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raient déroger à leur noblesse en prononçant l'a le remplacent par e, et disent catherre et cataplesme pour catharre et cataplasme. »

Faut-il attribuer ce retour du son e à l'influence des courtisans et des femmes, ou bien à cette loi qui veut que la juste mesure dans le langage comme dans le reste résulte de l'équilibre et de la neutralisation l'un par l'autre des excès contraires? Les femmes et les courtisans ne furent, à mes yeux, que des exécuteurs inconscients de cette loi; mais la loi n'en existe pas moins, et il est à remarquer que les langues de l'antiquité et des temps modernes les plus belles et les plus répandues ont toutes dû leur perfection à la lutte plus ou moins longue, et à la fusion définitive de leurs différents dialectes en un seul et même idiôme ('). Du reste, mon but dans ce travail n'est point de remonter jusqu'aux causes; je me borne à constater des faits. Or, ce qui me paraît démontré et évident, c'est que dès le commencement du règne de François Ier et même auparavant, il se produit dans la prononciation de l'e, surtout dans les mots où cette voyelle est suivie de deux consonnes dont la première est un r, une confusion, résultat naturel de la lutte entre les deux sons, confusion qui nous embarrasse d'autant plus pour déterminer alors la véritable prononciation de l'e, qu'elle embarrassait déjà les contemporains.

Une preuve, à mon avis, entre celles que j'ai déjà émises, que la règle de l'e suivi de deux consonnes dont la première est un ra perdu de son empire, c'est que Palsgrave ne la signale pas; et, en l'absence de règles le langage étant livré à l'arbitraire, on trouve à cette époque de transition presque toujours deux formes pour des mots où autrefois dans le dialecte Bourguignon ou dans celui de l'Ile-de-France l'a seul régnait. Ainsi on dit marque et merque et même merche; chescun et chascun, etc. Ex.:

I marvayle, je me merveille.

(Palsgr. p. 633.)

(1) Cf. Xenoph. de rep. Atheniens. 2. 8.

I marvayle, je me marvaille.

(Id. p. 83.)

Toutes mes choses sont merquées or merchées de ceste merque or merche. (ld. p. 633.)

Marke or bounde, marque, borne.

(Id. p. 243.)

Marke or token, marque, signe, ensigne.

(Id. id.)

Die ung chescun ce que dire vouldra. (Epitaphe de Gill. du Guez, 1535.) The masculine singular chascun, plurel chascuns. (Palsgr. p. 82.) L'aguzzar des Italiens est forgé sur notre aguzer ou aiguizer. (H. Est. Précell. p. 311. Cf. p. 199, arain, airain.) (')

Cette diversité de prononciation est attestée par Pasquier. Qu'on lise la lettre qu'il adresse à Ramus à ce sujet, et l'on concevra facilement la confusion qui régnait alors, en voyant des hommes tels que Ramus, Pelletier, Meigret, Pasquier différer d'avis sur la prononciation. Néanmoins l'e gagnait tous les jours du terrain, non sans lutte. Des grammairiens avaient paru, les deux Estienne, Cl. de S' Lien, Théod. de Bèze, qui essayaient de mettre de l'ordre dans le chaos. Fidèle à l'étymologie grecque, H. Estienne combattait pour l'a en défendant catharre et cataplasme; ennemi de la prononciation bourguignonne, partout ailleurs il rompait des lances en faveur de la prédominance de l'e: « Quelles pensions-nous, ditil, qu'estoient les oreilles d'alors (du XVe siècle), qui portoient patiemment mon frère Piarre, mon frère Robart, la place Maubart? Et toustefois, notre Villon, un des plus éloquens du temps, parle ainsi. » Et comme l'a cherchait à reprendre pied à la cour, en s'y introduisant à la faveur de la diphthongue oi, il gourmande les courtisans et s'écrie avec indignation:

N'estes-vous pas de bien grands fous...

De dire pour trois mois troas moas,

(1) Voir aussi Ch. Bourd. p. 74, escarlette-costelette, et deux vers après: escarlatte-latte.

Pour je fais, vais, je foas, je voas?
A la fin vous direz la guarre,

Place Maubart, maître Piarre.

Ronsard, comme la plupart des poètes de la seconde partie du XVI siècle, donna des gages aux deux prononciations. Ainsi, je lis les vers suivants à la Bourguignonne; ce sont les deux premiers quatrains d'un sonnet:

Cette fleur de vertu, pour qui cent mille larmes
Je verse nuict et jour sans m'en pouvoir souler,
Peut bien sa destinée à ce Grec esgaler

A ce fils de Thetis, à l'autre fleur des armes.

Le ciel malin borna ses jours de peu de termes
Il eut la courte vie ailée à s'en aller,

Mais son nom qui a faict tant de bouches parler
Lui sert contre la mort de pilliers et de termes.
(Sonnet à Hélène, LXX.)

Au contraire je lirai avec M. Quicherat les deux vers suivants à la Normande :

Comme Amphion tira les gros quartiers de pierre

Pour emmurer sa ville au son de sa guiterre.

(Rons. cité dans Tr. de Versif. fr. p. 362.)

Quant à ceux-ci, comment les lirez-vous?

L'humide nuict, qui de son voile enferme
L'œil et le soin des hommes qu'elle cherme.
(Franciade, ch. III. 1.)

Ronsard les lisait-il lui-même selon la vieille et forte prononciation de Villon, ou bien, en écrivant cherme, a-t-il fait une concession aux oreilles délicates des dames qui se déclaraient pour catherre, et cataplesme? Jusqu'à preuve contraire, me fondant sur les termes du sonnet que je viens de citer, et sur ces vers de Villon dont la prononciation en a nous est affirmée par Marot:

Item donne aux amans enfermes (1)

A leurs chevetz, de pleurs et lermes

Trestout fin plain ung benoistier. (Gr. Test. CLV.)

je lirai enfarme et charme. Ronsard n'a-t-il pas écrit ailleurs : « Vieux charmeur Amour est un charmeur? » (2 livr. des

Amours, XX.)

Quoi qu'il en soit, c'est de cette période de transition que nos paysans ont conservé un certain nombre d'expressions où ils substituent l'e à l'a, Ex.: Almenach, (2) bremer, chercutier ou mieux chaircutier (plus communément chertutier), catherre, errhes, élourdir, fener, glener ou gléner, genderme, jerdin, phermacien, sercler, serdine, et leurs composés feneur, glene, élourdissement, jerdinier (3), etc. Attécher, cherger, merquer, tisène, ténière, tèche, usités dans le Maine et l'Anjou, n'ont que peu de cours dans le Blaisois.

... Non pas si dur que plomb ou terre,

(Aussi n'en eut si dangereux caterre. (Ch. Bourd. p. 23.) Mes gens n'ont point encore glenné en ce champ.

(Palsgr. p. 568.)

Comme on voit le gleneur

Cheminant pas à pas, recueillir les reliques

De ce qui va tombant après le moissonneur.

(Joach. du B. p. 9.)

Je ne cesse d'ouïr une lourde tempeste

De propos complaignans qui m'eslourdent la tête.

(J. de Montl. p. 97.)

(1) Enfermes dans ce vers vient de infirmus, et s'est à peu près conservé en blaisois sous la forme infeurme Le verbe enfermer (infirmare) a dans notre dialecte cinq ou six prononciations bien distinctes : J'enfarme, j'enfeurme, et avec la métathèse de l'r, j'enframe, j'enfreume, j'enfrome et j'enfroume.

(2) Ou armena.

(3) L'Anjou et le Maine, particulièrement le canton de Malicorne, ont conservé les formes du XVIe siècle, jerdrin ou jardrin, jerdrinier ou jardrinier :

Il me sembla, de fantasme surpris,

Veoir les jardrins des nobles Hespérides. (Jeh. Bouch., Dédicace.)

Sans que l'abboy d'un chien ou le cri d'une beste
Ou le bruit d'un torrent élourdisse ma tête.

(Joach. du B. Hymn. de la Surdité. Cf. p. 15.)

Belaud savait mille manières

De les surprendre en leurs tesnières.

(Joach. du B. Ep. d'un chat.)

<< I mowe downe haye with a sythe: Je fene; il y a plus de dix jours que j'ay fené ma praerie.» (Palsgr.)

En caresme est de saison

La marée et le sermon;
Se faire en ce temps chaircutier,
On n'y profite d'un denier.

(Lincy, Pres fr. p. 96.)

On peut suivre pas à pas en plusieurs de ces mots la continuation de la lutte entre les deux prononciations jusqu'à ce que le bel usage, comme on disait au XVIIe siècle, ait décidé le triomphe de l'une d'entr'elles. Leur histoire ne manque pas d'intérêt, et l'on ne saurait croire avec quelle persistance merque, catherre, merry, serge, chercutier, etc., ont disputé à leurs rivaux la possession du champ de bataille. Au temps de Vaugelas, serge et sarge se disputaient la prééminence. Vaugelas, en écrivant ses remarques sur la langue françoise, avait l'habitude de consulter trois de ses amis, qu'on appelait pour ce motif ses trois consultans. Ceux-ci se déclarèrent pour serge ('). Sans leur rien dire, Vaugelas, qui in petto tenait pour sarge, va s'adresser à la personne, qui en ce temps là était l'oracle suprême en fait de littérature et de grammaire. La grande Arthénice se déclara pour sarge. Comment concilier les deux opinions? Le grammairien ne fut point embarrassé, et il écrivit le paragraphe suivant où il introduisit délicatement une pa

(1) Serge était la forme normande; sarge, la forme bourguignonne :

Tu es de Danemarche,

Des mal quvers qui se vestent de sarge. (Og. de Danemarche.)

Molière, il est vrai que c'est dans don Juan, si je ne me trompe, a aussi employé le mot sarge.

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