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paraître, craire, je crais, paraissons, craissant, etc. Faites sonner oi comme o-e dans le croissant de la lune.

2o Dans les mots foible, roide et leurs dérivés, harnois, monnoie. Oi se prononce o-e dans monnoyė.

Les personnes de être, sois, soit, soyons, soyez, soient, croire, je crois, il croit, nous croirions, etc., froid et ses composés; l'adjectif droit; l'adverbe tout droit; endroit; étroit, netoyer et peut-être quelques autres sont prononcés par les uns avec le son de l'è grave, par les autres o-ė. La prononciation de ces mots est complètement arbitraire dans la conversation, mais en déclamant des vers, au théâtre, au barreau, on les prononce toujours avec le double son de o-ẻ (1). Soit, conjonction, soit que, ainsi soit-il sonnent toujours soè, même dans la bouche de ceux qui prononcent en ai la même personne du verbe être. »

Porny dans sa Practical French grammar publiée en 1783 confirme la même prononciation.

On a peut-être été frappé dans la citation que j'ai faite de M. Louis Chambaud de cette expression : « le double son d'o-è, » en même temps que de la notation de la diphthongue au moyen de ces deux voyelles séparées par un trait. C'est qu'il y avait au XVIIIe siècle trois façons différentes de faire sonner cette diphthongue oi. « L'on demande, dit l'auteur de la Bibliothèque des Enfans, si les diphthongues oi, oin dans les mots gloire, joindre, etc. se prononcent en ouè ou en oè, si l'on dit glou-aire, jou-aindre, etc. ou glo-ère, jo-endre, etc. C'est peut-être une prononciation moyenne entre l'oè et l'oué. » La véritable prononciation était alors, comme le dit M. Wailly, de prononcer en une seule émission de voix.

« Il y en a, ajoute l'auteur de la Bibliothèque des Enfans qui prononcent les diphthongues oi et oin comme s'il y avait un a, et disent glo-are, glou-are; jo-andre, jou-andre, mais l'usage condane cette excessive ouverture de bouche qui confond le son de l'e ouvert avec le son de l'a et ne la tolère peut-être qu'à l'égard des monosyllabes en oi les plus comuns come bois, pois, vois, etc.

(1) Oi sonnait à cette époque toujours o-è dans droit, substantif, effroi, noyer.

où le peuple de Paris fait sonner la voyelle a, en disant boa, poa, etc. ou boua, poua, etc. prononciation, que bien des gens condanent. » (1)

Cette prononciation, condamnée alors par bien des gens, fait insensiblement des progrès, et s'impose à l'attention des grammairiens. « Oe, dit Fauleau (p. 248), change en oud dans quelques mots; poële se prononce pouale. » Qu'on n'oublie pas que cette prononciation est la même que nous avons rencontrée au XVe siècle dans le Mistère du Siège d'Orléans, et dont Palsgrave nous a tracé les règles en choisissant précisément pour exemple ces mots poale, poalon, que nous retrouvons deux siècles et demi plus tard sous la plume du grammairien français. « Oi, ajoute Fauleau, change aussi le premier son toujours en oi et le second quelquefois en a sourd, comme dans les mots bois, pois qui se prononcent bouas, pouas, etc. » Ainsi, bien que ni Vaugelas, ni Patru, ni aucun grammairien du siècle de Louis XIV ne fasse mention du son oua, nous le voyons, dès le premier tiers du XVIIIe siècle, reparaître sur la scène, où il est destiné à se maintenir et à triompher (").

Les Incroyables du Directoire (car toutes les folies et toutes les modes laissent leurs traces dans le langage) contribuèrent puissamment à la diffusion du son oua. Ils adoptèrent cette prononciation populaire; ils cherchèrent à se créer un langage à part, comme nos parleurs de langue verte, ou de javanais d'aujourd'hui. Où ne pousse pas la démangeaison de se faire remarquer? Ils disaient non seulement bouas, pouas, mais foua, loua, un houa, un houatelet pour un roi, un roitelet. Cette affectation, du moins en ce qui concerne le son oa, ne nous paraît plus ridicule, parce qu'elle est devenue notre prononciation d'aujourd'hui.

(1) Entr'autres le père Buffier, voir sa Gram. fr. 1729, Tom. 1, p. 346.

(2) Je trouve néanmoins une preuve directe de cette prononciation au XVIIe siècle dans la comédie de Cyrano de Bergerac, le Pédant joué :

« J'en avouas queuque fouleur... n'y revenez pas eune autre foüas. » (Acte V, sc. 10.)

« Je m'emporteroüas a jeter son chapiau par les frenestres. » (Id. Acte I, sc. 4.)

Girault-Duvivier (1811) la signale comme à regret : « La diphthongue oi, dit-il, a plusieurs sons qu'il est difficile de représenter par écrit. Ce sont à peu près : 1° Celui de l'ouè ou l'è a un son ouvert a (') (remarquez bien ce son ouvert a): loi, foi; 2° Celui de l'oua mois, pois. L'ou dans ces deux cas est prononcé très rapidement; 3° enfin, celui de l'oua prononcé moins rapidement et plus fort bois. : On prononce louè, fouè, moua, poua, boua. » Mais si l'on prononce ouè, pourquoi nous dire plus haut que cet è

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a un son ouvert a?

Je m'imagine que ce n'est point seulement, comme il le dit, la difficulté de représenter ces sons par écrit, mais aussi son attachement au vieil usage, qui le fait s'exprimer ainsi. Il faut bien l'avouer, Girault-Duvivier regimbait contre toute innovation en matière de prononciation comme d'orthographe. Il les signale en sa qualité de grammairien, mais il semble ne le faire qu'à contrecœur. Ainsi dès 1754 plusieurs auteurs changeaient en ai la diphthongue oi dans les mots où elle a le son de l'è. Domergue, Beauzée, Dumarsais, l'Encyclopédie, l'abbé Girard s'élevèrent contre ce changement. Ils eurent beau déclarer qu'ils regardaient cette tentative comme une témérité; l'Académie elle-même après une enquête eut beau la répudier; appuyée par Voltaire, la nouvelle orthographe triompha. Fidèle à l'oi et à l'Académie, Girault-Duvivier ne se rend pas. La vieille orthographe en oi n'est plus de mise; il y a 20 ans qu'elle n'est plus l'orthographe du Moniteur; n'importe. « On n'est pas tenu, dit-il dédaigneusement, de se ranger à l'avis de quelques littérateurs, qui ne se sont sûrement empressés de s'emparer de cette nouvelle orthographe, que parce qu'ils l'ont crue de Voltaire, imitant en cela les courtisans d'Alexandre, qui se croyaient des héros, lorsqu'à l'exemple de leur maître, ils penchaient la tête d'un côté. »

(1) Dans l'édition de 1819, l'auteur est plus clair: « L'è a un son ouvert qui approche de celui de l'a.» (Gramm. des Gramm. Paris, 1819, tom. I, p. 24.)

Il est certain que cette orthographe n'eut pas triomphé si rapidement, peut-être pas triomphé du tout, sans une circonstance fortuite. Le 31 octobre 1790, un prote de l'imprimerie du Moniteur, soit fantaisie, soit système, imagina d'introduire l'orthographe préconisée par Voltaire dans le journal du Gouvernement. Le Moniteur du 31 octobre ne renfermait que des imparfaits en oit; celui du 1er novembre ne renferma que des imparfaits en ait. Le tour était joué. O puissance de la philosophie et de la centralisation! La diphthongue ai avait désormais pour elle Voltaire et le Moniteur, les philosophes et les fonctionnaires. Les adversaires étaient, non plus des rivaux, mais des ennemis et des rebelles.

L'Académie fut du nombre; elle ne se rallia qu'en 1835 au drapeau du Moniteur et de Voltaire. Les protestations de Charles Nodier furent impuissantes, mais quand on a pour soi d'Olivet, Girard, Dumarsais, Domergue, Beauzée, Wailly, d'Alembert, Girault-Duvivier, toute une escouade de grammairiens, on ne mérite pas ce reproche d'ignorance, que l'auteur du Traité de Versification française lui adresse peut-être trop sévèrement.

SUITE DU CHAPITRE IX.

De la diphthongue OY dans les verbes
en OYER.

Primitivement, tous les verbes normands en eyer, éicr, ayer avaient leurs correspondants en oyer dans le dialecte bourguignon, હૈ peu d'exceptions près :

Et ne se cessent d'esmayer,
Que liens ne les faille nayer.
(R. de la Rose, vs. 6291.)

Pour riens qui doinst jà point n'en aye;
Mieulx s'arde, ou se pende, ou se naye.
(Id. vs. 13809.)

Esmayer, nayer, c'est du normand.

Ains s'enfuient et les renoyent,

Si tost come povres les voyent.
(Id. vs. 5129.)

Renoyent pour renient, voyent, c'est du bourguignon.

On voit que ces verbes en oyer et ayer étaient employés les uns et les autres dans le dialecte qu'on est convenu d'appeler le dialecte de l'Ile-de-France, mais qui en réalité était moins un dialecte particulier et original qu'un choix fait parmi les dialectes voisins, un composé de normand, de picart et de bourguignon.

Une troisième forme existait, la forme en ier. Je ne l'ai pas rencontrée pour tous les verbes en oyer dans les auteurs du moyenâge, mais je l'ai rencontrée pour un certain nombre. Ainsi l'on n'a jamais dit pier, comme on a dit poyer et payer, ni esmier, comme esmoyer, et surtout esmayer, de même qu'on ne trouve pas leier (') ou layer pour lier, quoiqu'on trouve loyer. Mais on a dit:

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Ces formes s'appliquaient également aux substantifs dérivés de ces verbes. Ainsi de même que l'on a dit proière, préière et prière, trois formes dont nous avons préféré la dernière, ainsi l'on a dit

(1) Léier se dit encore dans le Maine et doit se rencontrer dans les ouvrages écrits en dial. normand.

(2) Un auteur du XVIIe siècle, le Sr de la Guilletière, dans un ouvrage intitulé Athènes ancienne et moderne, etc. Paris, 1675, emploie constamment louvier pour louvoyer.

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