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douterais encore, connaissant la patrie de l'auteur, où règne encore de nos jours l'a bourguignon, et les habitudes du dialecte français où cet ouvrage est écrit. Ainsi la remarque de M. Quicherat n'infirme en rien la règle que j'ai déjà formulée, et que je soumets en toute humilité à ceux qui sont plus que moi versés dans l'étude du vieux français, à savoir que « tout a placé devant deux consonnes dont la première est un r sonne a et jamais e; tout e, placé devant deux consonnes dont la première est un r, sonne a et jamais e dans le Bourguignon et dans le Français. >>

Comment se fait-il que e sonnat a dans ce dernier cas? Je crois pouvoir l'attribuer à ce que ar, al, an ayant long-temps sonné au avec un son nasal plus ou moins prononcé dans les dialectes du moyen âge, comme je crois l'avoir démontré plus haut, le Bourguignon et le Français et peut-être d'autres dialectes, notamment quelques variétés du Picard, voisines du Bourguignon, sentirent le besoin d'attacher à un groupe quelconque de lettres le son ar et choisirent de préférence dans ce but le signe er, toutes les fois que I'r était suivi d'une autre consonne, tout en lui conservant néanmoins le son é ou eu à la fin des mots.

Ainsi il est évident que dans ces vers, tirés du Mistère du Siège d'Orléans (vs. 12471.)

Y nous fault tendre ce chemin;

C'est fortiffier ceste place,

Avoir artillerie tout plain

Pour gecter contre cette garce.

Qu'en un feu puisse-t-elle être arse!

Si luy feray, si je la tiens.

N'y trouverra nul controverse.

il faut lire controvarse, er se trouvant au milieu du mot; et que dans ceux-ci du même auteur:

Nous ne pourrions résister,

Qu'i leur vient gens de tous coustez.

(vs. 5771.)

A-ele mené tel mestier?

En tot le monde n'a pas son per.

(vs. 28365.)

il faut lire resisté, metié, ou même resisteu, métieu, er se trouvant à la fin d'un mot.

Je vais plus loin, et je prétends que la règle par moi formulée était tellement connue et pratiquée, surtout dans le dialecte de l'Ilede-France, que dans le cas particulier qui nous occupe, on écrivait parfois par un e des mots ou l'usage commun exigeait un a; Ex.:

Que soit tost ceste murdriere arse,

Et en pouldre sa char esperse.

(Mistère de la Femme arse, Buchon, p. 354.) Messeigneurs, voici grant merveille

De ceste truande paillarde.

Qui la meut ne qui la conseille

De nous mander telle baverde?

Mes n'est-elle pas bien couarde?

Et si fait, quant je la regarde.

(M. du Sièg. d'Orl. vs. 11343.)

L'auteur, en écrivant ainsi, savait très bien que le lecteur ne s'y tromperait pas, et qu'à ses yeux arde et erde, arse et ersc auraient le même son.

Cette prononciation régna pendant le XVe siècle tout entier : <«< Pourquoi le vin n'est-il pas bon cette année, » demandait Louis XI; «< Sire, lui répondit un compère spirituel, c'est que les sarmens n'ont pas tenu. » On écrivait serment (sacramentum) et sarment de vigne (sarmentum), mais dans les deux cas on prononçait sarment ('). Aujourd'hui dans le dialecte blaisois, c'est ser

(1) Serment est un mot dont nous possédons la forme au IXe siècle : Sagrament (serment des soldats de Charles-le-Chauve), puis sagrement, sairement, sarement, serement, serment. Je trouve sarment (sarmentum) écrit sermeni dans ces vers du XVIe siècle :

St-Paul, échappé du naufrage,

ment (sacramentum) qui se prononce sarment, et sarment (sacramentum) qui se prononce serment.

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Comment prononcerez-vous les quatre vers, en erge ou en arge? N'hésitez pas, rappelez-vous la règle et lisez hardiment :

Ains que dure varge

De mort nous hébarge, etc.

et si malgré tout vous avez encore quelque doute dans l'esprit sur la rectitude de cette prononciation, achevons ensemble la strophe, et vos doutes se dissiperont:

Affin que de charge

Elle nous descharge

Sans plus de rencharge,

Et soit la concierge

Du Filz et du Père.

C'est surtout dans Villon, enfant de Paris, que cette prononciation règne en souveraine, et pour en citer des exemples, je n'ai que l'embarras du choix :

Item à Thibault de la Garde,

Thibault? je mens, il a nom Jehan,

Que lui donray-je, que ne perde?

Assez ay perdu tout cest an.

(Grand Test', CXXVII.)

Dedans une isle s'arrêta

Print des sermens pour le chauffage.

(Quadr. historiq., actes, XVIII.)

Item, je donne à mon barbier

Qui se nomme Colin Galerne (1),
Près voysin d'Angelot l'Herbier
Un gros glasson... Prins où? en Marne,
Affin qu'a son aise s`yverne,

De l'estomac le tienne près,
Si l'yver ainsi se gouverne,
Trop n'aura chault l'esté d'après.

(Gr. Testam. CXLIV.)

Cette ballade lui envoie

Qui se finist toute par R (2).
Qui la portera, que j'y voie?

Ce sera Pernet de la Barre.
(Gr. Testam. LXXXIII.)
Item et au mont de Montmartre,
Qui est un lieu moult ancien,

Je lui donne et adjoincts le tertre
Qu'on dit de Mont Valérien.

(Gr. Testam. CXXXVII.)

Ne craignez pas de lire parde, galarne, hyvarne, arre, etc. comme prononcent encore aujourd'hui nos paysans blaisois. Sinon je vous renvoie à la lettre de François 1er à Mr de Montmorency : « Le cerf nous a menés jusqu'au tartre de Dumigny. » (Gén. Variat. p. 291.)

Je pourrais citer de nombreux exemples puisés dans les écrivains du XVI siècle, mais est-ce bien utile, et n'ai-je pas surabondamment démontré ce que je m'étais proposé de prouver, à savoir que dans le dialecte bourguignon, généralement imité en cela par le dialecte de l'Ile-de-France, tout e, suivi de deux consonnes dont la première est un r, se prononce a?

Je ne puis me dispenser cependant de reproduire un passage

(1)« Virez la piaute en galarne. » (Cri des mariniers de la Loire.)

(2) En anglais, R sc prononce encore aujourd'hui ar, comme en ces vers de Villon.

d'Henri Estienne qui jettera, je l'espère, plus de jour sur cette question « L'e masculin a un autre son encore qui tient à la fois. de l'e et surtout de l'a; on le trouve surtout avant m, comme femme, temps ou tems, et avant n, comme dent, prudent, prudence, etc. Le vulgaire prononce tams, prudant, santance, et s'excuse sur les poètes, qui font rimer constans et temps. C'est une faute; il faut donner à chaque lettre le son qui lui est propre; on évite ainsi les équivoques d'embler (enlever) et d'ambler (aller l'amble). Nous nous faisons parfois un jeu de ces ambiguités; ainsi : << Pourquoi dit-on la vérité dans le vin ? Parce qu'il est de serment. » Ici l'e de serment se prononce un peu comme l'a de façon qu'on puisse hésiter entre serment (jusjurandum) et serment (sarmentum). »

Ainsi dans la seconde moitié du XVIe siècle, a et e placés devant m ou n et aussi r, comme on peut le voir d'après l'anecdote finale, renouvelée de Louis XI, avaient, du moins aux yeux des grammairiens et des puristes en fait de prononciation, un son différent. Lequel, sinon que a avait ce son indécis entre a et o, dont j'ai parlé au chapitre de l'a, et qui est souvent noté au, comme j'en ai cité des exemples, par les écrivains du moyen âge, et par Palsgrave, et que e, devant les mêmes lettres, sonnait comme notre a d'aujourd'hui ?

Quoiqu'il en soit, dès le commencement du XVIe siècle, une réaction se produisit contre l'influence bourguignonne de l'a, non seulement dans les mots ou l'e était suivi de deux consonnes dont la première était un r, mais encore dans une foule d'autres, même dans ceux où la lettre a existait dans l'orthographe dès l'origine de la langue. J'en trouve la preuve dans plusieurs auteurs, entr'autres dans Geoffroi Tory, dans Palsgrave, dans H. Estienne. N'avonsnous pas vu, p. 74, que les dames de Paris, d'après le témoignage de G. Tory, disaient mon méry, Péris, péier?

Cette réaction durait encore en 1578: « Les courtisans, dit H. Estienne, contrefaiseurs de petite bouche, et les femmes qui croi

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