l'o et l'y, doit être remplacé dans roy par oé, qui représente exactement le son. De même devra-t-on écrire aymoet et non aymoit ou aymoient. Toutefois, quand nous disons: Pierre aymoet ceux qui l'aymoet, il n'y a différence entre ces deux verbes, sinon que le premier a l'é ouvert femenin et le dernier l'é masculin qui demande une prononciation lente, estant de l'autre fort soudaine. » — << Plût à Dieu, s'écrie à son tour Jean Garnier, qu'on écrivit comme on prononce foé, loé, francoés, etc. » Ouvrez Peletier et Ramus qui tous deux ont essayé de conformer l'orthographe à la prononciation, vous ne verrez pas oi signalé autrement que par oé: Moé, loé, Françoés, connoétra, quoé que soet, et Baïf, disciple de Ramus, dans un temps où le son oué aura déjà perdu beaucoup de terrain, suivra cependant les errements de son maître. Lisez plutôt ses Etrenes de poésie francoeze. (1574.)

Aussi ne faut-il pas s'étonner de voir Pasquier, l'un des champions de la diphthongue oi-ouè, écrire à Ramus sur un ton de reproche: « Au lieu d'icelle (de la diphthongue oi prononcée oè) vous avez introduit un oé, et au lieu de ce que nous disons moy, roy, loy (lisez mouè, rouè, louè) vous dites moé, roé, loé, foé, etc. Scauriez-vous représenter le vray son et énergie de notre prononciation, quand vous écrivez en ceste façon loéal, roéal, quoée, j'oće, je voće? » Pasquier néanmoins finit par suivre le torrent, et j'ai peine à croire qu'il prononçât lui-même bèle, estouèle, vouèle, èlle, dans ces vers dont il est l'auteur :

L'autre luit plus entre les belles

Que la lune entre les étoiles.

(Est. Pasquier, les jeux poétiq. Liberté.)

Toy... (il s'agit d'une puce.)

Qui t'enyvrant sous son voile

Du sang, ains du nectar d'elle. (1)

En 1584, Théodore de Bèze écrit: «Non suivie de n, oi prend une prononciation voisine de oai, ou de ai et e ouvert. >>

La seule conclusion que je veuille tirer de ces citations que je pourrais multiplier, c'est que les sons oué et ouè ont régné de concert au XVIe siècle, et dans une mesure à peu près égale; ce n'est qu'aux approches du XVIIe siècle que celui-ci a détrôné celui-là.

Dès 1534, et peut-être avant, un autre son de la diphthongue oi avait commencé à se répandre (3). Une triple influence contribua à le propager; l'influence Normande, qui n'avait jamais cessé d'agir sur le dialecte de l'Ile-de-France; l'influence des femmes, qui «< avoient peur, dit H. Estienne, d'ouvrir trop la bouche en disant François, Anglois; » et enfin, d'après Théod. de Bèze, l'influence « des imitateurs de l'italien. » Je veux parler du son ai-ei ou è. C'est Jacques Dubois qui, à ma connaissance, le signale

(1) Comparer ces rimes avec celles des vers suivants, qui datent de 1870:

Nous sommes les fils des héros,

Nous avons la fibre et la moelle;
Soldats, officiers, généraux,

Nous naissons avec une étoile.

(Nadaud, la Française, chant patriotique, dans le Figaro du 27 juillet 1870.)

Que vos rhythmes puissants remettent dans nos os

De l'énergie et de la moelle!

Que vos éclairs vengeurs, embrasant nos drapeaux,

Rallument au ciel notre étoile!

(Alex. Flan à Victor Hugo, dans la chanson illustrée, 2me année, no 78.)

Faut-il lire moalle ou étouelle? Wailly tient pour moale, Napoléon-Landais pour moèle. Cf. dans le Bien Public du 16 Octobre 1871, le Petit Alsacien, par Em. Bergerat, XXXme strophe, dévoile, moelle.

(2) C'est entre 1500 et 1525 que l'alphabet qui se lisait autrefois à la Bourguignonne : Boi, coi, doi, etc., commença à se prononcer à la Normande: Bé, cé, dé, etc. Cf. La Monn. Gloss. à Bé, et Lincy, Phes fr. p. 5.

le premier: « Les Normands, dit-il, prononcent tous ces mots en e et non en oi tele, estelle, sée, ser, tect, vele, ré, lé, amée, pour toile, estoile, soie, soir, toict, voile, j'amoie, etc. Aujourd'hui même cette prononciation semble avoir envahi Paris; on dit bien encore estoille, mais si on entendoit estoillé, et non estellé, endoibté et non endebté, on mourrait de rire et l'on crieroit au barbare. » Et plus loin à propos des mots voie et voirre (verre): « Mieux vaudrait-il pour tous ces mots dire avec les Normands vée, vésin (voisin), verre, fé. Cet é, employé d'abord, les François l'ont changé en oi. Dans la banlieue de Paris on entend à chaque instant dire : Par ma fé vere. L'affinité des deux sons e et oi a causé la confusion. » On ne s'étonnera pas, après ce qui précède, de voir Dubois admettre dans la conjugaison des verbes la forme Normande et dire : J'aimée, tu aimées, il aiméet, etc., j'havée aimé, j'aimerée, etc. et traiter la conjugaison en oie, ois, oit de forme vulgaire.

Ce fut surtout après le traité de Crespy que le son e, déjà usité et répandu, comme nous venons de le voir, à la ville, prit de l'extension à la cour. Il avait commencé à s'implanter dans quelques substantifs et adjectifs; il s'insinua ensuite dans les verbes, non pas dans tous à la fois, mais d'abord dans ceux en ier, ou la voyelle i qui précède la terminaison exigeait un plus grand effort de bouche pour la prononciation des imparfaits. » Nous prononçons, dit Peletier (4555), priet, criet, estudiet, et toutes tierces personnes de l'imparfait indicatif, venant des infinitifs en ier, et toutefois nous escrivons prioit, estudioit. Et mesme aujourd'hui s'en trouvent qui s'estiment grands courtisans et bien parlans, qui vous diront: J'allès, je fesès, il iret, il diret. Toutefois, si c'est bien dit, qu'ils y pensent. Je ne suis ici ni pour, ni contre eux; mais tant y a que je sais bien qu'il n'y a celui d'eux qui n'écrive: J'allois, je fesois, etc. » Moins de 20 ans après voici ce qu'écrivait Henri Estienne : « Comme le son oi est une sorte de son moyen entre oi et oe, quelques-uns l'écrivent oe moes, poevre. foet,

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