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Ainsi l'on peut considérer la prononciation de l'o en ou, comme entièrement abolie dès la seconde moitié du XVIIe siècle, mais seulement dans les mots ou l'o n'est pas suivi d'un m ou d'un n. La règle de Palsgrave en effet subsiste toujours, et le lecteur la reconnaîtra, telle que je l'ai citée au cours de ce chapitre dans les lignes suivantes du P. Chifflet: « En omme et onne l'o n'est pas tout-àfait prononcé comme ou, quoiqu'il s'abaisse un peu pour s'unir à I'm et à l'n, mais si après om et on suit une autre consonne que, I'm ou l'n, om et on se prononcent comme oun, ou comme en latin umbra, sunt, pungunt. Ex.: Nombre, conférence, ronce, répondre, ronfler, songer, congé, trompeur, quiconque, etc. lisez noumbre, counférence, rounce, etc., etc. De plus aux monosyllabes bon, don, fond, gond, l'on, mon, ton, son, nom, pont, rompt, rond, etc. lisez boun, doun, found, gound, etc. » Y a-t-il beaucoup de personnes, même parmi les plus lettrées, qui croient que Louis XIV prononçât tous ces mots absolument comme le paysan blaisois d'aujourd'hui?

Cette prononciation fit son entrée toutes voiles dehors dans le XVIIIe siècle. On peut dire qu'elle s'y maintint pendant toute la première moitié : « Bien des gens, dit l'auteur de la Biblioth. des Enf. (p. 158.1733.) prononcent en oun la nazale on des mots pont, ton, son, qu'ils prononcent pount, toun, soun. » Et ailleurs : « On entend des prédicateurs et des personnes d'esprit qui prononcent des houmes, la ville de Roume, au lieu de dire des hommes, la ville de Rome; la dernière prononciation n'est-elle pas la meilleure?» (p. 142.) Certainement, pour que le grammairien n'osât pas se prononcer d'une manière plus affirmative, il fallait que l'influence du son ou fut encore bien puissante et bien répandue. Ici nous perdons complètement sa trace. Ni Wailly (1754), ni Restaut (1764), ni Fauleau (1781), ni aucun autre ne lui accordent même un souvenir. C'en est fait de lui, et il se confine désormais dans ces couches inférieures de la société ou le linguiste va le découvrir et l'étudier, mais où le grammairien ne se risque pas.

Il nous reste néanmoins encore des traces de cette prononciation dans couvent pour convent, moutier pour moustier, Coutances pour Constance, soubresaut pour sombresault. (V. Palsgr. pag. 179.)

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REMARQUE. Celte transformation du son o en ou n'est point particulière à la langue française. Nous la rencontrons en un certain nombre de langues, notamment en grec, en latin, et en italien. En grec, hevoоupa, dont le substantif est λóo, λous, attique pour πλεῦσομαι; νοῦσος, μοῦνος, ionien pour νόσος, μόνος; τυψοῦμαι, dorien pour τύψομαι; ὄνομα, ὄλυμπος, ionien pour ὄνομα, ὄλυμπος. (Cf. λéovτi et λéovai avec monstier-moutier, monstrer-moustrer, etc.)

Quant au latin, ceux qui pratiquent les vieux auteurs savent qu'il n'est pas rare d'y rencontrer les mots et orthographe suivants : Consol primos; aurom captom; poplom pour populum (Inscript. de Duilius); molta, (') endo, sepolta, tumoltu, aivom pour ævum, (Ennius); volgi, demisso voltu (Salluste). Pline assure, dit Priscien, liv. I, fol. IIII, qu'il y avait un certain nombre de cités italiennes, qui ignoraient l'usage de l'o et se servaient à sa place de l'u-ou; et il cite les Ombriens et les Toscans. « Les anciens Romains, ajoute-t-il, (2) changeaient souvent le son o dans la syllabe radicale, disant huminem-houminem, funtcs-fountes pour hominem, fontes, et même quelquefois dans la syllabe finale :

Angustoque fretu rapidum mare dividit undis.

(Lucrèce, liv. I.)

Nec Tityon volucres ineunt Acherunte jacentem. (Id. III.)

Plus tard cette prononciation devint le partage des paysans (qua tamen a junioribus repudiata sunt, quasi rustico more dicta), et

(1) Cf. Q. Enn. Annal. lib. I. vs. 59, 91, 144; Fragm. lib. 11, vs. 3, lib. VII, vs. 36. (Corpus poet. Londini, 1713, 2 vol in-fol. p. 1458.) Vide et Quintil. I. 6.; Mar. Victorin. (Grammat. lat. auct. antiq. Hanoviæ, 1605), col. 2456; Gruter, Corp. Inser. Ind. gramm. O pro u; Egger, serm. lat. vetust. reliq.; A. Schleich. Indog. Chrest.

(2) Cf. Prisc. liv. I. fol. IIII: « Romanorum vetustissimi loco ejus (u) o posuisse inveniuntur: poblicum, polchrum, colpam, hercole, et maxime digamma antecedente hoc faciebant, ut servos pro servus, vulgos pro vulgus, davos pro davus. Vide et Vossium, de arte gramm. I. 12.

c'est sans doute du langage vulgaire et rustique des Romains qu'elle a passé dans le nôtre, où, comme nous venons de le voir, elle s'est maintenue jusqu'au milieu du XVIII® siècle.

En italien, trois dialectes, le Corse, le Sarde, le Sicilien, débris, eux aussi, en grande partie du moins, du latin rustique, remplaçent constamment le son o par le son u-ou. En voici un exemple tiré des Muse Siciliane, tome II, pag. 100:

E focu, e focu chistu et amuri amuri
Chillu, chi lu nutrisci et lu fomenta

Chi dibattendu l'al de tutt'huri

A damnu miu la xhiuscia, e l'alimenta.

(Mariano Drago.)

Qui ne sait qu'en anglais o se prononce tantôt ou comme dans together, tantôt eu comme dans emperor? Dans un prochain chapitre nous verrons le rapport étroit qui unit les deux sons ou et eu. Ce que je viens de dire suffit pour démontrer que cet assourdissement de l'o en ou n'est point un fait particulier au français.

RÈGLE II. O est muet très souvent dans commune, commerce, et leurs composés, et dans commode; toujours dans les composés de ce dernier, commodité, incommoder, accommoder, raccommoder, ou l'o de la préposition formative com ne se fait pas sentir; pron. qu'meune, qu'modité, inq'mouder, rag'mouder. De même pour commencer et commander:

Et si tout est quemun. (J. Bodel, Buchon, p. 97.)

Et si promet à Dieu, le père espirital,

Que s'il puet escaper de chel estour mortal,

Que pour l'amour de li fera 1 hospital

Ou il hébergera tous pauvres quemunal.
(Gauffrey, vs. 3075.)

Que par le conseil du Kemun

Ot en chascun dix connestables.

(R. de Jud. Machabée, cité par Fauch. Orig. des Dign.

p. 65.)

Apareilliés a tous ses kemandemens faire. (Lett. de Rois, vol. I. pag. 256.)

Plusieurs parisiens doivent prendre garde à une mauvaise prononciation de ce verbe commencer, que j'ay remarquée même en des personnes célèbres à la chaire et au barreau, c'est qu'ils prononcent commencer, tout de mesme que si on escrivoit quemencer (Vaugelas.)

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REMARQUE I. L'o sonne encore comme e muct ou comme c naturel non-seulement dans des mots ou la préposition formative com ou con est suivie d'un m ou d'un n, comme connaissance, qui se prononce counnéessance et qu'néessance, mais encore dans des mots ou ce son effacé de l'o ne se peut expliquer que par un caprice du langage, ou par une fidélité héréditaire de nos paysans aux traditions du vieux français. Peut-être encore est-ce par une transformation du son ou au son eu, pour éviter deux ou de suite dans le même mot, que le dialecte blaisois dit prepous ou plutôt preupous pour proupous (propos).

Ysopes escrit a sun mestre

Ki bien quenust (connut) lui et son estre.

(M. de Fr. I. p. 60.)

Deshonnerée l'arai.

(Adam de la Halle, Buchon, p. 29.)

Et selon l'ordenance de Dieu qui point ne fine. (Le Déb. du Corps, p. 61.)

La bonne velonté que l'on voet et savoit que vous avez a nous. (Lett. de Rois. I. p. 300.)

Des queus est a votre volentė.

(Lett. de Rois, 1. p. 189 et 190.)

Quant ma voulenté n'ai de tei

Ja nul henor n'aura par mei. (M. de Fr. I., p. 63.

Faictes-en et en ordonnez,

Je le vous dy cy devant tous,

Ce qui vous viendra a prepoux.

(M. du S. d'Orl., vs. 19263.)

C'est ainsi que horologe du latin horologium, après avoir passé par oriloge (Voir Rois, pag. 417, lignes 13 et 15 uns oriloges, en cest oriloge) est devenu, conformément à la règle de la suppression des brèves atones, (') orloge; et provost, qui s'est conservé comme nom propre, prévost.

Et puis fait sonner ses orloges

Par ses salles et par ses loges. (Rom. de la R., vs. 21951.) REMARQUE II. Dans un seul mot, dans tomber, l'o sonne comme u ou comme i, tumber, ou plus communément timber.

« L'u grec se change en u, rúpos, tumbe, d'où tumber.» (J. Dubois, Isagoge, 1531, dans Livet, p. 15 )

Il y avoit quelque escripture sur sa tumbe. (Palsgr., p. 675.)

L'u, dès les origines de la langue, avait deux sons, ou et eu, ce qui a donné les deux prononciations toumber et teumber. Teumber se disait encore en certains pays à la fin du XVII° siècle avec la même prononciation qu'aujourd'hui dans le dialecte blaisois. En voici la preuve :

« Il faut dire tomber. Autrefois on disait tumber (prononcez la première syllabe comme la dernière d'Autun); il y a encore des pays où on le dit, ce qui pourroit bien venir du grec Túplos, qui signifie une fosse, d'où vient qu'on dit encore en quelques provinces une tumbe pour dire un tombeau. » (A. de Boisreg., 1692, p. 665.)

Cf. l'allemand sinfuot, la grande inondation, transformé par le peuple par une opération inverse à tumber-timber en sündfluth, inondation du péché.

Lisez toumbe, plutôt que teumbe, dans ces vers de Jehan Lemaire, bien qu'il soit resté fidèle à l'orthographe primitive :

Et lui fut fait ce monument et lombe,

Dessus lequel pluye et rousée tumbe. (Fol. CLXXII, verso.)

(1) Voir sur cette règle A. Brachet, Du rôle des voyelles latines atones dans les langues

romanes.

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