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son (Pons ad Montionem). Celle-ci s'est conservée. dans il couste (auj. coûte); celle-là, dans le terme de pratique, il conste, tous deux issus du même mot latin. Enfin Constantia est devenu dans la bouche du peuple la ville de Coutances; comme nom de baptême, c'est Constance qui s'est conservé.

Quant à trop, notre, côté, clos, etc., j'ai cité de nombreux exemples de la prononciation d'o en ou dans ces mots jusque dans le milieu et même dans la seconde moitié du XVIe siècle, et il n'est pas inutile de rappeler que quelques-uns d'entre eux, comme chouse, Pentecouste, arrouse, persistèrent jusqu'à la fin de la première moitié du XVIIe siècle. C'est une prononciation, qui, après avoir longtemps fleuri, commença à décliner, lorsque cette pléiade de grammairiens, dont les plus illustres furent les Estienne, organisa la police de la langue, et essaya d'introduire un peu d'ordre et d'unité dans le désordre et la diversité des prononciations provinciales. Mais, ce qu'il ne faut pas oublier, c'est une prononciation qui eût ses règles; je les ai formulées ailleurs, et il serait superflu d'y revenir ici.

Les Gascons, les Provençaux, les Dauphinois préféraient généralement le son o, les Picards le son eu, les Normands et les Bourguignons le son ou. J'ai essayé bien souvent dans le cours de mes études sur l'ancienne langue française de pénétrer les causes qui ont fait que l'o latin s'est transformé dans notre idiome tantôt en o, tantôt en eu, tantôt en ou. Le peuple, la cour, les savants, trois éléments divers et souvent en lutte, ont concouru au choix des sons. Chez le peuple, c'est une affaire d'instinct et de tradition ; c'est aussi, je crois, une question de physiologie des organes vocaux, pour laquelle je me déclare incompétent. Le courtisan n'obéit guère qu'au caprice et la mode; chez le grammairien et le savant, chez la plupart d'entr'eux du moins (je ne parle que du XVI et aussi du XVIIe siècle), je ne vois guère que bizarrerie, inconséquence et pédantisme. Pour chacun d'eux, il n'y a qu'une prononciation de bonne, celle qu'ils ont rapportée de leur province.

Le Gascon trove et dévore; le Picard treuve et déveure ; le Bourguignon trouve et dévoure; et tous ces mots luttent entr'eux dans la bouche des habitants de l'Ile-de-France, jusqu'à ce que, s'imposant par l'ascendant de leur génie, les grands écrivains rejettent les uns de ces mots, adoptent les autres et à peu d'exceptions près fixent et arrêtent l'orthographe française.

Au XVIIIe siècle le son de la voyelle o et de la diphthongue ou, comme leur domaine réciproque est généralement fixé dans le langage des gens lettrés. Cependant il reste encore même à Paris, comme aujourd'hui dans les campagnes du Blaisois, des traces et des souvenirs de la prononciation vaincue : « On entend, dit l'auteur de la Bibliothèque des enfans (1733), des prédicateurs et des hommes d'esprit qui prononcent des houmes, la ville de Roume. Bien des gens du Daufiné disent mon cosin, ma cosine; on trouve même des Parisiens, qui disent encore norir pour nourrir. » Cf. Tall. des Réaux, III, 8.

III, p.

Nos paysans parlent aujourd'hui comme les Parisiens, les prédicateurs et les hommes d'esprit de 1733.

REMARQUE.

Nous avons vu que dans le dialecte blaisois, comme dans l'ancienne langue française et même en quelques mots dans la moderne, oi se prononce en o; Ex.: empoigner, pron. empogner.

Cet o dans le langage de nos paysans tantôt se conserve, et tantôt se transforme en ou; d'où les formes suivantes :

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qui toutes, ou ont été usitées pendant le moyen âge et la renaissance, ou le sont encore aujourd'hui dans les dialectes du bassin

supérieur de la Loire. Ainsi dans le Maine on dit un coissin, (pron. couessin) pour un coussin; dans le Blaisois, pognée ou pougnée; pouériau ou mieux pourriau; l'Académie exclut pourreau, pourriau, mais elle admet poireau et porreau. Nos paysans ont conservé encore et encoure ou avec l'aphérèse 'côre et 'coure, au détriment de encoire, usité au XVe siècle :

La Denrée qui vault mieux encoire...

Dieu vous rende votre mémoire. (Neu Path.)

Et quant à coche, qui sonne coche et couche dans notre dialecte, on ne doutera pas d'après les exemples suivants qu'il se soit prononcé coische et couche:

Il a tantost prins une flesche;

En la corde la mist en coiche.

(R. de la Rose, Tom. I, p. 58.)

Car tout soudain par bien frapper en coche,
Dedens un an il eut sa femme en couche.

(Ch. Bourd. p. 109.)

TROISIÈME PARTIE.

DE LA TRIPHTHONGUE EAU ET DE LA PERMUTATION DES

SONS A ET E.

CHAPITRE I.

De la prononciation de la triphthongue EAU.

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REMARQUE PRÉLIMINAIRE. Les grammairiens ne sont point d'accord sur le nombre de nos diphthongues. Les uns, s'appuyant sur l'étymologie et la définition même du mot, ne comptent point parmi les diphthongues les sons simples, comme au, eu, ou. D'autres, pour mieux accentuer une diversité qui frappe tous les esprits attentifs, les ont distinguées en diphthongues auriculaires et diphthongues oculaires. Ces dernières ont reçu de quelques-uns le nom de voyelles composées, ou même de fausses diphthongues. L'on a été jusqu'à créer le nom de bivocale pour distinguer le son simple, résultant de l'union de deux voyelles, du son composé. Enfin, il en est qui, prenant avant tout en considération le nombre des lettres qui se prononcent en une seule émission de voix, ont appelé diphthongue la réunion de deux voyelles, et triphthongue la réunion de trois. C'est à cette dernière opinion,

que pour des raisons qu'il serait, je ne dirai pas inutile, mais en dehors de mon sujet de développer ici, je me suis définitivement rangé.

RÈGLE. La triphthongue française eau se prononce toujours

--

iau dans le dialecte blaisois.

Cette prononciation date des origines de la langue :

J'ay mantiaux fourrez de gris

J'ay chapiaux, j'ai biaus proffis.

(Eust. Deschamps, p. 87.)

Et maint biau drap d'or et de soie. (Ad. de la Halle.)

De tous boins morsiaux sent-il le fusike. (Id. ap. Buchon.) Je scay bien que ferez au roy plaisir biaucop plus grant que je ne vous en escrips. (Ph. de Com. Lett. à Laur. de Médicis.)

Lorsqu'au XVIe siècle, et même dès la fin du XV, cette prononciation disparut du style littéraire, elle persista dans la bouche du peuple, comme en fait foi Théod. de Bèze : « Evitez la faute grossière des Parisiens, l'iau pour l'eau. »>

Si l'on ignorait les différents signes à l'aide desquels on la représentait, on pourrait croire qu'elle était beaucoup moins commune qu'elle ne le fût en réalité au moyen âge. De même en effet qu'on représentait souvent le son ou et le son eu par l'orthographe correspondante :

Et Jalousie et malle bouche

Qui n'ayme que mauvais reprouche,

(R. de la Rose, vs. 4194. Cf. 9251, 7761, 8403, 9838, 8979, 8997, etc.)

Et tu fusses mais a toudis

Si bon menestreus com tes pere?

(Ad. de la Halle, Buchon, p. 66.)

De même aussi faisait-on la triphthongue iau :

Pour li elle offri

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